AMADOU SALL : ''L’ABSENCE DES FILLES DE KARIM PESE PLUS SUR LUI QUE CELLE DE SON PERE''
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Karim Wade pense à ses filles qui lui manquent beaucoup. Son avocat, Me El Hadji Amadou Sall, en a fait la révélation dans cet entretien accordé à L’Observateur. Il déclare que c’est moins l’absence de Me Wade que celle de ses filles qui pèse sur Karim Wade. Revenant sur les retrouvailles de la famille libérale, Me El Hadji Amadou Sall confirme son choix par Me Wade comme Secrétaire exécutif de cet appel, non sans décliner sa feuille de route. L’avocat révèle ce qui sera sa mission dans ces retrouvailles qui démarrent par l’unité organique des libéraux dans le Pds avant l’Alliance gouvernementale libérale voulue par Me Abdoulaye Wade. Entretien.
Me Sall, on parle d’une lettre que Me Abdoulaye Wade aurait envoyée au Président Macky Sall par l’intermédiaire de l’homme d’affaires Cheikh Amar pour l’inviter aux retrouvailles de la famille libérale. Êtes-vous au courant de l’existence d’une telle lettre ?
Il est tout à fait normal, dans une démocratie majeure comme la notre, que l’ancien chef de l’Etat et son successeur se parlent. Abdou Diouf et Abdoulaye Wade se sont régulièrement entretenus pendant douze ans ; il devrait en être de même avec Macky Sall. Cependant, j’ai eu connaissance de la lettre dont vous parlez à la suite de la publication qui en a été faite dans la presse et j’en trouve le contenu très pertinent. Je partage ce que le Président Wade recommande au Président Macky Sall. Il a raison de lui demander de reconnaître qu’il a été trompé et qu’il n’y a pas de milliards volés et planqués à l’étranger. Le Président Wade a tout aussi raison de lui conseiller d’avoir l’humilité et la sagesse du Président Houphouët-Boigny qui a été encore plus grand en reconnaissant publiquement avoir été trompé concernant quelques-uns de ses collaborateurs, arrêtés pour complot «imaginaire», sévèrement torturés, jugés et lourdement condamnés. Le Président Wade a enfin raison de conseiller au Président Macky Sall de se réconcilier et de se rapprocher de ses frères libéraux.
Dans le document écrit par Me Wade et qui parle de retrouvailles de la famille libérale, il vous cite comme le Secrétaire exécutif. Quel rôle vous jouez dans ces retrouvailles ?
Je remercie le Président Wade de la confiance qu’il m’accorde en me désignant Secrétaire exécutif de l’appel pour la réunification de la famille libérale. Mon rôle est très simple, il consiste à assurer le secrétariat de «l’appel» et coordonner sa mise en œuvre.
Mais en faisant quoi exactement ?
Avec les militants et autres responsables du parti, nous allons nous investir davantage à la réunification et à la massification du Pds en mettant un soin particulier à veiller au retour de ceux qui étaient partis, à les accueillir les bras ouverts, dans l’unité et la concorde. Il nous faudra également définir ensemble un cadre politique pour bien mener les discussions avec les autres frères libéraux.
Me Wade vous a-t-il recommandé de rencontrer les personnes concernées par ces retrouvailles ?
Il y a deux niveaux d’appréciation de l’appel à la réunification de la famille libérale. Le premier niveau concerne l’unité organique des libéraux dans le Pds. Il s’agit de mettre tout en œuvre pour renforcer le rôle hégémonique du Pds en tant que parti libéral et en tant que force politique alternative. L’objectif est d’élargir la base sociale du parti en le rendant encore plus attractif par une présence massive à la base et par l’unité de sa direction. Le renforcement du parti passe aussi par le retour de tous ceux qui sont partis, notamment ceux qui l’ont fait après la grande défaite de l’élection présidentielle (de 2012). Le deuxième niveau d’appréciation de l’appel du Président Wade vise une Alliance gouvernementale libérale capable d’offrir aux Sénégalais une véritable perspective d’émergence économique.
Avez-vous saisi le Président Macky Sall ou les autres libéraux comme Idrissa Seck, Pape Diop dans ce sens ? Si oui, quand est-ce que vous l’avez fait ? Sinon qu’attendez-vous pour le faire ?
Comme je vous l’ai déjà dit, le premier aspect de l’appel du Président Wade concerne l’unité organique des libéraux dans le Pds. Nous nous y attelons et suivons les recommandations du Président Wade qui nous demande, entre autres, de bannir les courants et autres mouvements et consacrer l’essentiel de nos forces à nous renforcer. Ensuite seulement, avec les autres libéraux, notamment ceux que vous citez, créer les conditions d’une véritable Alliance gouvernementale libérale. Le moment venu naturellement, les discussions seront engagées avec tous ceux qui se réclament du libéralisme.
Que voulez-vous dire par «le moment venu» ? Qu’attendez-vous pour démarrer les discussions ?
Le monde n’est pas tel qu’on voudrait qu’il soit, il est tel qu’il est. Il nous appartient d’avoir l’intelligence du moment politique pour être efficace. L’appel du Président Wade est un appel public, porté donc à la connaissance de tout le monde. Il est en train d’être mis en œuvre en ce qui concerne son premier aspect. Chaque chose en son temps. Le moment de l’alliance politique viendra après le moment de l’unité organique.
Pensez-vous que cet appel de Me Wade a une chance de prospérer dans le contexte actuel où les relations entre Macky Sall et les représentants du Pds ne sont pas des meilleures ?
Tous les libéraux ont un intérêt évident à assumer une hégémonie politique commune dans le cadre d’une grande Alliance gouvernementale libérale. Le Pds, en ce qui le concerne, a vocation à jouer un rôle décisif dans le champ politique. L’histoire politique de ces quarante dernières années a fait de notre parti le plus grand parti du Sénégal et aujourd’hui ou demain le Pds est amené à occuper la place qui correspond aux ambitions qu’il a pour le Sénégal. Les libéraux, dispersés dans plusieurs organisations, feront leurs retrouvailles et assumeront leur destin.
Quelle est la position officielle du Pds par rapport à ces retrouvailles de la famille libérale ?
Le Pds s’accorde avec son Secrétaire général national qui est son inspirateur naturel. Ses analyses et conseils sont toujours les bienvenus et nous nous ferons un devoir de les mettre en pratique.
D’aucuns pensent que Me Wade veut ces retrouvailles uniquement pour faire libérer son fils Karim Wade. Qu’en pensez-vous ?
Ceux qui pensent ainsi sont de mauvaise foi. Les Sénégalais se souviennent encore des paroles de Me Wade au moment de la passation des pouvoirs avec Macky Sall, comme ils se souviennent de la constance de sa position sur la réunification de la famille libérale qui, selon lui, a les moyens de gouverner le pays pendant cinquante ans encore. Lorsque le Président Wade faisait connaître sa position sur la réunification de la famille libérale, c’était déjà à l’occasion de sa première adresse à la presse, début 2012, et à ce moment, on ne parlait pas encore de traque de biens mal acquis.
Mais est-ce qu’avant de parler de retrouvailles de la famille libérale, ne devriez-vous pas d’abord régler le problème du leadership du Pds qui tarde à avoir de chef depuis le départ de Me Wade ?
Mais Me Wade est toujours le Secrétaire général national du Pds. Le problème du leadership ne se pose pas du tout. Nous sommes un parti démocratique et chaque militant a le droit de participer à n’importe quelle compétition pour occuper quelque poste que ce soit. Au Pds, on procède à des élections démocratiques et transparentes dont les résultats sont acceptés par tous. Vous serez surpris par notre sérénité, notre unité, notre détermination et notre force lorsque le moment de choisir viendra.
Si toutefois il y a retrouvailles, qui serait le leader de cette famille libérale ?
Le Parti démocratique sénégalais (Pds) a vocation naturellement à demeurer la seule force hégémonique capable de fédérer les libéraux. Cependant, une Alliance gouvernementale libérale tiendra compte des réalités à la fois politiques et institutionnelles au moment de sa formation.
Me Wade a-t-il des nouvelles de son fils emprisonné ? Est-ce qu’ils se parlent au téléphone ?
Les nouvelles que Me Wade a pu avoir de son fils, il les a eues indirectement par l’intermédiaire d’autres personnes, notamment Mme Viviane Wade qui s’est entretenue avec son fils lors de son dernier séjour au Sénégal. Me Wade et son fils ne peuvent pas se parler directement. Tout le monde sait que Me Wade est un homme politique qui a subi toutes sortes d’atteintes à ses droits et à sa personne pour l’empêcher d’accéder au pouvoir. Il a la claire conscience que Karim Wade n’a commis aucun crime ou délit et qu’il a exercé les responsabilités qui lui étaient confiées avec vertu et dignité. Il lui a conseillé d’avoir foi et de considérer son emprisonnement comme une épreuve pour renforcer sa détermination à s’enraciner davantage dans les vertus d’honneur et de probité qui font la fierté de notre peuple qui ne rompt jamais devant la force injuste. Il lui conseille aussi de se souvenir et de se soumettre à Dieu qui éprouve ceux qu’Il aime.
Comment Karim vit-il l’absence de son père ? Est-ce qu’il lui arrive de vous demander de ses nouvelles ?
C’est moins l’absence de son père que celle de ses enfants qui lui pèse le plus. Voilà trois petites filles, orphelines de leur mère, qui ont subi les affres d’une enquête indigne sur un patrimoine inexistant qui serait le leur et qui vivent loin de leur père dont elles savent, malgré leur jeune âge, qu’il est victime d’un règlement de comptes politiques.
En tant qu’avocat de Karim Wade, est-ce que le dossier évolue ?
Je vous renvoie et confirme l’essentiel de ce que la presse a déjà écrit : la montagne va accoucher d’une souris et aujourd’hui les Sénégalais, dans leur écrasante majorité, en sont arrivés à la conclusion que tout le dossier contre Karim Wade est un grossier montage qui fera particulièrement mal à notre système judiciaire qui aura permis à un Etat revanchard de porter atteinte impunément à l’honneur et à la dignité de citoyens honnêtes et vertueux. La seule chose qui s’impose et qui peut contribuer à redorer le blason de la justice est de le laver de tout soupçon en lui rendant sa liberté.
Comment appréciez-vous, en tant qu’avocat, la mainlevée de l’Administration provisoire de DP World et l’affaire Ahs ?
Je partage les interrogations de Madiambal Diagne s’agissant de la rupture de l’égalité et de dignité entre deux parties à un même procès. Autant le refus opposé aux avocats de DP World fut étrange, autant la rapidité de la réponse favorable à la demande du Procureur spécial est suspecte, tant les demandes sont identiques. Mais depuis le début, nous avons clamé haut et fort que Karim Wade est blanc comme neige et que la voie empruntée par l’enquête faite sous le contrôle et la supervision du ministère de la Justice va nous mener droit vers l’impasse avec en prime la fuite des investisseurs qui ne peuvent faire confiance à un pays qui prend des sociétés cotées en bourse, à l’image de Fraport (Allemagne), Menzies Aviation (Grande-Bretagne) ou DP World (Londres et Dubaï), comme de vulgaires aventuriers travaillant pour le compte d’hommes politiques. Un gouvernement qui procède de cette façon exprime une dangereuse désinvolture et une incompétence incompatibles avec les intérêts de son peuple dont il faut abréger les terribles souffrances.
Ne pensez-vous pas que la déclaration du ministre de la Justice Aminata Touré, tenue ce week-end, vise principalement votre client ?
La déclaration du ministre de la Justice et responsable politique du parti présidentiel cache mal l’angoisse du président de la République qui n’est préoccupé que par son improbable réélection, tant les Sénégalais sont déçus par son incurie et son incompétence à faire face aux multiples problèmes auxquels ils sont confrontés. Les responsables de notre parti qui ont géré le pays avec honneur et vertu ne se sentent pas concernés par la déclaration du ministre de la Justice. Si la justice fait son travail convenablement, personne ne sera condamné, puisque aucune faute à caractère criminel ne peut être relevée dans la gestion des affaires de l’Etat. Macky Sall, même s’il est candidat unique, ne peut être réélu s’il n’apporte pas de réponses aux préoccupations et attentes des Sénégalais et ce ne sont pas les derniers soubresauts d’un pouvoir fini qui changeront les choses. Déjà qu’il est terrifié à la seule idée d’aller en banlieue, alors, s’il s’agira demain d’affronter tous les Sénégalais, c’est sûr qu’il n’osera même pas sortir de son Palais.