1 500 ENFANTS SUR LA LISTE D'ATTENTE
CHIRURGIE CARDIAQUE PÉDIATRIQUE

Beaucoup d'enfants au Sénégal naissent avec une cardiopathie. Avec une prise en charge très coûteuse : 2 millions si le traitement se fait au pays et 6,5 millions si c'est en France. 1 500 enfants attendent d'être opérés par la Chaîne de l'Espoir qui appuie le centre cardio-vasculaire de Fann. Reportage.
L' endroit est isolé au sein de l'Hôpital Fann. C'est un lieu très calme avec un imposant bâtiment de couleur beige. Il s'agit du service de cardiologie dudit hôpital. Un jardin bien entretenu jouxte le bâtiment. Ici sont traités les enfants à cœur ouvert. C'est-à-dire les enfants qui naissent avec une cardiopathie. Ils sont nombreux au Sénégal et le coût du traitement est excessivement cher. Pour opérer un enfant à cœur ouvert au Sénégal, il faut 2 millions, et 6,5 millions si celui-ci est évacué en France.
C'est pourquoi l'Ong "La Chaîne de l'Espoir" collabore avec le centre cardio-vasculaire de Fann, depuis 2004, pour le développement de la chirurgie cardiaque pédiatrique au Sénégal. L'équipe vient trois fois par an opérer gratuitement avec les chirurgiens sénégalais, pendant une semaine. Ces enfants sont malades de cardiopathie congénitale de la naissance, ou mal soignée après une angine, explique Paul Nahon de la Chaîne de l'espoir, à l'entrée du bloc opératoire.
Il s'apprête à nous faire visiter des lieux. Auparavant, il faut mettre la tenue adéquate. Tout le monde est couvert, de la tête aux pieds : un masque-nez pour ne pas respirer l'air du bloc, des couvre-sandales, un pantalon et boubou assortis de la même couleur. A l'intérieur du bloc, il y a deux compartiments. Dans le premier, la parole est permise.
Paul Nahon prévient : "Ces enfants qu'on a opérés peuvent mourir à tout moment. Il y a 11 enfants qui sont opérés. Chaque jour, on en opère deux. Il y a une liste d'attente de 1 500 enfants à opérer". Le ciblage des enfants à opérer est du ressort des cardiologues de Fann. Ils les repèrent selon la gravité et l'urgence.
Un travail à la chaîne
Dans le second compartiment, c'est le silence total. Un corps inerte est allongé sur un lit d'opération, couvert d'un drap vert. Les chirurgiens s'affairent autour de la poitrine qui est ouverte pour les besoins de soins. On communique par des gestes. Le professeur Daniel Roux et son équipe de chirurgiens opèrent l'enfant qui souffre d'une tétralogie de cep-halo, une pathologie cardiopathie congénitale. Régulièrement, le chirurgien tend la main et l'assistante sait exactement de quoi il a besoin. C'est un travail à la chaîne qui se fait dans cet endroit rempli de machines.
Pour opérer, on enlève tout le sang du corps et du cœur qui va dans une machine qui tourne pendant une heure. Le cœur s'arrête de battre. On opère en ce moment-là. Le cœur est ouvert et le sang a été transféré en circulation extra corporel (CEC). Une fois qu'on remet le cœur après l'opération, il se remet à battre. Après l'opération, les enfants vont en réanimation, pendant deux à trois jours et ils sont guéris définitivement. Ils sont sauvés pour le restant de leur vie.
"Tout mon corps me fait mal aussi"
En salle de réanimation est couchée la petite Diariétou Yafa. Visage émacié, elle est très pâle. Un respirateur artificiel l'aide à bien respirer. Les pouces seringues sont placés un peu partout sur son corps. Des pompes à morphine, entre autres produits, apaisent sa douleur. Agé de 13 ans, elle souffrait aussi d'une cardiopathie. Mais elle se sent mieux, après son opération hier (lundi). La voix aphone, on l'entend à peine. "J'ai mal à la gorge. Tout mon corps me fait mal aussi. Mais, je me sens mieux par rapport aux autres jours", dit-elle.
Diariétou est en classe de CM2. Elle dit être très pressée de revoir ses camarades de classe, surtout ses parents. "Je pense que je vais guérir pour passer mon examen de fin d'étude élémentaire", souhaite-t-elle. Dès le soir, elle pourra s'allonger sur un lit normal. "Normalement, elle sort cet après-midi", souffle Paul Nahon.
Les différentes causes
L'opération n'est pas du tout facile. De la préparation de l'enfant à l'opération, en passant par son habillement et l'anesthésie, il faut au moins 4 à 5 heures de temps. Le chirurgien Eric Dièye explique que ces cardiopathies congénitales sont parfois liées à des anomalies génétiques. Il y a des gens qui naissent avec des syndromes anormales.
"Il y a des situations où il y a des prédispositions génétiques. Le deuxième problème, ce sont les angines mal soignées. Les angines mal traitées peuvent être à l'origine de pathologies valvulaires. C'est la bactérie qui est à l'origine de l'angine qui va se greffer sur la valve cardiaque et qui va atteindre la valve. On l'appelle un rhumatisme articulaire aigu et une altération de la valve cardiaque", explique Dr Dièye.
Pour éviter ce genre de pathologie valvulaire, il conseille la prévention et le dépistage des angines précocement, en les traitant sous antibiotique uniquement. "On peut parler de la pathologie rhumatismale du rétrécissement mitral. Le plus souvent, on remplace la valve mitrale qui est atteinte."
A propos du patient pris en charge par le professeur Daniel Roux et son équipe, le chirurgien explique :
"Sur le plan médical, il y a la voie qui sert à éjecter le sang du ventricule droit dans l'artère pulmonaire qui est sténosée. Alors que normalement, cette voie permet l'éjection du sang qui est contenu dans le ventricule droit, sang qui théoriquement doit être acheminé jusqu'au poumon pour être oxygéné. Cette voie est sténosée, le sang est dévié vers une communication interventriculaire entre le ventricule droit et le ventricule gauche et celui-ci désoxygéné passe dans la circulation générale, à travers l'aorte. Parce qu'il n'arrive pas à oxygéner de façon satis faisante l'organisme. Ce sont des pathologies cyanogènes avec un sang peu oxygéné par rapport à un individu normal".
A cause de la présence des chirurgiens français, les opérations sont faites à un rythme soutenu. Mais, s'ils ne sont pas au Sénégal, les cardiologues sénégalais opèrent les enfants, mais à un rythme moins élevé.
Construction d'un centre en juin prochain
D'ailleurs, un institut cardio-pédiatrique va bientôt être créé. Initié en 2012 avec l'accord du ministère de la Santé et de l'Action Sociale, le projet de construction du centre sortira de terre à partir de juin 2015, grâce à l'engagement financier de la Fondation monégasque Elena Cuomo.
Selon Paul Nahon, cet institut cardiopédiatrique Cuomo de Dakar se fera en collaboration avec les associations impliquées dans La Chaîne de L'Espoir Europe, dont l'objectif est de mettre en commun les ressources et compétences des associations adhérentes. Ce sera le cas avec l'association installée à Milan qui sera chargée d'une partie de la formation, notamment en accueillant à la polyclinique St Donato des équipes sénégalaises pour des stages en formation.
Financé à hauteur de 5 à 6 millions d'euros (soit 4 milliards F Cfa), ce centre permettra d'opérer d'abord des enfants sénégalais et ceux de la sousrégion. "On va commencer les premières opérations par 500 enfants par an. Puis cela va monter à 3 000 enfants. L'important pour nous, c'est de faire, de moins en moins, amener les enfants en France, et de plus en plus opérer sur place", confie M. Nahon.
La Chaîne de l'Espoir ne vient pas seulement pour opérer les enfants. Elle vient aussi faire de la formation pour les chirurgiens sénégalais. La formation se fait aussi pour les infirmières de réanimation.
PR IBRAHIMA BARA DIOP, CHEF SERVICE CARDIOLOGIE MÉDICALE
"Ceux qui sont opérés actuellement constituent moins de 5% de la demande"
Aujourd'hui, il y a plus de 1 500 enfants souffrant de pathologies qui sont sur la liste d'attente. Comment gérez-vous cette situation ?
C'est une situation complexe. Car tout le monde n'a pas accès au centre. Pour ceux qui arrivent, il y a un tri que nous faisons. Et cette sélection est fondée sur les possibilités chirurgicales, parce que tout ne peut pas être opéré. L'infrastructure et l'équipement ne permettent pas d'opérer des moins de 10 kilogrammes. Donc tous les enfants qui pèsent moins de 10 kilogrammes sont exclus. Pour opérer des moins de 10 kg, il faut plus d'investissements en termes d'équipements, de personnels, de formation. Et en plus tout dépend des possibilités des chirurgiens.
Est-ce à dire que le Sénégal a encore des difficultés en matière de chirurgie cardiaque pédiatrique ?
La réalité, c'est que tout chirurgien cardiaque ne peut pas tout opérer. Comparé au Maghreb, il n'y avait pas une autonomie pour la chirurgie cardiaque pédiatrique. Eux, ils font venir des chirurgiens ou évacuent les cas les plus complexes. En France même, il y a des villes entières qui ne sont pas autonomes sur des cardiopathies de petits poids. D'où des évacuations sur Paris. Dakar est un carrefour où nous avons l'ambition de pouvoir développer un centre qui puisse faire ce travail. Avec des partenaires, c'est un travail de longue haleine et ça nécessite beaucoup d'investissements. Ceux qui sont opérés actuellement constituent moins de 5% de la demande. On n'est pas du tout sorti de l'auberge. Et il y a encore beaucoup de travail à faire.
Et ceux qui n'ont pas les moyens de se payer une opération ?
Leur cas se complique et souvent ils décèdent. Sauf si les organisations humanitaires les évacuent. Chaque année, on évacue des enfants, mais les humanitaires choisissent ceux qui correspondent à leurs critères, en particulier les moins chers et les moins compliqués. Donc on n'est pas autonome et il suffit d'avoir un enfant qui accède d'une mal formation pour s'en rendre compte. Nous sommes dans un dédale de problèmes. Du Maroc à l'Afrique du Sud, il n'y a que le Sénégal, ce qui veut dire qu'il y a un besoin de tous les pays qui nous entourent. C'est un centre qui a une ambition sous régionale.