DANS L’ANTRE DES FUMEURS DE CHANVRE INDIEN
GADAYE, NGOR, PARCELLES ASSAINIES…
Des consommateurs de chanvre indien, on en trouve un peu partout au Sénégal. Mais il est difficile de les faire parler. Les trois individus qui ont accepté de partager leur expérience présentent des profils et des histoires différents qui peuvent édifier sur les raisons de la consommation et les conséquences que cela produit. Témoignages de trois consommateurs aguerris habitants Gadaye, Parcelles Assainies et Ngor.
A. Seck, GADAYE-GUEDIAWAYE
"Le divorce de Papa et Maman a eu des répercussions dans mon comportement"
Rendez-vous à Gadaye, dans la banlieue dakaroise. Au milieu de ces ruelles sablonneuses se cachent des niches où la consommation de chanvre n’est pas véritablement conçue comme une "forfaiture". Il est 23 heures lorsqu’apparaît A. Seck, pantalon bouffant, tee-shirt bleu délavé, chaine bling-bling accrochée au cou. Se dandinant, "Docteur", comme l’appellent ses amis, porte une casquette masquant une bonne partie de son visage et s’apprête à partager son expérience des premiers jours de consommation à aujourd’hui.
Yeux rougis par la consommation de chanvre, regards furtifs, il a commencé à utiliser couramment le chanvre indien en 2008. Mais, c’est beaucoup plutôt, à 18 ans, qu’il découvre pour la première fois son premier joint, en 2002. Un des grands du quartier qui l’inspirait et sur qui il prenait des repères, lui avait fourni le produit. Entre temps, des mauvaises fréquentations l’ont poussé à prendre couramment le cannabis. "J’avais l’habitude de boire de l’alcool et de fumer de la cigarette, mais je ne fumais de chanvre jusqu’à ce qu’un ami dépendant m’incite à le prendre".
A. Seck est un pur produit de la rue. Ses relations extra-familiales ont influencé son comportement. Né à Kaolack, où il a passé toute son enfance, il n’a jamais aussi supporté les disputes et le divorce de ses parents. Après la séparation de ses parents en 1997, sa maman l’a recueilli. "J’ai passé une enfance difficile. A l’occasion des fêtes, tous mes camarades disposaient d’habits neufs sauf moi. Ma maman n’avait pas les moyens". "Le divorce de Papa et Maman a eu des répercussions dans mon comportement. J’ai tellement fréquenté la rue que la vie qui y est menée a fini par me forger", raconte-t-il. Il est devenu ainsi très solitaire et a appris à se responsabiliser.
Cette attitude d’homme solitaire l’a poursuivi jusqu’à Dakar où après son entrée en sixième, il a suivi une formation professionnelle. Une année après, il arrête sa formation et reste dans sa maison d’accueil sans travailler. "Quand tu es dans une telle dimension, tu restes seul et tu sembles être l’unique homme au monde". Après tout ce qu’il a vécu durant son enfance, A. Seck a connu le chômage. Cette situation, dit-il, a entrainé une absence de considération de l’environnement immédiat. En plus des mauvaises fréquentations, il se dit chanceux de s’en être sorti indemne. "Je me suis réfugié derrière le cannabis".
Aujourd’hui, la vie commence à lui sourire. Il gagne bien sa vie après s’être lancé dans le commerce de tenues de ville. Toutefois, il dit ne rien regretter parce que le cannabis lui a permis de supporter et de surmonter ses moments de galère. Mais conscient des conséquences désastreuses de la consommation de chanvre indien, il souhaiterait bien un jour arrêter. "J’ai trois amis qui sont devenus complètement fous à cause de l’usage du cannabis", révèle-t-il. Pour sortir de ce gouffre, il ne voudrait pas voir un psychiatre, fait-il savoir, même si aujourd’hui il reconnait avoir des fuites de mémoires. "Je préfère le combattre moi-même. J’ai commencé à fumer en toute conscience, donc j’arrêterai le moment que je jugerai opportun".
CHAKA, PARCELLES ASSAINIES
"Je sentais l’odeur de chanvre au fond ma cellule de prison"
Teint noir, visage renfrogné, voix tremblotante, Chaka vit dans une chambre d’environ huit mètres carrés aux Parcelles Assainies. A 42 ans, il est aujourd’hui hébergé chez son grand frère, après s’être séparé de sa femme. Etalé sur un matelas plat comme une natte, une tasse de café à ses cotés, Chaka, pointant les résidus de cannabis fait confie: "Je prends mes deux joints et je m’endorme. Je me lève le matin en forme pour partir bosser". Dans une pièce embaumée par l’odeur de cannabis, Chaka de se confier qu’entre le chanvre indien et lui, c’est une "histoire d’amour" qui a duré 20 ans. "Avant, j’étais turbulent, mais depuis que je fume du chanvre, je suis devenu cool, j’ai plus de sensibilité et de respect envers les gens. Bref, quand je prends un joint, je suis à l’aise ".
Il présente aujourd’hui le profil d’un gars qui a une vie ratée. Vendeur à la sauvette, Chaka a 42 ans aujourd’hui et fume le chanvre depuis 1993, alors qu’il était juste âgé de 20 ans. Pourtant, ses amis qui l’ont poussé à consommer ce produit sont tous responsables aujourd’hui et ont arrêté de fumer. "Ce sont les difficultés de la vie, les soucis qui me conduisent à consommer toujours". Le cannabis lui a valu deux semaines de prison en 2005 pour consommation. "On m’a trouvé avec un ami en train de fumer à Colobane. En prison, je sentais l’odeur du chanvre au fond de ma cellule". Malgré sa détention, Chaka a repris du poil de la bête une semaine après sa sortie.
Crise du chanvre
Par ailleurs, Chaka informe que le produit devient de plus en plus difficile à avoir. "Nous sommes à une époque de crise". Ces temps-ci, on enferme beaucoup de gens alors qu’auparavant il y avait moins de suspicion, souligne-t-il. C’est la raison pour laquelle, il n’achète plus chez une personne qu’il ne connait pas.
La vente suit l’avancée technologique
Malgré tout, révèle-t-il, les vendeurs continuent de s’affairer à leur commerce. Avec les nouvelles technologies, la vente n’est plus comme avant. Les téléphones portables entrent en jeu dans la vente. "Il suffit d’appeler le vendeur pour qu’il vienne te livrer. Et ce dernier change fréquemment de puce téléphonique", révèle-il.
Le cornet de 500 FCFA, Chaka le consomme en quatre jours et le subdivise en sept joints environ. Mais il explique avoir dépassé le stade dépendant. "Je suis devenu père de famille, je ne pense pas acheter du chanvre alors que ma fille a besoin de sandale". Ce papa de deux enfants, renseigne qu’il lui arrivait que sa femme lui garde ses joints et que cela n’a jamais perturbé son ménage. Cependant, il dit vouloir arrêter définitivement d’user du cannabis, une fois que sa situation s’améliore. Par ailleurs, croit-il fermement, tout le monde n’est pas fait pour consommer du cannabis. "Il y'a des gens qui, quand ils fument sont irrités et se sentent super nerveux. Ce sont ces gens-là que le cannabis rend fous. C’est à cause de ceux-ci qu’il ne faudrait jamais légaliser le cannabis".
M. NDIR, NGOR
"J’ai commencé à fumer les joints de mon grand frère à son absence"
M. Ndir a vu le jour à Ngor, ce quartier "festif" où les jeunes sont "branchés". Il a commencé à fumer le chanvre indien depuis 1996. Un de ses grands frères était un grand disciple de Bacchus et en même temps un grand consommateur de cannabis. Et ce dernier avait l’habitude de laisser trainer dans leur maison des joints ainsi que des bouteilles d’alcool entamées. Avec ses copains, M. Ndir s’est essayé à l’alcool et au cannabis et cela l’a plu. "J’ai commencé à fumer les joints de mon grand frère à son absence. Et aujourd’hui, je suis dépendant parce que je fume tous les jours. A chaque fois que je me réveille, ma préoccupation est de me procurer du chanvre", explique-t-il.
M. Ndir n’a qu’une seule envie : arrêter. Même si, dit-il, ce stupéfiant lui procure du bien parce que lui permettant d’oublier ses soucis, d’être lucide et compréhensif, d’avoir une capacité de grandeur et de pouvoir comprendre tout le monde. Toutefois, les inconvénients sont beaucoup plus nombreux. En effet, il en est conscient dans la mesure où M. Ndir estime qu’en consommant le chanvre indien, on ne se nourrit pas convenablement, on ne se rend pas chez le médecin pour voir l’état de sa santé, on dépense beaucoup d’argent et on pense tout notre temps à fumer et à voir comment se procurer le produit, quitte à ne pas se concentrer sur son travail. Vu la conjoncture actuelle et les difficultés sociales, le chanvre, à son avis, est le moyen le plus rapide pour trouver de l’argent. En définitive, M. Ndir dit vouloir arrêter. "Si j’avais quelqu’un qui pouvait m’encadrer, des psychologues, des gens qui pourraient me coacher, ce serait bien, parce que je ne cherche qu’à arrêter", conclut-il.