ACTE 3 DE LA DÉCENTRALISATION : QUEL CONTENU POUR LA PHASE 2 ?
En promulguant l’Acte 3, le président Macky Sall adopte une posture idéologique qui change la matrice spatiale de gouvernance locale du Sénégal avec, notamment, la communalisation intégrale et la « collectivisation » du département.
Un certain nombre de questions s'imposent aux spécialistes de l'aménagement et du développement territorial, au terme des élections locales du 29 juin der- nier, qui ont consacré la phase 1 de l'Acte 3. Le passage de la Communauté rurale à la Commune garantit-il les équilibres recherchés et la correction des inégalités entre les territoires qui font la diversité de notre pays ?
La promotion du département en collectivité locale de plein exercice, tout en gardant les contours administratifs actuels, est-elle compatible avec l’obligation de requalification de l’espace que vise la territorialisation des politiques publiques ?
Sans être dans le secret des Dieux, je pense que la phase 2 de cet Acte 3 sera déterminée par la quête d'un "optimum territorial" c'est-à-dire un cadre idéal pour la mise en œuvre de l'action publique. Aujourd'hui, les pôles urbains de Diamniadio et du Lac rose constituent-ils les embryons des ces "territoires- pôle" économiques recherchés pour la mise en cohérence de l'action publique ?
Demain, d'autres pôles (industriels, miniers, agricoles, culturels, etc.) consacreront-ils le changement de statut du territoire pour de- venir le moteur et l'objet de la transformation de l'action publique ? De toute façon, l'affirmation de la toute-puissance de l'Etat sur le destin du territoire que révèle cette (re) prise en main, concomitamment au renforcement des prérogatives des collectivités locales, démontre que les nouveaux territoires de l’action publique (Communes et Départements) ne résolvent pas définitivement la question de l’échelle territoriale optimale.
Dans la dialectique décentralisation/développement local, la détermination de l’échelon territorial le plus efficace pour une gestion de proximité est une condition sine qua non. Mais, faut-il opposer le proche au lointain pour exprimer une exigence de proximité ou s’agit-il tout simplement de compléter le mouvement d’en haut par un mouvement d’en bas pour une véritable gestion locale par la planification ascendante ? Voilà le contexte objectif qui encadre la mise en œuvre de la phase 2 de l’Acte 3.
La phase 2 ne doit pas seulement être une politique qui vise des objectifs de "contrôle poli- tique" des territoires (ou mieux des terroirs) mais d'une politique qui permet d'asseoir des territoires viables et compétitifs, porteurs d’un développement durable. D'ailleurs, le découpage des départements de notre pays recoupe, dans bien des cas, le tracé des anciens royaumes ou provinces.
La recherche, d’un espace vécu comportant une homogénéité socio- culturelle et économique et un fort sentiment d’appartenance, a justifié, me semble t-il, le désir de réinvestir le département afin d’en faire un vecteur pour une bonne politique de décentralisation. En comparaison au découpage régional, il est ici recherché des valeurs idéelles et symboliques très fortes, porteuses de sentiments d’appartenance et d’identification.
Les liens sociologiques entre l’acteur et son espace sont des opportunités pour construire de nouveaux espaces politiques fondés sur une autonomie réelle, une démocratie et une participation citoyennes et, enfin, une administration de proximité reconnue.
L'Acte 3 n'est pas une réforme partisane, il est une réforme majeure. C'est un acte d'aménagement du territoire qui répond à un impératif de rééquilibrage des investissements sur les territoires en fonction de leurs spécificités et selon le principe sacro-saint d'équité et de solidarité. A ce titre, la seconde phase devrait d'urgence engager dans le cadre d'un processus multi-acteurs, entre autres :
- l'association des collectivités locales aux opérations des différentes phases de la chaîne fiscale (maîtrise et fiabilité de l’assiette, recouvrement, contentieux, etc.) et la création de centres fiscaux dans les départements ;
- l’amélioration des critères de répartition du FDD et du FECL tenant compte de la superficie de la collectivité locale en question, de son niveau de peuplement, de son niveau d'équipement de base de son enclavement, etc.;
- la mise en place d’un fonds de péréquation alimenté par la TRIMF, la taxe sur les exploitations minières, une quote- part sur les péages d’autoroutes, sur les débarquements des quais de pêche et bacs, les nuitées d’hôtel, les transferts d’argent, etc.;
- l'encadrement des "emprunts souverains" des collectivités locales avec la mise en place d'un dispositif de mise en cohérence des politiques locales pour le développement à travers une conférence d'harmonisation (sous la férule d'un Etablissement public intercommunal).
Le renforcement de la décentralisation ne signifie pas ipso facto le retrait de la responsabilité de l'Etat surtout pour un pays en construction comme le notre mais, la mise en synergie des actions portées par tous acteurs territoriaux (Etat, élus locaux, organisations citoyennes, Ong, etc.) pour atteindre les objectifs du Plan Sénégal Emergent.
Parce que dans l’absolu, le territoire, réalité complexe qui traduit les contraintes et choix d’une société à un moment donné, se construit, se déconstruit et se reconstruit par projections idéalisées, idéelles et objectivées.