Assane Diagne, la mort d’un génie et bâtisseur profondément ancré dans son terroir
Du temps de la Révolution culturelle chinoise, on parlait des « rouges », c’est-à-dire les militants du Parti Communiste Chinois (PCC), par opposition aux « experts », une catégorie qui correspondait, en gros, à celle des technocrates d’aujourd’hui. Naturellement, les premiers, sous la houlette du Grand timonier, Mao-Tse Toung (ou Mao Ze Dong) n’avaient que mépris pour les seconds qui avaient le savoir, certes, mais présentaient le défaut rédhibitoire de ne pas être des adhérents du PCC ou, en tout cas, de ne pas être éclairés par la pensée lumineuse du camarade Mao ! D’affreux petits-bourgeois en somme.
De Assane Diagne, qui vient d’être brutalement arraché à l’affection des siens, ont peut dire qu’il était tout cela à la fois puisque « rouge », il l’était à travers son engagement politique sans faille dans le mouvement marxiste sénégalais puis de la social-démocratie. Quant à être « expert », on pouvait difficilement trouver un homme aussi brillant, aussi diplômé et maîtrisant à ce point son sujet !
Assane Diagne fut en effet un membre fondateur de la Ligue Démocratique / Mouvement pour le Parti du Travail (LD/MPT) dont il siégea dans les plus hautes instances après avoir été un membre particulièrement actif du MEEPAI (Mouvement des Elèves et Etudiants du Parti Africain de l’Indépendance) et un dirigeant de premier plan de la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique noire en France). Plus tard, il a fait partie des intellectuels marxistes ou trotskistes qui ont rejoint le Parti Socialiste lorsque le vieux parti senghorien entreprit sa Refondation.
Parmi ceux-là, on peut citer Abdourahim Agne, feu le professeur Babacar Sine et même, à un moment donné, l’avocat Ely Ousmane Sarr, voire le cinéaste Cheikh Ngaïdo Bâ. Ou encore Mamadou Seck, qui passa ensuite dans le camp des libéraux avant de devenir président de l’Assemblée nationale après une brève carrière ministérielle. Personnage entier, ne sachant pas faire dans la demi-mesure, Assane fut sans doute l’un de ces ex-gauchistes qui s’engagea le plus résolument et apporta la plus éclatante contribution à la mise en œuvre de la Refondation.
Surtout, plutôt que de se contenter de siéger au comité central ou au bureau politique, voire de théoriser au sein des instances de cadres du PS comme le GER (Groupe d’Etudes et de Réflexions), lui, il avait choisi de se constituer une base, de prouver sa représentativité au niveau des instances inférieures et de gagner sa propre légitimité. C’est dans le département de Bambey, dans la région de Diourbel, qu’il est allé se constituer cette base au milieu de ses parents Baol-Baol.
On aurait pu croire que l’intellectuel occidentalisé bardé de diplômes et ex-militant de parti d’avant-garde qu’il était aurait du mal à s’implanter dans ce milieu rural dont il était, il est vrai, issu. C’était mal connaître Assane Diagne. Redevenant le Baol-Baol qu’il n’avait jamais cessé d’être malgré les longues années passées en France, et évoluant comme un poisson dans l’eau, il a su convaincre les habitants de cette contrée d’adhérer à sa cause. Surtout qu’il avait multiplié les réalisations sociales au profit de son terroir.
Postes de santé, écoles, puits, murs de cimetières construits par Assane Diagne ne se comptaient plus. Sans oublier l’électrification de villages, la contribution à toutes les cérémonies sociales ou religieuses, les élèves et étudiants dont il prenait en charge les études… Bref, Assane était une sécurité sociale ambulante. Il n’était véritablement dans son élément que dans le Baol, au milieu de ses parents. Il fallait le voir à Baba Garage, village qu’il avait doté de toutes les commodités d’une ville, et dont il avait fait la place forte de son expansion politique. Plusieurs fois, il a invité le Bureau politique du Parti Socialiste en ses terres et plusieurs fois il y avait convoyé des journalistes auxquels il tenait à faire découvrir son « pays ».
Bref, Assane était à ce point ancré dans ce terroir qu’il était devenu incontournable — voire indéboulonnable — dans le département de Bambey. Et bien qu’il militait dans le département, c’est-à-dire dans la zone rurale, son influence s’étendait jusque dans la commune. Intellectuel organique (au sens gramscien du terme) brillant, Assane Diagne avait su conquérir les masses et se faire adopter par elles.
Par la suite, au lendemain de la première Alternance survenue en 2000, il avait adhéré au Parti démocratique sénégalais (PDS). Hélas, il n’y obtiendra pas des responsabilités à la mesure de son immense talent, de sa haute expertise et de son importante base politique. Il fut néanmoins appelé par le président Abdoulaye Wade à son cabinet de la présidence de la République dont il voulait d’ailleurs lui confier la direction, à ce qu’on dit.
Toujours est-il que, faisant de l’ombre à certains responsables libéraux au Château, il fut poussé dehors avant de se voir tout de même confier le portefeuille de l’Urbanisme au sein du gouvernement. A peine avait-il eu le temps d’y prendre ses marques qu’il était limogé sans élégance aucune. Elu député à l’Assemblée nationale et se tournant les pouces Place Sowéto, l’enfant de Baba Garage a préféré, avec beaucoup de dignité et de courage, rendre le tablier. Par la suite, même si, durant la dernière élection présidentielle, il avait mené quelques activités, Assane avait surtout pris du recul, apparaissant rarement dans les cérémonies, jusqu’à son décès brutal survenu l’autre samedi… Cela, c’était pour le côté « rouge » de Assane.
Quant à son côté « expert », il était tout simplement époustouflant. Un peu comme feu Sémou Pathé Guèye avec qui d’ailleurs il partagea un cheminement scolaire et universitaire à peu près semblable, Assane était tout simplement un génie. Matheux hors pair, il a écrasé tous ses condisciples du lycée Malick Sy de Thiès et raflé les grands prix avant d’aller poursuivre de brillantes études supérieures en France.
Ce tout en menant de pair ses activités politiques et syndicales. Pour avoir une idée du parcours professionnel d’Assane Diagne, qu’il suffise seulement de reproduire ce qu’en mentionne son ami El Hadj Khaly Tall, journaliste retraité du « Soleil » dans l’avis de décès qu’il a publié à l’occasion de sa disparition. On y lit en effet qu’Assane fut « maître en mathématiques, ingénieur en génie civil, architecte Dplg (France), docteur en géotechnique terrestre, ancien directeur technique de la Soned-Afrique, ancien directeur du projet des Parcelles Assainies, ancien Directeur de la Construction et de l’Habitat (DCH), ancien Directeur de l’Urbanisme et de l’Architecture, ancien président de l’ordre des Architectes du Sénégal, ancien directeur général de la Sicap, ancien ministre-conseiller à la présidence de la République, ancien ministre de l’Urbanisme et de l’Aménagement du territoire, ancien député du Sénégal ». Bref, on le voit, la relativement courte vie d’Assane Diagne a été utilement et très bien remplie.
Il convient d’ajouter que le défunt a marqué d’une pierre blanche son passage à la tête de la Sicap en initiant plusieurs programmes dont ceux des Sicap Sacré-Cœur III. C’est aussi lui qui a construit le centre commercial ultramoderne du Plateau, le premier à avoir été doté d’un escalator dans notre pays et même dans la sous-région. Toutes ces réalisations ont été faites à la suite d’un passage à vide au cours duquel la société nationale n’arrivait plus à construire des maisons. C’est sous Assane Diagne que la Sicap avait connu un nouveau départ. Et pourtant, il avait été nommé juste pour préparer la privatisation de la Sicap !
Ayant compris l’importance stratégique de cette société immobilière et, surtout, son rôle social incontestable, il avait su manœuvrer de sorte à la sauver d’une vente au privé. C’est justement à ce moment-là, quand il luttait pour soustraire la Sicap des griffes d’ogres du privé, que nous avions fait la connaissance d’Assane Diagne. S’étaient créés par la suite des liens de grande amitié entre cet homme et plusieurs journalistes du « Témoin » dont, justement, Malick Ba qui devint plus tard son conseiller en communication lorsqu’il fut nommé à la tête du ministère de l’Urbanisme.
Le Témoin se plait donc à rendre hommage à ce brillant cadre, ce bâtisseur de renom qui aura laissé une empreinte indélébile dans la politique d’urbanisation du Sénégal, ce responsable politique proche des populations déshéritées et qui a su faire corps avec son peuple, cet ami généreux qui a toujours été prodigue en publicité pour les journaux sénégalais. Surtout, nous pleurons cet homme sympathique et profondément humain.
A sa famille, nous présentons nos condoléances attristées. Que la terre de Walo Keur Massamba Niang, à quelques encablures de Baba Garage, où il repose désormais, lui soit légère. Adieu, Assane !