«AUJOURD’HUI CE SONT SEULS LES DOMAINES AGRICOLES COMMUNAUTAIRES QUI PEUVENT PERMETTRE DE CREER DES EMPLOIS MASSIFS»
JEAN PIERRE SENGHOR, COORDONNATEUR NATIONAL DU PROGRAMME DES DOMAINES AGRICOLES COMMUNAUTAIRES (PRODAC)

Sortie exclusive du coordonnateur national du programme des domaines agricoles communautaires (Prodac) quelques mois, après sa nomination à la tête de ce nouveau programme. Jean Pierre Senghor dit avoir comme objectif, de garantir la sécurité alimentaire au Sénégal. Toutefois, celui qui a reçu publiquement les félicitations du chef de l’Etat à Sédhiou de préciser qu’aujourd’hui «seuls les Domaines agricoles communautaires peuvent permettre de créer des emplois massifs et de résorber les sous-emplois ». Selon M. Senghor, un Dac peut générer 10.000 emplois directs, au minimum 120000 emplois. Entretien…
Pourquoi le Programme des domaines agricoles communautaires (Prodac) au Sénégal ?
Ça c’est une question intéressante. La justification, elle est simple. Vous savez notre agriculture souffre de plusieurs types de contraintes pour ne pas dire de maux. Premièrement, vous savez que depuis toujours nos producteurs travaillent sur trois mois, quatre mois et puis avec le peu qu’ils gagnent, ils sont obligés de vivre 12mois. Vous ne pouvez pas travailler trois, quatre mois, le peu que vous avez gagné, vouloir vivre avec le reste de l’année. C’est pour ça qu’on a toujours eu des difficultés avec le monde rural et que dans la plupart du temps, on a des périodes de soudures et les gens n’ont pas de quoi manger. Et donc, tout le monde est en train de dire, voilà, il faut moderniser les exploitations familiales et personne ne peut vous dire comment les moderniser. Vous n’allez pas entrer dans les familles pour donner des tracteurs à chacun. C’est pour ça qu’il y a le second pilier. Toutes les exploitations familiales que nous avons souffrent de la contrainte climatique, du fait qu’on ne compte que sur l’hivernage. Quand il ne pleut pas assez, forcément ce sont des situations difficiles en milieu rural qui parfois aboutissent à des périodes de soudures qui peuvent être difficiles. Donc, de plus en plus, les gens se réfèrent, en tout cas, à l’irrigation. C’est pour ça que depuis le début des années 2000, au Sénégal, on a lancé cette agence-là sous l'appellation de Reva. Ce n’était pas une mauvaise idée cette agence. Aujourd’hui elle s’appelle Anida (agence nationale d’insertion et le développement agricole). Elle a commencé à vulgariser et à développer des fermes villageoises. Mais, la contrainte de Anida, c’est une petite agence qui n’a pas beaucoup de moyens, ni des moyens financiers, ni assez de ressources humaines. C’est pour ça que le président de la République a dit : l’Etat va reprendre l'idée avec les grands domaines, qui est un modèle tout à fait nouveau. Il (Macky Sall) dit : "on va créer de grands domaines. Vous savez que ce qui a développé l’agriculture ouest-américaine au 19ème siècle, c’est ce modèle-là, les domaines irrigués ça s’appelait. C’est l’Etat qui dit on va prendre de grands espaces, on va créer de véritables pôles de compétitivité. On a choisi dans le pays des sites avec deux critères : l’existence de l’eau et l’existence de grands espaces. Et quand on a, avec les services spécialisés de l’Etat déconcentrés comme centraux, pu choisir 10 sites, 30000 hectares. Ce sont les collectivités locales qui vont attribuer ces terres-là au Prodac.
Comment maintenant fonctionne un Dac ?
Lorsque vous avez déjà choisi un hectare, une personne plus trois en incubation, donc sur chaque hectare, on place quatre emplois. C’est très important ce ratio-là parce que c’est un ratio presque universel. Ici les trois, c’est un hectare, une personne et les trois sont en formation. Cette formation, elle est importante parce qu’on mobilise l’expertise nationale pour former dans des métiers de l’agriculture, de la production végétale, de la production animale, de la production aquacole, les gens ont besoin d’être formés. Et on vous forme pendant 6, 18, 24 mois indépendamment du système de production. Ces jeunes en incubation, leur mission c’est quoi quand ils auront terminé leur formation, ils ne sont pas obligés de rester à l’intérieur. Ils sortent appuyés en cela par les instruments de développement qui ont été mis en place par l’Etat : le Fongip, la Bnde…pour aller s’installer dans les exploitations familiales et les moderniser.
Pour les 5ans, vous avez besoin de combien d’hectares de terres dans tout le pays ?
Nous, on a demandé 30.000 hectares pour 5ans. Est-ce que vous vous souvenez de Sen huile Sen éthanol, ils avaient demandé 20.000 hectares dans un coin du pays. Nous, on a dit 30.000 hectares pour 5ans sur l’ensemble du pays, ça correspond à 1,33% des superficies totales cultivées chaque année, c’est rien du tout. Khelcom, c’est pratiquement 45.000 hectares, nous, on a dit 30.000 hectares pour 5ans sur le territoire national. Pour vous montrer la faisabilité de cette affaire-là et sa pertinence. Lorsque vous avez 30.000 hectares, si vous aménagez ensemble les 30.000 hectares au bout de 4ans, 30.000hectares, c’est 30.000 emplois tout de suite sur le ratio un hectare, une personne. Or comme je vous l’ai dit, la charte dit pour chaque hectare et pour chaque tuteur, il faut trois jeunes en incubation. Donc, sur l’ensemble des 30.000hectares, vous avez 90.000 c'est-à-dire 3X30.000 ça fait 90.000 jeunes en formation. Donc tout de suite à l’intérieur du domaine agricole, vous avez 30.000 emplois + 90.000 emplois en formation ça vous fait 120.000 emplois directs. Et là, je ne parle que de la production végétale. Je ne parle pas de la production animale, je ne parle pas de la production des métiers de la transformation, je ne parle pas des conditionnements, je ne parle pas de la mise en marché, je ne parle même pas des emplois connexes qui sont créés. Donc pour vous dire qu’on est dans des hypothèses basses.
Le Prodac est-elle une solution à l’autosuffisance alimentaire au Sénégal ?
Moi, je ne parle pas d’autosuffisance parce que pour moi l’autosuffisance, c’est un but qu’on veut atteindre, mais on contribue à l’atteindre. Ce qui m’intéresse moi, c’est la sécurité alimentaire d’abord. Parce qu’on a toujours besoin de choses qu’on ne produit pas. Les pommes, je vais les importer parce que je ne peux pas les faire. Il y a des productions que nous, on ne fera pas, ailleurs aussi, il y a des produits que nous, nous faisons ici : des mangues qu’on exporte par certains pays. Donc, moi je pense que la notion la plus importante, c’est plutôt la sécurité alimentaire. Qu’on ne soit pas dans un pays où les gens ont faim. Donc nous c’est la sécurité d’abord, l’autosuffisance après. Pour moi, ce n’est pas important l’autosuffisance. Si, on arrive à mettre en place un système de production et de transformation, une chaîne de valeur complète qui permette aux gens de ne pas se mettre dans une situation où ils n’ont pas de quoi manger, on a déjà réglé vraiment 98% de nos problèmes sur la sécurité alimentaire. En plus, le Prodac est aujourd’hui le seul programme qui est capable d’engranger des emplois massifs en milieu rural. Ça va transformer structurellement notre économie rurale, ça va inverser la tendance de la courbe, le sens de la courbe de sorte qu’on ne parlera plus d’exode rural, on parlera d’exode urbain parce qu’on va atteindre un niveau où on arrivera à un moment où les gens vont quitter les villes vers les pôles de compétitivités que le Prodac va contribuer à créer. Et ça, ça va changer complètement le visage du Sénégal parce qu’en plus, dans les domaines agricoles, nous avons les mouvements, on crée une base de vie parce que vous ne pouvez pas mobiliser les gens aussi dans des zones comme Keur Momar Sarr, Keur Samba Kane, des zones reculées, des jeunes surtout, si vous n’avez pas une base de vie. C’est carrément de nouvelles villes rurales que le Prodac va mettre en place, où il y a création d’emplois, création de richesses. C'est beaucoup d’emplois qui vont être créés. C’est ça qui va contribuer à augmenter la base productive du pays. Le slogan que nous avons c’est : « Tekki ci mbey, tèèd ci, teraal ci ».
Chaque Dac produit combien d’emplois ?
On part sur le nombre d’hectare parce que un Dac ça va de 1000 hectares à 5000 hectares. Prenons un Dac moderne de 1000 hectares, ce sont 10000 emplois, rien que dans la production sur la base de l’équation que je vous ai donnée. 1000 hectares, ce sont 1000 emplois tout de suite. A cela, il faut ajouter 3X1000 emplois cela veut dire 3 jeunes en formation sur 1000hectares ça fait 3000 emplois, c’est 3000 qu’il faut rajouter aux 1000 ça fait 4000 emplois à l’intérieur du Domaine agricole. Les 3000 sont formés mais ils sortent pour aller créer leurs propres business et chaque business créé, c’est deux emplois. Donc 3 x 2000 ça fait 6000 emplois hors Dac. Ces 6000 emplois hors Dac, vous les rajoutez aux 4000 ça fait 10.000 emplois directs en s’amusant. Aujourd’hui, c’est le seul secteur qui peut nous permettre de créer des emplois massifs et de résorber les sous-emplois pour ne pas dire le chômage.
A Sédhiou où le besoin se fait sentir, le Dac de Séfa que le chef de l’Etat a récemment inauguré peut créer combien d’emplois ?
Le Dac de Séfa peut créer 20.000 emplois facilement au bout de 4ans, on peut créer 20.000emplois tout de suite, rien que dans les espaces de production. Ce qu’il faut savoir, c’est que, nous allons spécialiser la zone de Séfa en zone de production de semence de qualité pour l’ensemble du pays. Les semences de maïs surtout, c’est pour ça que nous avons mis en place une station d’essai de semence où nous avons testé plusieurs variétés, surtout de maïs mais également d’autres spéculations comme le blé, le soja, comme l’arachide, le piment, le gombo…plusieurs variétés de cultures et lorsqu’on aura procédé à la sélection de la meilleure variété qui adapte le mieux à notre biotope, on passe à l’étape production. Cette année, on a démarré avec le maïs, nous allons installer des unités qui vont transformer, qui vont conditionner les produits et créer de la valeur ajoutée. Le piment du Pakao par exemple, le gombo du Pakao, la patate douce du Pakao, des produits labélisés. Donc, c’est ça en fait le domaine agricole.
A l’occasion de la cérémonie inaugurale du Dac de Séfa, le chef de l’Etat avait souligné vos qualités et vos compétences. Vous vous attendiez à de tels compliments venant de Macky Sall ?
Non pas du tout, non ! Recevoir des félicitations du président de la République, c’est déjà un grand honneur, mais en plus les mots gentils qu’il a eus à mon endroit…je pense que c’est un encouragement pour moi-même, mais surtout pour toute mon équipe aussi bien de l’équipe de Dakar mais aussi de Sédhiou qui a abattu un travail considérable. Je profite de l’occasion pour féliciter le chef de projet, Ismaël Diallo qui est un homme de conviction, un homme d’expérience qui a su vraiment donner un visage intéressant à cette vision du chef de l’Etat. Vraiment c’est toute une équipe qui a travaillé et nous y croyons tous. Je crois que ce sont des encouragements qui nous disent simplement qu’on a plus le droit de reculer. C’était très émouvant, c’était très intéressant et ça franchement c’est mon équipe.