‘’IL N’Y A PAS DE CAUSE QUI NE PUISSE ÊTRE DÉFENDUE’’
ME BABA DIOP, AVOCAT A LA COUR

Les avocats sont parfois mis dans le box des accusés par les populations. Pas mal de personnes pensent que ce qui intéresse l’avocat est moins d’aider la cour à faire jaillir la vérité que de tirer son client d’affaire. Me Baba Diop, avocat au barreau de Dakar, apporte dans cet entretien des éclairages. Selon Me Diop, l’indéfendable n’existe pas chez l’avocat car toute cause mérite d’être défendue. Mais en tant qu’auxiliaire de justice, il le fait dans le respect des lois et règlements.
Beaucoup de personnes pensent qu’un avocat est un défenseur de toutes les causes, aussi ignobles qu’elles soient. Qu’en est-il réellement ?
Effectivement un avocat défend toutes les causes, qu’elles soient honorables ou répugnantes. L’avocat ne choisit pas sa cause. Nous avons juré de défendre les gens dans le respect des lois et règlements. L’avocat est un auxiliaire de justice.
Donc il se doit, en défendant son client, d’aider la justice à dire la vérité. Il n’y a pas de cause qui ne puisse être défendue. Les gens se méprennent souvent en pensant que l’avocat ne peut pas défendre certaines causes qu’ils qualifient d’ignobles. Par exemple, si quelqu’un commet un crime, les gens ont du mal à comprendre qu’il puisse avoir une défense. Mais ce qu’ils ignorent peut-être, c’est que l’avocat ne vient pas raconter des contrevérités à la cour sur des choses abjectes.
Dans certains cas, nous expliquons à la cour les circonstances de l’infraction et demandons pardon pour notre client. Nous ne sommes pas obligés de dire que notre client n’est pas coupable. Si c’est vrai qu’il n’est pas fautif et que nous avons des arguments pour cela, nous plaidons non coupable.
Si nous avons des éléments dans le dossier qui sont en défaveur de notre client, nous plaidons coupable et nous demandons pardon pour notre client. C’est pourquoi j’ai dit qu’il n’y a pas de cause qui ne puisse être défendue.
Ne vous arrive-t-il pas d’être mal à l’aise en défendant certaines causes comme le viol, l’inceste, les crimes de sang, etc. ?
Toutes ces fautes sont commises par des humains et nous sommes tous des humains. Aucun homme n’est parfait. C’est vrai que des personnes se trompent parfois en commettant des infractions, mais on ne doit pas dire qu’on ne défend pas un violeur ou un voleur.
Tous les prévenus sont égaux devant la loi et méritent d’être défendus. Ils vont être défendus sur la base de ce qu’ils ont fait. Nous défendons tous les jours des violeurs, mais cela n’empêche pas les tribunaux de les condamner.
Mais l’essentiel c’est qu’ils soient défendus parce qu’ils sont des humains et tous être humain mérite d’être défendu. L’indéfendable n’existe pas chez l’avocat. Tout dépend des dossiers qui nous sont soumis. Si nous avons un dossier qui accable notre client, nous pouvons le tirer d’affaire en faisant en sorte que la peine soit réduite ou en l’évitant d’autres sanctions pénales.
Nous pouvons aussi plaider coupable en faisant en sorte que le minimum de la peine soit appliqué. Tout dépend de l’angle d’approche qu’on a choisi.
Est-ce qu’en tirant d’affaire certains clients réputés être des criminels, vous ne mettez pas la société en danger ?
Ces personnes font partie de la société. Elles pouvaient être de bonnes personnes mais ils ont dévié. Pourquoi ont-ils dévié ? Cela mérite réflexion. On peut aussi commettre un crime de sang par accident.
Et s’il n’y a pas un avocat pour expliquer tout cela à la cour, cette personne risque d’être sacrifiée alors qu’elle a été correcte toute sa vie durant. Il y a aussi des gens qui n’ont pas commis d’infractions mais qui sont pires que ceux qui en ont commis. Je pense que ces personnes qui ont commis des fautes font partie de la société et méritent que la justice essaie de les comprendre.
A l’origine, la peine de prison a été établie pour permettre à la personne de s’amender. On met la personne en prison pour lui permettre de préparer sa réinsertion sociale.
Quels sont les dossiers les plus brûlants qui vous ont marqué dans votre carrière ?
Il y en a beaucoup. J’ai fait 13 ans de barre et défendu pas mal de personnalités. Mon premier dossier qui m’a beaucoup marqué est celui de Madiambal Diagne en 2002-2003 quand il a été poursuivi par l’Etat du Sénégal pour avoir publié des procès-verbaux d’enquêtes préliminaires.
Il y a aussi le dossier Bakary Traoré-Madiop Bitèye qui a été un dossier très compliqué. J’ai moi-même pris Bakary Traoré à la main lorsqu’il est venu à mon cabinet pour le ramener devant le commissaire Assane Ndoye (Ndlr : ancien chef de la Division des investigations criminelles).
Il était recherché à l’époque. Je lui disais que la justice reste la justice et il ne fallait pas se laisser arrêter. Après on a plaidé et cela s’est bien passé. Il y a aussi les dossiers Idrissa Seck, Yankhoba Diattara et récemment Khalifa Sall. Le métier d’avocat est un métier très intéressant parce que l’on parvient à rendre le sourire à nos semblables.
Mon plus grand soulagement dans cette profession, c’est quand mon client retrouve le sourire après avoir plaidé son dossier. Ce n’est pas une question d’argent, mais un sacerdoce.