‘’TANT QU’ÉCONOMIQUEMENT LA FEMME EST DÉPENDANTE DE SON CONJOINT, ELLE EST OBLIGÉE DE SUBIR LA VIOLENCE’’
Entretien avec Fanta Guèye, présidente de l’Association des femmes juristes du Sénégal
Dans cet entretien, la nouvelle présidente de l’Association des femmes juristes du Sénégal (Aj)s Fanta Guèye revient sur les causes de la violence conjugale et les sanctions pénales qui attendent les conjoints. Elle demande aux femmes qui subissent ces violences de dénoncer les auteurs.
Est-ce qu’il y a au Sénégal une loi spécifique sur la violence conjugale ?
On peut dire oui ! Sauf que c’est le Code pénal qui réprime en général toute forme de violence. Que ça soit une violence conjugale ou une violence commise par d’autres auteurs. La violence conjugale, c’est la violence qui est exercée au sein du ménage, au sein de la famille. Quand on dit conjugal, cela suppose les époux, c’est à dire l’homme et la femme au sein du ménage. On peut dire oui parce que depuis 1999 nous avons eu une réforme qui a fait 2 choses.
Elle a fait de la violence conjugale une circonstance aggravante de la violence. C’est à dire si la violence provient du conjoint, le juge applique des circonstances aggravantes. Ce qui fait que les peines sont plus sévères. Il y a aussi un autre aspect depuis 1999 : La loi a introduit dans le Code pénal ce qu’on appelle le viol conjugal qui n’existait pas avant 1999.
Le Code pénal punissait le viol en général et non le viol conjugal : C’est la loi de 99 qu’on appelle réforme de 1999 sur les violences qui a introduit une certaine forme de violence et en même temps le viol conjugal. Donc on peut dire qu’effectivement au Sénégal quand la violence est conjugale, elle est sanctionnée d’une peine plus accentuée et plus sévère.
Que faire pour une application définitive de la loi sur la violence conjugale ?
La sensibilisation. Parce que ce qui est valable pour la violence conjugale l’est aussi pour les autres formes qui touchent aux droits de la femme. Ce qu’on demande, c’est d’abord la dénonciation et que l’impunité cesse.
C’est aussi de faire en sorte que les juges appliquent effectivement le texte parce qu’il peut arriver que les gens dénoncent et que la femme vienne porter plainte. Une fois que sa plainte est introduite et qu’elle arrive au Tribunal souvent, le juge n’applique pas la peine définie par le texte. Ça pose problème donc.
Ce qu’il faut, c’est sensibiliser, il faut que les gens dénoncent la violence conjugale. Les conséquences sont dramatiques et souvent au Sénégal quand il y a violence conjugale les gens ont tendance à négocier pour faire de sorte qu’on étouffe l’affaire, d’arranger les choses, faire de la médiation.
Les familles interviennent et la femme rejoint le domicile conjugal si elle l’avait quitté ou se réconcilie avec le mari. Les statistiques le démontrent : Le mari récidive car, la violence conjugale dès qu’elle commence, c’est une escalade, elle ne s’arrête pas. Chaque fois la femme subit plus. La violence devient plus accentuée, plus grave et les conséquences pour la femme sont beaucoup plus graves et souvent, tous les cas de morts que nous avons eus en matière de violence conjugale, c’est des récidives. (...)
Donc, il faut sensibiliser les femmes pour qu’elles dénoncent les violences conjugales, sensibilisent pour qu’elles portent les violences au niveau de la justice c’est à dire en portant plainte. C’est pas évident certes de porter plainte, ce n’est pas aussi évident de vouloir traîner son mari devant la justice mais, cette justice peut réprimander le mari, lui donner un avertissement et ça pourrait servir à quelque chose et le mari pourrait se ressaisir sachant que la justice est là.
Il faut aussi sensibiliser la police qui reçoit les plaintes pour qu’elle sache comment recevoir les victimes de violences conjugales. Et cette sensibilisation, nous Ajs c’est ce que nous faisons de par des causeries, des visites à domicile, des rencontres que nous faisons, des ateliers et de plus en plus les femmes viennent vers nous dans nos boutiques de droit.
Malgré tous vos efforts, la violence conjugale persiste. Selon vous où se trouve le problème ?
Cela persiste parce que comme vous savez quand on parle de la violence conjugale on parle de la vie de couple entre un homme et une femme. C’est la famille. Les causes de ses violences conjugales souvent quand nous exploitons les statistiques, c’est parce que le mari ne veut pas faire face à ses charges, à l’entretien de la famille alors que c’est quelque chose qui pèse essentiellement sur le mari.
D’après le Code de la famille, souvent c’est le défaut d’entretien et quand la femme réclame des choses au mari c’est là que les violences commencent et souvent c’est des violences verbales, des coups et blessures. Et plus loin des violences plus accentuées sur la femme. Il y a aussi le problème de la belle-famille, c’est la deuxième cause.
Souvent, elle s’immisce dans le mariage et quand la femme a des problèmes avec sa belle-famille le mari prend souvent part pour sa famille et c’est des frottements. Nous avons aussi d’autres causes que sont la drogue et l’alcool. La tendance est qu’un mari qui se drogue ou prend de l’alcool violente souvent sa femme. Et pour que ces violences au niveau conjugal cessent, il faut encore une fois la dénonciation.
Est-ce qu’il y des peines bien définies pour les auteurs de violence conjugale ?
Il y a des peines d’emprisonnement. Si c’est des coups et blessures, elles peuvent aller, selon la gravité des blessures, de 2 à 5 ans. Maintenant s’il y a handicap physique, la peine est encore plus accentuée. C’est là que le législateur amène les circonstances aggravantes. Le législateur dit qu’il y a des circonstances aggravantes parce que, c’est le mari qui a violenté et de ce fait il sera puni beaucoup plus sévèrement.
Ces peines de prison ne dissuadent pas les hommes qui violentent leurs femmes parce qu’ils savent que certaines femmes ne vont pas jusqu’au bout. Car beaucoup d’entre elles désistent au milieu de la procédure judiciaire. Donc, certains hommes s’en sortent impunis.
Cette impunité fait qu’il sera difficile de mettre un terme à la violence conjugale. Mais, depuis 1980 le meurtre commis sur l’épouse n’est pas excusable et la sanction est l’emprisonnement à perpétuité à moins que l’époux au moment de commettre l’acte fût en danger.
Est-ce qu’il y a une politique de réinsertion sociale pour ces femmes battues. Car beaucoup d’entre elles, malgré les violences qu’elles ont subies ne peuvent pas quitter le domicile conjugal faute de moyens ?
Tant que la femme est dépendante économiquement elle subit la violence, elle n’aura pas de voix. Dans la plupart des cas, c’est ce que nous disent les femmes. Je ne peux pas quitter le domicile car je n’ai pas où aller ou quand je quitte le domicile conjugal, je ne peux pas me prendre en charge. Souvent le mari vous laisse avec les enfants parce que vous avez quitté le domicile et il ne vous donne rien.
Tant que la femme est économiquement dépendante, elle va subir la violence. Et c’est ça, le combat de l’Ajs : Faire de sorte que les femmes connaissent leurs droits d’abord parce que si elles ne connaissent pas leurs droits elles ne pourront pas agir.
Elles ont des droits humains qui doivent être respectés. Nous faisons des plaidoyers au niveau de l’Etat pour leur réinsertion. C’est ce que l’Etat est en train de faire à travers le ministère de la Famille.