D’ALPHA MOLO A MOUSSA MOLO BALDE, SON FILS
Découverte LE ROYAUME DU FOULADOU
Après la guerre de libération contre la domination mandingue, le Fouladou, l’un des derniers nés des royaumes en Sénégambie, connut des hauts et des bas. Puis, survient le sort qu’ont connu tous les royaumes : le déclin. Spécialiste des questions du Fouladou, l’historien Mouhamadou Moustapha Sow, décortique les moments qui ont jalonné les règnes de Alpha et de Moussa Molo Baldé.
Dernier né des royaumes au Sénégal, le Fouladou fut fondé par Alpha Molo Baldé, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Mais d’Alpha Molo Baldé, son fondateur, à son fils Moussa Molo Baldé, le dernier roi dudit royaume, beaucoup d’événements s’y sont passés. Le royaume s’est d’abord déterminé à peaufiner une stratégie à l’interne pour faire face à la domination des Mandingues de l’empire du Gabou. Puis, survient une crise de positionnement entre dirigeants pour le titre de roi. Enfin, une guerre de succession s'était ouverte, qui, combinée à l’effet de la colonisation, va finir par provoquer la dislocation du royaume.
Alpha, de son vrai nom Molo Egué
Spécialiste de l’histoire du Fouladou, le Dr Mouhamdou Moustapha Sow, apporte des précisions sur l’dentité de Alpha Molo Baldé, fondateur du royaume. D’après l’historien, le vrai nom de Alpha est Molo Egué. Alpha est un titre qui signifie «guide» qu’il a acquis, dès son retour du Fouta Djallon, où il a fait ses études coraniques.
Le jeune Molo Egué qui a appris les secrets et techniques de chasse et les rudiments de la guerre auprès de son père Malal et de son maître, le grand Guéladio va s’affirmer comme étant le véritable instigateur de la révolte contre la domination des Mandingues de l’empire du Gabou. C’est dans la forêt de Ndorna que Alpha Molo et ses hommes ont peaufiné le plan de guerre contre le pouvoir mandingue.
«C’est dans la forêt de Ndorna, qui était, à l’époque, le lieu de retraite (daaka) de tous les chasseurs de la localité (province du Firdou), qu’est née, vers les années 1860, l’idée de la révolte contre le pouvoir mandingue du Gabou», rapporte le chercheur, actuellement Conseiller technique au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. L’historien fait remarquer qu’«il y a eu une rencontre dans cette forêt au cours de laquelle, les protagonistes composés de Alpha Molo, Samba Keno, Dialigué, entre autres, se sont entendus pour que tous ceux qui ne pouvaient pas combattre participèrent à l’effort de guerre en fournissant des armes ou des vivres».
A Ndorna, Peulhs nobles et esclaves ont scellé le pacte de l’entente, l’union sacrée pour faire face aux Mandingues du Gabou, informe l’historien. C’est pourquoi, à l’issue de la guerre victorieuse contre les troupes de l’empire du Gabou, Alpha Molo décida alors d’installer la capitale du nouveau royaume à Ndorna, informe-t-il. Et une fois la province du Firdou libérée, le nouveau roi devrait aussitôt faire face à une crise interne. Samba Egué, issu de la famille des nobles, parce que fils de Guéladio, maître de Malal Coulibaly, père d’Alpha Molo, contesta, semble-t-il, la légitimité de ce dernier qui a affiché clairement des ambitions royales au moment de la lutte.
D’après le Docteur Sow, cette lutte entre Alpha Molo et Samba Egué révèle le conflit social qui prévalait entre nobles et esclaves au sein de la société Peulh. Les Peulhs nobles, faisant allusion à Alpha Molo d’origine servile, avaient coutume de dire à cette époque que : «Macuudo lamotaako do ! (Ndlr : un esclave ne va pas régner ici). Aussi, au terme de ce duel fratricide, Alpha Molo finit par éliminer le fils du maître de son père de son chemin, Samba Egué, lors d’une bataille mémorable à Boguel. Alpha Molo va ainsi régner en maître absolu dans son royaume jusqu'à sa mort, à Dandou, en 1881.
Un trône pour trois prétendants
A la mort d’Alpha Molo Baldé, la guerre de succession mina encore le royaume. Elle oppose d’abord son fils, Moussa Molo à son oncle Bakary Demba. Né entre 1845 1847, Moussa Molo Baldé, dont la mère est Coumba Oudé, affiche la volonté de succéder à son père. Mais, la succession de père en fils n’est pas prévue dans le système de dévolution du pouvoir royal au Fouladou. Ce que le Conseil des notables a respecté en confiant le pouvoir à Bacary Demba, fait constater le docteur Sow, même si, par ailleurs, Alpha Molo aurait émis le souhait de voir son fils Moussa Molo lui succéder.
Ainsi, s’ouvrit une période d’instabilités au sommet du royaume. Car Bakary Demba, avec l’appui du Conseil des notables, va défendre le pouvoir qui lui revient de droit. Conscient de la puissance du Conseil des notables, Moussa Molo s’organisa pour prendre de force le pouvoir. C’est en ce moment que surgit un troisième larron issu de la même famille qui lui aussi aspirait à diriger le Fouladou. Il s’agit de Dikory Coumba (le frère de Moussa). De deux on passe à trois prétendants pour accéder au trône. En cette période, la France pointait à l’horizon. Ainsi, Moussa Molo, comprenant la force de Bakary Demba, mais également l’hostilité interne de Dicory, va s’allier avec les Français pour obtenir la signature d’un traité de protectorat en novembre 1883. Avec l’appui des Français, il va combattre et vaincre, d’une part son oncle Bakary Demba et d’autre part son frère Dikory Coumba pour prendre le contrôle effectif du royaume.
Moussa Molo, un grand guerrier, s’allie avec les Français
Les témoignages dans le Fouladou présentent Moussa Molo comme un grand guerrier. «Moussa était effectivement un souverain puissant, fort, intelligent, qui savait jouer sur les divergences de ses adversaires pour imposer sa force», renseigne l’historien qui souligne qu’il a été un chef à la fois autoritaire et intelligent, qui a eu à jouer sur plusieurs registres pour se maintenir au pouvoir pendant au moins 10 ans (1883-1903).
Sur l’homme, le Général Joseph Simon Galliéni, ancien commandant supérieur du Haut-Fleuve, avait écrit ce qui suit : «C’est l’un des chefs les plus intelligents de toute cette partie du Soudan».
Avec l’appui des Français, il va déplacer la capitale de Ndorna à Hamdallaye. Cette nouvelle capitale devient, à partir de 1894, le siège administratif du pouvoir colonial en Haute Casamance. Cependant, sa cohabitation avec le résident envoyé par la France à Hamdallaye va plus tard lui porter ombrage, dans la mise en œuvre de son action politique, souligne l’historien. En effet, le résident a, en dehors de représenter les intérêts de la France qui découlent des clauses du traité, une mission officieuse. Il veillait discrètement aux agissements et mouvements de Moussa Molo. Le roi voit ainsi ses actes surveillés par la France qui l’avait pourtant aidé à accéder au pouvoir. Sa liberté se rétrécit ainsi petit à petit.
Alpha et Moussa Molo reposent, respectivement, en Guinée-Bissau et en Gambie
«Les relations entre Moussa Molo et les autorités coloniales françaises installées à Sédhiou devinrent de plus en plus exécrables et difficiles», explique le Docteur Sow. C’est pourquoi, Moussa Molo, sentant l’étau se resserrer autour de lui, va finir, avec l’aide des Anglais, par se réfugier en Gambie à partir de mai 1903. Après un court exil en Sierra Leone en 1919, il demeura à Kesserkounda, en territoire gambien, jusqu’à ce qu’il rendit l’âme, en avril1931.
Tous les deux rois que sont Alpha et Moussa Molo Baldé ont fini leur vie hors du royaume qu’ils ont soit conquis, soit agrandi. «Aucun des deux rois qui ont eu à diriger le royaume du Fouladou n’a été enterré à l’intérieur du territoire sur lequel il a régné. Alpha Molo Baldé mourut à Dandu, en Guinée-Bissau, tandis que son fils Moussa Molo est mort à Kesserekunda, en Gambie», a souligné le Dr Mouhamadou Moustapha Sow.
Aujourd’hui, les noms de ces deux rois sont immortalisés. Le premier lycée de Kolda porte ainsi le nom d’Alpha Molo Baldé. Quant à son fils, Moussa Molo Baldé, son nom est donné au camp militaire de Kolda. Aussi, le grand caïlcédrat imposant qui se trouve sur la route qui mène vers le camp, au quartier Doumassou, et qui résiste à la pression urbaine, porte également son nom. Il s’agit de l’arbre Moussa Molo.
NAISSANCE DE MOUSSA MOLO ET FIN DU REGNE DE SON PERE
Ce qu’avait prédit El Hadji Oumar
La naissance de Moussa Molo et la fin de règne de son père, Alpha Molo. Voilà deux faits que l’histoire orale du Fouladou rapporte en y scellant un liant avec les prédications faites, en son temps, lors d’une visite chez le roi Alpha Molo, par El Hadji Oumar Foutiyou Tall.
On ne peut pas parler de l’histoire de Fouladou, du royaume d’Alpha et Moussa Molo Baldé, sans que le nom du grand marabout toucouleur, El Hadji Oumar Foutiyou Tall, n’apparaisse. Car, il ressort de la tradition tirée de l’oralité que la naissance de Moussa Molo coïncide avec le passage du grand marabout dans le royaume d’alors de son père.
El Hadji Oumar Tall, disparu dans les falaises de Bandiagara (Mali), aurait, lors de ses pérégrinations dans le Fouladou, prédit la naissance d’un futur deuxième roi du Fouladou. L’historien chercheur, Dr Mouhamadou Moustapha Sow, a confirmé avoir entendu cette version tirée de l’oralité dans ses recherches.
«Il semble que quand El Hadji Oumar était de passage au Fouladou, au cours de ces pérégrinations, il aurait dit à Alpha Molo Baldé : ‘votre épouse est enceinte et elle aura un garçon. Ce garçon-là, à sa naissance, il faut l’appeler Moussa’», a rapporté l’historien qui ajoute que, selon cette histoire, la prédication du natif de Halwar (Podor, dans le Fouta), a fini par se confirmer. «Parce que Coumba Oudé, épouse d’Alpha Molo, va accoucher d’un garçon qui, comme l’a recommandé El Hadji Oumar, a porté le nom de Moussa».
L’autre prédication du marabout, qui s’est aussi confirmée, c’est les limites territoriales de l’expansion du Fouladou, sous l’ère de son fondateur, Alpha Molo Baldé. L’histoire orale qui est rapportée, selon le Dr Sow, renseigne qu’El Hadji Omar Tall avait dit à Alpha Molo que son pouvoir allait s’étendre jusqu’à Dandu. D’après le Dr Sow, «il semblerait que le marabout, lorsqu’il quittait le Fouladou à la fin de ses pérégrinations, Alpha Molo l’avait raccompagné. Mais arrivé au niveau du village de Dandou, au bord du fleuve Gambie, le roi du Fouladou a dit au marabout toucouleur : ‘Je m’arrête là’. Et le marabout lui a encore fait une prédication, comme il l’a fait pour la naissance de Moussa Molo : ‘Ton pouvoir va s’étendre jusqu’à ce village’, lui aurait alors répondu El Hadji Oumar.
Aussi, quand Alpha Molo sentit la fin de son régime, après avoir tué Samba Egué, il plia bagages et alla s’installer à Dandou où il finit par mourir en 1881. C’est la seconde confirmation des paroles de cet homme de Dieu, grand érudit de l’islam, qui résista au colonisateur français, jusqu’au jour où il disparut dans les falaises de Bandiagara, en 1864.
Dr SOW SUR LA DUALITE ALPHA MOLO ET SAMBA EGUE
«Une révolution va porter un esclave à la tête d’un royaume, et à travers la guerre Alpha Molo va s’anoblir»
Entre le chasseur Guéladio et Malaal Coulibaly- un autre chasseur- qu’il hébergeait chez lui dans le futur royaume du Faladou, il existe une entente parfaite. Dr Mouhamadou Moustapha Sow, historien de formation, a parcouru l’histoire d’Alpha Molo et de son fils Moussa Molo, de ses origines à la création du royaume de Fouladou. Il a aussi fait une analyse sur les péripéties qui ont jalonné les différents combats qu’a menés Alpha Molo pour accéder au trône .
«D’après les recherches que nous avons faites, Guéladio était un chasseur très puissant et avait des connaissances mystiques. Il avait aussi des relations très poussées avec Malaal Coulibaly (le père d’Alpha Molo). C’est pour cela que quand Guéladio est mort, Alpha Molo est aussitôt entré dans la famille de Guéladio en prenant le nom de Baldé au lieu de Coulibaly», narre le docteur Mouhamadou Moustapha Sow, spécialiste des questions du Fouladou selon qui, c’est cette complicité qui a facilité l’intégration de Malaal Coulibaly dans la famille des nobles, celle de Guéladio, à telle enseigne que son fils prît le nom de Baldé. Parce qu’à l’origine, l’ancêtre des Molo, c'est-à-dire le père Malaal Coulibaly, serait originaire du Tilibo, dans l’actuel Nord-Mali.
L’ancêtre des Molo originaire du Nord-Mali
L’entente des deux chasseurs, qui était consolidée au départ par leur progéniture, va se dégrader à cause des appétits qu’attire le titre de roi. Leurs fils, Alpha Molo et Samba Egué, ont maintenu cette entente au moment de la lutte pour la libération du royaume face à l’empire mandingue. Mais cette entente pourtant bénie par leurs ancêtres sera vite rompue après la victoire.
«Quant la province du Fouladou s’est libérée de la domination mandingue, il y a eu un conflit entre Alpha Molo et Samba Egué parce que certains disent que «macuudo lamotako do !» (Ndlr : Un esclave ne va pas être roi ici), explique l’ancien professeur d’histoire et de géographie au Lycée Alpha Molo Baldé de Kolda. En effet, a-t-il développé, chacun des deux hommes qui ont grandi ensemble dans la cour de Guéladio, nourrit des ambitions de devenir roi. De cette adversité - mue par des ambitions personnelles - Alpha Molo sort vainqueur .
Pour le Dr Sow, «cette lutte, cette révolution, est une révolution sociale. L’une des premières en Sénégambie, qui va porter un esclave à la tête d’un royaume». Cette victoire de l’esclave sur son maître, l’historien, dans ses recherches, a constaté que c’est une première dans l’espace de la Sénégambie et en a fait une analyse. «Une révolution va porter un esclave à la tête d’un royaume, et, à travers la guerre, Alpha Molo va s’anoblir. Il se libère d’une double domination : une domination contre les Mandingues et aussi d’une domination contre son maître Samba Egué», dit-il en notant qu’Alpha Molo a prouvé sur le terrain pour gagner et consolider son titre de roi.
DE BOURGADE EN REGION
L’origine du nom de Kolda
Du royaume du Fouladou, fondé par Alpha et Moussa Molo Baldé, à l’actuelle région, division administrative moderne de Kolda, cette partie du Sénégal a connu trois capitales. La première capitale du premier royaume, sous le règne de Moussa Molo Baldé, était Ndorna. Ce dernier a aménagé sa capitale en érigeant des infrastructures, comme le célèbre Tata, le puits, entre autres.
Après sa mort, son fils Moussa Molo, à cause de ses divergences avec ses adversaires, a transféré la capitale à Hamdalaye. Il a, à son tour, fait des aménagements conformes à son statut de roi. En ce moment, souligne le Dr Sow, on ne parlait pas de Kolda. «C’était une bourgade», a précisé l’historien qui s’est appuyé sur la légende pour expliquer les origines du nom Kolda. D’après lui, ce nom est tiré d’un ancien chasseur qui s’appelait Kolidadou. C’est la contraction du nom de ce chasseur, qui serait installé dans la zone de Ndiobène (près de l’actuelle préfecture de Kolda), qui a donné à la région son nom actuel, explicite l’historien.
Mais Kolda a vu son rayonnement grandir à la fin du règne de Moussa Molo. Pour l’historien, c’est l’exil de Moussa Molo en Gambie qui va faire perdre à la résidence de Hamdallaye son dynamisme économique et politique. Et puis, la France avait des objectifs, en grande partie, économiques à atteindre. Elle va étudier, dès le départ de Moussa Molo en Gambie, la possibilité de création d’une nouvelle résidence. Et comme à l’époque, les résidences sont souvent proches de la mer, ils vont choisir Kolda comme la nouvelle résidence.
La transformation de la bourgade en région, l’ancien professeur d’histoire et de géographie au Lycée Alpha Molo Baldé de Kolda l’inscrit dans une suite logique de l’évolution des contextes. «Quand, dit-il, Hamdallaye va péricliter, Kolda et Vélingara vont être des zones de haute importance politique administrative et économique».