‘’L’ORPAILLAGE EST PLUS ALÉATOIRE ET PLUS RISQUÉ QUE L’ACTIVITÉ AGRICOLE’’
JEAN-PIERRE SENGHOR, COORDONNATEUR NATIONAL DU PROGRAMME DES DOMAINES AGRICOLES

Le Domaine agricole communautaire (Dac) du village d’Itato, dans la commune de Bandafassi, région de Kédougou, a démarré ses activités. En marge du lancement, le coordonnateur national du Programme national des Dac, Jean-Pierre Senghor, qui s’est entretenu avec Le Quotidien, est largement revenu sur l’importance du Prodac, les atouts de Kédougou pour sa réussite, la pollution de l’eau, entre autres.
Vous êtes à Kédougou dans quel cadre ?
Permettez-moi d’abord d’expliquer le déroulement du Programme des domaines agricoles communautaires (Prodac). C’est un programme composé de domaines agricoles qui a été conçu pour se déployer sur le territoire national au cours des cinq prochaines années. Sur instruction du chef de l’Etat, nous devons, sur les dix domaines agricoles communautaires, en démarrer quatre, notamment à Kédougou, Keur Samba Kane, Keur Momar Sarr et Sefa.
Celui de Sefa a été démarré. Pour le Dac de Kédougou, situé à Itato, dans la commune de Bandafassi, nous sommes en train de procéder au lancement des activités. Celui-là fait partie d’ailleurs, des priorités du chef de l’Etat.
Il a beaucoup insisté pour qu’on puisse démarrer ce domaine. Ce, d’autant qu’on a pu bénéficier de 500 millions de francs Cfa du fonds minier, grâce à son arbitrage. C’est dans cette dynamique que nous sommes venus à Kédougou pour tenir ce Comité régional de développement (Crd) qui aurait dû se tenir depuis très longtemps.
Il est bon de préciser qu’il s’est déroulé en trois temps, avec d’abord une rencontre de communion avec la jeunesse à travers une veillée culturelle dont le thème était : «La culture au service du développement.» Il y a eu ensuite, un forum d’échanges toujours avec les jeunes. On en a profité pour expliquer à ces deniers, les avantages et les opportunités qu’ils peuvent tirer des domaines agricoles communautaires.
Est-ce que cette jeunesse a perçu le message ?
Le message a été très bien compris par les jeunes. Ils s’engagent d’ores et déjà dans les Dac pour faire de la révolution agricole, une réalité. On a fini par le Crd tenu autour du gouverneur de région, pour échanger sur le programme des domaines agricoles communautaires avec les autorités pour une bonne appropriation.
C’était l’occasion pour nous, de lever certaines zones d’ombre qui étaient liées à une mauvaise compréhension de ce programme structurant. Avant de procéder au lancement officiel de l’ouverture du domaine agricole communautaire du village d’Itato dans la commune de Bandafassi.
Kédougou est une zone au potentiel énorme. Je l’ai dit au cours de la veillée culturelle. Pour moi, c’est la plus belle région du Sénégal à partir de laquelle on veut impacter le reste du pays à travers ce qu’on est en train de faire à Itato. Le domaine agricole communautaire de cette localité va démarrer avec une écloserie.
Puisque dans la pisciculture si vous n’avez pas les intrants (les alevins), vous ne pourriez pas développer une bonne pisciculture. La première chose, c’est qu’on a construit une écloserie qui va produire trois millions d’alevins. C’est dire que c’est un centre d’incubation qui devra à terme, fournir toute la région en alevins pour ceux qui voudront s’investir dans le domaine de la pisciculture.
300 tonnes de poisson labélisé (poisson d’Itato) sortiront de ce domaine pour ravitailler le marché local en poisson frais. Tout ce qu’on a vu jusqu’à maintenant, nous donne de l’espoir. Car ça va créer de l’emploi. Rien que l’exploitation piscicole, l’écloserie et le travail des bassins, c’est 24h/24 de boulot pour plus de 360 emplois directs, permanents. En plus de toute l’activité que cela va créer.
Nous avons commencé à aménager 200 hectares sur les 1000 qui nous ont été attribués par le Conseil municipal de Bandafassi. Pour cette campagne d’hivernage, on travaillera avec la Direction de l’agriculture au niveau local pour voir la spéculation la plus porteuse et en fonction de nos commandes pour travailler sur elle. Chez nous, c’est le marché qui détermine la production et on n’a déjà plusieurs commandes qui attendent.
Dans une région comme Kédougou où le taux de pauvreté est très élevé et l’orpaillage traditionnel demeure l’activité de prédilection des jeunes, comment comptez-vous les convaincre à intégrer les Dac?
Oui ! C’est vrai. On parle d’inciter, les jeunes. Moi, je n’incite personne. Je crois que ce qui est important avec la démarche que nous avons entreprise dans le programme, c’est la concrétisation. Pour nous, on ne peut intéresser les jeunes que par l’action, par le terrain.
Aussi bien à Kédougou qu’ailleurs, nous privilégions des actions concrètes et visibles. Nous allons démarrer cette écloserie, nous allons sensibiliser et nous allons travailler avec ceux qui y sont déjà.
On a des équipes qui sont en train de faire le recensement des jeunes qui sont déjà dans l’activité de production végétale, ceux qui sont dans la pisciculture. C’est ceux-là qu’on va intéresser d’abord, parce qu’ils y sont engagés. Parallèlement, on va voir des gens qui se déclarent et qui n’y sont pas encore.
Donc, c’est par motivation que nous allons travailler. Et c’est en travaillant avec ces personnes, que les autres trouveront la nécessité d’intégrer les Dac, puisque c’est une réalité. Quand les gens se rendront compte qu’en se retroussant les manches, en se ceindant les reins, en intégrant les domaines agricoles, on arrive à gagner de l’argent et à vivre décemment, personne ne demandera à qui que ce soit de venir. Ils viendront eux-mêmes de leur propre chef.
C’est comme ça que nous travaillons. Cela dit, il est important que les gens sachent, qu’on les sensibilise. (...)Les autorités administratives locales et les partenaires sont également engagés pour lutter contre l’insécurité alimentaire et conjuguent leurs forces, afin que le programme connaisse un succès sans précèdent.
Le maire de Bandafassi a eu une démarche opportuniste pour lever beaucoup de contraintes pour qu’on puisse nous octroyer 1000 hectares de terres pour démarrer le travail.
Kédougou est une région à la fois agricole et minière. Pour la réussite de la mise en œuvre des Dac, comment comptez-vous allier les deux ?
A ce niveau, je pense que chacun doit faire ce qu’il peut faire le mieux. Pour notre cas, nous voulons mener à bien ce qui nous a été confié par le chef de l’Etat. Ce qu’on nous a confié, c’est de mettre sur pied un cadre, des pôles de compétitivité où plusieurs types d’activités pourront se déployer : de la production végétale, animale, aquacole, de la transformation des produits, de leur conditionnement.
Toutes ces chaînes de valeurs seront mises en œuvre par des groupes que nous allons constituer et accompagner en fonction de l’engagement des uns et des autres. Ce qui est le plus important, c’est de ne pas mettre en vis-à-vis les activités minières et agricoles, puisque les deux peuvent aller ensemble.
Pour reprendre Ngom, «produire ce qu’on mange est un acte de souveraineté et consommé ce qu’on produit est un acte de civisme». Quand on voit un pays qui importe autant de produits agroalimentaires, cela veut dire que notre souveraineté est un peu aléatoire voire même factice.
C’est pourquoi, le président de la République nous a donné des instructions fermes et le ministre de la Jeunesse, de l’emploi et de la construction citoyenne, Mame Mbaye Niang, qui est un homme d’engagement, a tout fait pour que ce programme puisse démarrer le plus vite que possible.
A Kédougou encore une fois, il y a de quoi marqué ce programme de domaine agricole en lettres d’or. Parce qu’il y a un potentiel énorme dans cette région. Je vote personnellement Kédougou pour ce qui est de la réussite du programme des domaines agricoles.
Par rapport à la pollution de l’eau due à l’exploitation artisanale de l’or, comment comptez-vous vous y prendre pour prévenir les cas d’infection ?
La question de la pollution de l’eau est une question centrale. Il est vrai que tout le monde s’inquiète et il y a de quoi s’inquiéter surtout pour ce qui est de la Falémé. Ce qui amène ça, c’est le manque de formation, de connaissance. Il n’y a rien de pire que de mener une activité sans la maîtriser totalement au plan de son impact et au plan scientifique.
Lorsque vous avez l’information sur ce que font les gens, on sait qu’il faut un autre comportement. L’orpaillage est une activité qui peut être génératrice de revenus. Cependant, elle est plus aléatoire et plus risquée que l’activité agricole. De plus en plus, les jeunes commencent à démystifier cette question d’orpaillage.
Seulement, pour le moment sur la Gambie (fleuve qui borde Kédougou), il n’y a pas de problème majeur, parce qu’elle n’est pas polluée. Néanmoins, toutes les dispositions seront prises à notre niveau pour mettre en place un système de traitement de l’eau.
Car on a été informé qu’il y aura des activités d’orpaillage qui devront débuter près dudit fleuve. En définitive, l’eau sera filtrée, afin que celle qui est utilisée dans l’irrigation comme dans les bassins de grossissement des poissons soit exempte de toute pollution ou impureté.