DÉPÉNALISATION DE L’AVORTEMENT AU SÉNÉGAL, DES FAMILLES RELIGIEUSES “EN PHASE” AVEC LES ASSOCIATIONS DE FEMMES
AVORTEMENT CLANDESTIN ET INFANTICIDE
Dans son combat pour la modification de la loi sur la santé de la reproduction, l’association des juristes sénégalaises peut compter sur le soutien de certains religieux musulmans. Le débat sur la dépénalisation de l’avortement dans notre pays n’est plus tabou. Des religieux musulmans cautionnent cette nouvelle proposition de loi qui préserve la femme d’une grossesse en cas de viol ou d’inceste. Mais le combat est loin d’être gagné du fait de l’opposition de l’Ong Jamra, de certains islamologues et du veto de l’Eglise.
“Dans le cadre du plaidoyer pour la modification de la loi sur la santé de la reproduction, nous avons fait le tour des foyers religieux. Qui nous ont manifesté leur soutien. Ils jugent que l’islam cautionne l’avortement médicalisé si c’est pratiqué strictement en cas d’inceste, de viol ou lorsque la santé de la femme est en danger avant 120 jours d’aménorrhée.” Ces explications sont de Mme Fatou Ndiaye Turpin, coordonnatrice des programmes de l’organisation de promotion des droits de la femme, du réseau Siggil jigéén.
Elles apportent du baume au cœur des féministes engagées dans la lutte pour la légalisation de l’avortement médicalisé. En effet, depuis que des mouvements de femmes tels que l’association des femmes juristes du Sénégal (Ajs), l’Association des femmes médecins du Sénégal (Fems) et le Comité sénégalais de lutte contre les violences faites aux femmes (Clvf) ont porté ce combat, des voix discordantes ont haussé le ton pour dénoncer un subterfuge qui viserait simplement à détruire les fondements de la société sénégalaise, et par là à agresser les religions monothéistes tel l’islam.
Les femmes affichent le sourire
Aujourd’hui, la task force qui regroupe des ong de femmes, affiche le sourire suite à une tournée auprès des différentes familles religieuses du pays. Tous auraient béni ce projet qui cherche à redonner aux femmes le sourire en donnant vie et à résoudre un problème de santé publique.
De Ndiassane, à Tivaouane, en passant par Louga, (Keur Mountaga Tall, Keur Sam Mbaye, Keur Serigne Abasse Sall), Tambacounda, Touba, Kaolack (Médina Baye, Léona Kanène, Léona Niassène), Thianaba, Yoff, Cambérène..., les chefs religieux ont exprimé des marques de soutien aux organisations de femmes conduites par Mme Fatou Ndiaye Turpin, la coordonnatrice des programmes du Réseau siggil jigéén.
Pour conforter ses dires, Mme Turpin, brandit le rapport d’activités produit à cet effet. Il y est mentionné que “toutes les familles religieuses ont été unanimes à reconnaître que l’enjeu de l’avortement médicalisé en cas de viol et d’inceste ne doit plus être un sujet tabou. Il faut en parler et trouver une solution à ce douloureux problème. Elles ont reconnu que le travail fait par la task force était le leur pour dire qu’ils nous appuient et nous soutiennent dans ce combat.
Toutes les familles ont apprécié la démarche de la task force de venir se concerter et d’échanger avec eux avant de poser le débat au grand public. Certains ont même formulé des recommandations en disant que l’Etat doit prendre ses responsabilités et sanctionner sévèrement les fauteurs. Ils ont également insisté sur la nécessité d’éduquer les populations et de les sensibiliser pour éviter que pareils cas ne se reproduisent. Les religieux demandent d’être informés des suites de la campagne pour un meilleur suivi.” Pour l’heure, Touba n’a pas encore affiché sa position sur le sujet.
L’obstacle Jamra
Pourtant, les féministes sont conscientes qu’un adversaire de taille leur barre la route : l’Ong islamique Jamra. L’Imam Massamba Diop, qui est par ailleurs le coordonnateur de l’observatoire “Mbañ Gacce”, s’est décidé à organiser une tournée au sein des différentes cités religieuses. Un lancement d’une contre pétition est en vue pour neutraliser des “manœuvres” d’organisations féministes pour la légalisation de l’avortement.
Il parle de rejet catégorique de Tivaouane par l’entremise de son porte-parole, Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine. Celui-ci leur aurait signifié que cette loi légalisant l’accès à l’avortement est une agression contre l’islam. “L’Islam rejette l’avortement. La Charia le condamne. C’est une agression contre l’islam et la Sunna du Prophète. Nous partageons ce combat.” La famille omarienne s’est aussi inscrite dans la même logique par la voix du Khalife Thierno Madani Tall.
Pour l’imam Massamba Diop, cette loi ne passera pas dans la mesure où elle risque de couvrir des jeunes filles ou femmes qui, “au détour d’escapades coupables, pourraient s’engouffrer dans cette brèche, se victimiser en prétendant avoir été violée, alors qu’il n'en est rien ! Et du coup, se faire une complice attitrée du meurtre d’un innocent à qui, de connivence avec son avorteur, elle aura injustement fait payer une turpitude d’adultes consentants ! Lesquels ne seront paradoxalement pas inquiétés par la loi.”
D’autres islamologues se disent prêts à faire usage de tous les moyens pour bloquer ce projet. L’islamologue Makhtar Sy, animateur d’une émission religieuse sur la Rdv, a consacré une émission sur ce thème d’actualité qui sera diffusée le vendredi prochain. A l’en croire, l’islam ne pourra jamais avaliser un tel projet. Explications : “Lorsque la santé de la femme qui est dans les liens du mariage est mise en péril, la charia autorise l’avortement.
Mais en cas de viol ou d’inceste, on doit sauver la vie de l’enfant qui ne doit pas payer les erreurs commises par son père. Au lieu de procéder à un avortement, l’islam juge qu’il faut punir l’auteur du viol ou de l’inceste qui mérite même d’être tué.” Pour le religieux, toute grossesse hors mariage est passible de sanction et quelles que soient les circonstances, l’enfant doit être préservé.
L’Eglise oppose son veto
En attendant que les parlementaires adoptent cette proposition de loi qui est encore sur la table du ministère de la Justice, les féministes n’osent pas crier victoire. Elles n’ont pas réussi à convaincre, avec force arguments, l’église catholique qui adopte une posture radicale. Pour l’Eglise, la vie est sacrée et mérite d’être préservée même si les victimes de viol et d’inceste méritent une compassion. La sentence sonne comme un couperet : “Il ne faut jamais tuer.”
Ce qu’en pense l’Islam
L’avortement est diversement apprécié par les écoles juridiques islamiques. Selon l’Ecole Shafî’te : l’avortement provoqué avant quarante jours n’équivaut pas à un crime, même s’il est abhorré. Alors que pour l’école Hanafite : l’avortement provoqué après fécondation est illicite ; de même que l’avortement provoqué est permis dans les quarante premiers jours de la grossesse et interdit après quatre mois de grossesse.
Pour sa part, l’école Hanbalite juge que l’avortement provoqué constitue un sacrilège s’il est provoqué après cent vingt jours de grossesse. Car c’est la période où se manifeste la vie. Or pour l’école Malékite : il n’est pas permis d’expulser la matière fécondée même avant que la grossesse n’ait atteint quarante jours.
Les propositions de l’Association des juristes sénégalaises
La proposition de loi conduite par l’Association des juristes sénégalaises, qui dort encore dans les tiroirs, devra permettre, selon sa présidente Mme Fatou Kiné Camara, d’apporter un réconfort à des milliers de femmes désemparées. En effet, elle juge qu’avec la modification de l’article 305 du Code pénal, “les établissements et les personnels qualifiés pour procéder à l’interruption volontaire de grossesse devront être précisés”.
Comme pour calmer le scepticisme de certains esprits, elle ajoute que ce document “obligera le médecin à demander à la femme, qui se présente pour un avortement médicalisé les preuves que la grossesse a été contractée suite à un viol ou à un inceste. La femme enceinte qui veut avoir une telle preuve devra d’abord porter plainte pour viol ou inceste et ensuite attendre les résultats de l’enquête et du jugement final.
La dépénalisation proposée reste encadrée dans le sens où le médecin, la mère de famille ou le père de famille, le fiancé ou le compagnon qui administre des substances abortives à la fille enceinte, à l’insu de cette dernière, ne pourra pas échapper à la rigueur de la loi pénale”.
Le député Moustapha Diakhaté approuve l’avortement médicalisé
La sortie du président du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar, le député Moustapha Diakhaté, le 8 mars dernier, a sonné comme une contribution de taille pour les promoteurs de l’avortement médicalisé.
Le député a profité de la journée de la femme pour plaider pour la dépénalisation de l’interruption volontaire de la grossesse, qui devra “protéger le droit constitutionnel de la femme de bénéficier de sa maternité”. D’ailleurs, le Sénégal doit, à ses yeux, appliquer l’article 14 du protocole de Maputo” qui stipule, entre autres :
“Les États prennent toutes les mesures appropriées pour protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé, en cas d’agression sexuelle de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus.”
Si cette position lui a valu des tirs groupés de quelques parlementaires et religieux qui jugent qu’il vogue à contre-courant de nos valeurs, le député assume. “Il faut penser à la souffrance des victimes de viol et d’inceste. Des raisons humaines justifient mon soutien pour le combat des femmes mais il ne faut pas perdre de vue que l’islam n’a jamais dit le contraire. Cette loi, loin d’encourager la perversion, vise simplement à protéger des femmes victimes des hommes.”
L’avocat général de la Cour d’assises de Thiès, Mamecor Ndour, ne s’est pas privé de sonner l’alerte, ce lundi 24 mars, face à la recrudescence des cas d’infanticide dans notre pays.
A l’en croire, rien que pour la première session des assises, “neuf cas ont été enregistrés”. D’où l’urgence selon lui de “réfléchir sur la nécessité de voter une loi autorisant la femme d’interrompre ou de conserver une grossesse non désirée pour lutter contre l’infanticide. “Malgré les obstacles dus aux réalités coutumières et religieuses, il faut nécessairement trouver une alternative à cette situation de l’infanticide”, a déclaré Mamecor Ndour.”