«MACKY SALL, SON PROBLEME EST LIE AU CASTING DE CEUX QU’IL RECRUTE POUR L’AIDER DANS LA COMMUNICATION»
PAPE ALCALY BEN MOUHAMED DIOUF, EXPERT EN MARKETING POLITIQUE

Directeur général d’un cabinet spécialisé dans l’événementiel politique, Pape Alcaly Ben Mouhamed Diouf est un professeur de Marketing et communication politique dans un Institut de la place. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il analyse la communication du Président Macky Sall qui a récemment reconnu qu’il y a des failles dans la communication gouvernementale.
Récemment, le président de la République a relevé des failles dans la communication gouvernementale. En tant qu’expert en communication, comment analysez-vous cette sortie ?
Je pense que c’est un aveu d’échec de la part d’un président de la République de dire que sa communication a des failles. Le mieux, c’est de se séparer de ceux qui gèrent sa communication. Ce qui se passe, c’est que la plupart des chefs d’Etat africains s’entoure de journalistes, parce qu’ils ont besoin de plaire aux journalistes qui ne les caressent jamais dans le sens du poil et ont toujours la plume trempée dans le vitriol. Ils s’entourent de journalistes pour satisfaire la communication, alors que la communication moderne est multidisciplinaire. En dehors des journalistes, il y a les bloggeurs et autres. Il y a des journalistes qui n’ont pas cette équipe pluridisciplinaire, c'est-à-dire les vendeurs. Pour vendre, on n’a pas besoin de journalistes, car les journalistes ne s’intéressent qu’au train qui vient en retard. S’ils s’intéressent à la communication du président de la République, c’est parce que le Président a un temps de retard par rapport à ce monde. Si on veut vendre un programme, c’est le travail d’une équipe de marketing et de publicitaires qui doivent être accompagnée par des journalistes. La liste peut ne pas se limiter là, il peut même y avoir des sociologues, mais le gros problème des chefs d’Etat, c’est qu’ils confient leur communication à des journalistes qui ne font que dire ou répéter ce qu’il ont vu. Il y a une différence, si on veut vendre un bien tangible, comme l’autoroute lla Touba, et un bien non tangible, comme la Couverture maladie universelle. Et cela, le journaliste ne le maîtrise pas, ce sont des concepts que maîtrise tout étudiant en marketing. Donc, le gros problème de tous ces présidents africains, Macky Sall y compris, c’est que la communication est confiée à des journalistes ou des chroniqueurs.
Pourtant parmi les communicants du Palais, certains ont fait marketing et communication politique, et malgré tout, le problème demeure toujours…
C’est parce qu’il ne peut rien faire à part dire que le Président a fait cela ou organiser une conférence de presse kilométrique. Ce qui n’est pas possible, car les gens vont finir par dormir dans leur fauteuil
Est-ce à dire que les rencontres avec la presse qui tirent en longueur sont aussi un autre problème de communication ?
Cela n’est plus de la communication, ça devient un monologue bidirectionnel. Si je prends l’exemple de Barack Obama, quand il fait ses conférences de presse, l’introduction dure en moyenne 10 minutes ou moins, et le format de toute la rencontre avec la presse ne dépasse pas une heure. Le Président français, il fait des conférences de presse qui durent 2 heures 30 minutes. Mais, si vous regardez les dernières conférences de presse de François Hollande, elles ont été beaucoup réduites. Maintenant, les conférences de presse, c’est dans le format 1 heure ou 1 heure 30 minutes. Là, nous avons typiquement le cas d’une conférence de presse sénégalaise.
Vous avez, tantôt, conseillé à Macky Sall de se débarrasser de ses chargés de communication. Est-ce la solution ?
Se débarrasser, c’est beaucoup. Mais, il faut qu’il étoffe son staff de communication globale. Cela ne s’arrête pas à la communication tout court. La communication globale, c’est très large, c’est y intégrer d’autres professionnels comme des spécialistes en marketing, des sociologues, des publicistes. Il faut revoir les choses. Il y a toujours eu ces problèmes de communication au niveau de la Présidence. Pourtant, Macky Sall a été Premier ministre sous Wade, mais il a hérité de ses problèmes de communication. Sous Wade, il y a avait une overdose de communication. Le Président communiquait sur tous les sujets.
Qu’est-ce qui explique réellement ce problème de communication au niveau de la Présidence ?
A mon avis, pour qu’un Président communique vraiment bien, il faudrait que le Président, lui-même, se débarrasse de son parti. C’est la première chose. En Guinée, la Constitution a inscrit que lorsqu’on est Président, on démissionne de son parti. A partir du moment où on dit qu’on devient Président de tous les Sénégalais, il n’y a pas de communication bicéphale. Parce que là, ce qui se passe, c’est que cette bicéphalie pousse le Président à mal communiquer, il doit communiquer pour son parti. Ce qui a été à l’origine des dérapages par rapport à sa conception de la transhumance. Lorsque Macky, le président de la République, communique sur la transhumance, il le fait au profit de son parti, mais pas au profit du peuple. Tant que le Président du Sénégal sera affilié à son parti, il aura des problèmes de communication, parce qu’il faudra qu’il communique aussi bien pour son parti que pour le pays, et ce n’est pas la même chose. Le parti et le pays sont deux choses totalement disproportionnées.
Vous avez dit tout à l’heure qu’avec Wade, il y a eu une overdose de communication. Mais, si nous prenons le cas d’Abdou Diouf, il ne faisait pas beaucoup de communication. Malgré cela, il avait des problèmes de communication…
C’est vrai que Diouf était un technocrate, alors que Wade est un intellectuel, un avocat par essence. Et c’est vrai que les avocats ont tendance à toujours communiquer, c’est l’art de leur métier. L’avocat n’a pas une obligation de résultats, mais de moyens. Ce qui explique les dérapages au niveau de l’overdose de la communication de Wade. Ce dernier qui a regroupé des diplômes un peu partout avait tendance à mettre son grain de sel dans tout. Macky Sall, son problème est lié au casting de ceux qu’il recrute pour l’aider dans la communication. Ces personnes ont tendance à se mettre en avant. Ils sont là, d’abord, pour eux, pour briller, avant de faire briller leur client qui est le président de la République. Ils ont tendance à s’exposer dans les médias et autres. Je crois que ce sont des personnes qui sont là pour se vendre et non pour vendre leur client.
Mais, est-ce que Macky Sall n’est pas lui aussi un peu responsable de cette situation, parce qu’on a constaté, lors de sa dernière sortie, qu’il est allé contre la volonté de son chargé de communication, en ouvrant une dernière liste de questions ?
Je crois que s’il a fait cela, c’est parce que qu’il est conscient que ses chargés de communication ne sont pas de bons professionnels. Parce qu’un Président qui a un bon chargé de communication, lorsque ce dernier dit que c’est terminé, ça s’arrête là. Mais, s’il fait autre chose, c’est parce que ce sont ses chargés de communication qui ne se font pas respecter.
Parlons maintenant du ‘je’ de Macky Sall. Il aime utiliser le terme ‘je’ dans ses discours. Quelle analyse en faites-vous ?
Ce sont les ‘je’ d’un chef de parti. Comme je l’ai déjà dit, tant que le Président sera chef de parti, il aura toujours tendance à dire ‘je’, c'est-à-dire, c’est mon parti, c’est moi le président de l’Apr, et je dégomme qui je veux. C’est une attitude politicienne qui fait abstraction de son Premier ministre, de son gouvernement. On a l’impression que le Président est en même temps ministre, Premier ministre.
Et c’est ce qu’il reprochait à Me Wade…
Voilà. Macky est quand même l’élève de Wade.
A côté du chef de l’Etat, il y a le porte-parole du gouvernement. Certains disent qu’il a un problème de communication, surtout après sa sortie par rapport à la réduction de la durée du mandat présidentiel ?
Me Oumar Youm est un porte-parole qui a deux casquettes. J’ai toujours déploré qu’au Sénégal qu’il y ait une pléthore d’avocats dans les gouvernements. Ces Maîtres qui ne sont pas là que pour donner des leçons à leurs élèves ont tendance à confondre leur profession d’avocat. Je pense qu’actuellement, il y a un manque de confiance. Car s’ils étaient sûrs de gagner l’élection, ils allaient accepter les 5 ans. Mais, puisque la date fatidique approche de plus en plus, et ils ne sont pas sûrs de gagner cette élection, les sorties se multiplient. Ils ne peuvent compter que sur les voix de Niasse. Tant qu’ils ne sont pas rassurés, je peux certifier que Macky Sall n’ira pas à la Présidentielle en 2017.
Est-ce que vous êtes en train de dire qu’il n’y aura pas de référendum pour réduire la durée du mandat présidentiel ?
En ce moment, ils font les études, et il n’y a pas de date retenue. Il n’y a aucune certitude, même concernant la date.
Pourrait-il s’en sortir en faisant un «Wax waxeet» ?
Si j’étais son conseiller, je lui demanderais de se dédire et de faire deux ans de plus, s’il veut parachever ses réalisations, même s’il devient impopulaire. Sa parole n’engage que sa propre personne, et personne d’autre. C’est lui le Président, mais c’est une parole. On peut se tromper. L’erreur est humaine.
Que pensez-vous de la communication de Me Wade ?
Wade est un très grand communicant, il a été pendant longtemps dans l’opposition, et cela l’a forgé. Maintenant, il est dans l’opposition avec un clou dans le pied, parce que ses réactions peuvent s’expliquer par le fait que beaucoup d’entre-eux sont en prison. Wade est un ancien chef d’Etat qui est toujours chef d’Etat. Ses déplacements sont ceux d’un chef d’Etat, et ses journées sont des journées de chef d’Etat. Donc, il a tendance à croire qu’il est toujours chef d’Etat, surtout que Macky Sall a été son Premier ministre. Donc, on peut comprendre cet excès de zèle.