DANS TROIS ANS VOUS N’ALLEZ PAS RECONNAÎTRE NIAMEY
ISSOUFOU MAHAMADOU

L’homme est direct et sait mettre ses interlocuteurs à l’aise. Au point que l’on en vient à certains moments à oublier que l’on est en face du chef d’un Etat africain, pauvre, mais qui grâce à ses efforts a su gagner le respect de ses pairs. Mouhammadou Issoufou, opposant irréductible au régime de Mamadou Tandja, a pris le pouvoir de manière démocratique après la transition militaire qui a suivi la chute de l’ex-général. Au cours d’un entretien réservé aux dirigeants de plusieurs médias d’Afrique de l’Ouest, il s’est exprimé sur les changements qu’il a apportés à la vie de son pays, et comment il a permis à ce dernier de résister aux menaces qui surgissent à ses frontières, et même parfois en son sein. Le Quotidien livre ici une part de l’entretien.
Ce qui frappe au Niger, ce n’est pas seulement les officiels, mais les populations aussi qui disent qu’il y a une nouvelle gouvernance. C’est quelque chose de spécial qu’on n’a jamais vu dans le pays. Quel en est le secret ?
Le secret, c’est qu’on sait où l’on va et qu’on a un programme. Quand on vient au pouvoir sans avoir une boussole, on se perd, on s’égare. Or nous, dès le départ, avant d’arriver au pouvoir, on était prêt à gouverner. On est resté une vingtaine d’années dans l’opposition.
Depuis la création du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (Pnds), on avait déjà une vision claire de ce qu’il fallait faire pour le pays. On savait où on allait, on est venu à la politique parce qu’on avait des convictions, des valeurs auxquelles on croit. C’est ce qui a fait notre force. Quand on été dans l’opposition, le parti a été soudé autours des valeurs qui étaient les siennes. C’est ce qui fait notre force au pouvoir également.
On a des repères sur la base desquels on travaille et des objectifs clairs. Le programme de renaissance, dont on a dû vous parler, a huit grands axes. La sécurité justement. Mais avant la sécurité, on a mis en place l’Etat et des institutions démocratiques fortes.
La démocratie c’est bien, mais elle ne doit pas affaiblir l’Etat. Lors de la conférence de presse que j’ai tenue à l’occasion du quatrième anniversaire de notre arrivée au pouvoir, je disais que la plus belle invention de l’homme c’est l’Etat. Ce n’est pas l’électricité, ni le téléphone, encore moins la radio, c’est l’Etat.
C’est à condition que l’Etat existe que tout le reste devient possible. C’est le premier axe. Vient par la suite la sécurité. On a beaucoup anticipé sur ce point compte tenu de l’environnement qui est le nôtre. Ensuite, il y a les infrastructures routières, énergétiques, ferroviaires, les télécommunications. Les réseaux de fibre optique qu’on est en train d’installer dans le pays pour promouvoir les Ntic. Ensuite, il y a une initiative 3N dont vous avez entendu parler, les Nigériens nourrissent les Nigériens.
Puis, il y a l’éducation, une des bases sociales essentielles du développement, la santé. L’accès à l’eau pour les populations. Quand on en parle pour les pays qui ont l’océan, les gens n’en voient pas trop l’importance. Mais ici l’eau est un problème ; on est un pays aride. L’accès à l’eau et l’assainissement est très important pour les populations.
Le 8ème, axe c’est la création d’emplois en particulier pour les jeunes. Je m’étais engagé à créer 50 mille emplois par an sur 5 ans. Cela fait déjà 250 mille emplois que je suis censé créer. Voilà les axes, c’est le secret de notre réussite.
On savait où l’on allait, on a la boussole. En 2011, quand on allait aux élections, j’étais le seul à avoir un programme, les autres n’en avaient pas. Ça tranche déjà avec nos concurrents. Ils ont dirigé ce pays pendant 10 ans sans programme. C’est pourquoi ils n’ont pas fait autant que nous, je pense. Je prends le cas de l’école.
Au plan des infrastructures, à la fin de la 4ème année, nous sommes à près de 15 mille classes en matériaux définitifs. Mais dit comme cela, les gens ne voient pas l’importance. Mais quand on relativise et compare par rapport à ce qui a été fait avant nous ; par exemple ceux qui ont géré le pays de 2000 à 2010.
En 10 ans, ils ont fait 3 mille classes. Nous en 4 ans, on fait 15 mille classes. Vous voyez la différence. Depuis l’indépendance du Niger, de 1960 à 2010, il y a eu 20 mille classes en matériaux définitifs en 50 ans, alors qu’en 4 ans nous en avons fait 15 mille. Vous voyez, ça c’est vraiment le jour et la nuit. Et c’est comme cela dans beaucoup de domaines.
Comment cela est-il possible ? Est-ce à dire que le Niger est plus riche maintenant qu’avant ?
C’est vrai qu’on a mobilisé plus de ressources, mais on les a dépensés de manière plus efficace. Il fallait agir sur les deux tableaux. Un des objectifs du programme de renaissance qu’on est en train de mettre en œuvre, c’est de restaurer le monopole fiscal de l’Etat. Il y avait beaucoup de fraudes dans les régies financières. Il fallait tout faire pour que les douanes fassent leur travail sans fraude, la direction des Impôts aussi, pour que le maximum de ressources entre dans les caisses de L’Etat.
On a mobilisé la communauté internationale aussi parce que ce programme a été chiffré sur 5 ans. 6 200 milliards de francs Cfa devaient être mobilisés en ressources internes et externes. Cela se répartit à 50% à chaque niveau. 3 100 milliards en interne et 3 100 milliards pour l’extérieur.
On a beaucoup mobilisé à l’extérieur et à l’intérieur. Bien qu’à l’extérieur on ait enregistré une certaine faiblesse. On n’a pas pu décaisser autant que ce qu’on a mobilisé du fait des défaillances de l’Administration. C’est ce qui a fait la différence.
D’abord on sait où l’on va. On mobilise ensuite le maximum de ressources pour enfin les dépenser de manière efficace. Là où les autres font une classe à 15 millions, nous on l’a fait à 8millions.
Avec le même confort et...
...Avec les mêmes conditions et peut-être même davantage de confort. Nos prédécesseurs donnaient souvent des chantiers qui n’étaient jamais exécutés. Les marchés étaient donnés à des militants qui ne faisaient pas le travail et empochaient l’argent. L’Etat décaissait, mais le service n’était pas fait. Il y a maintenant une meilleure gouvernance politique et économique. Ce qui peut le refléter, c’est l’indicateur de corruption de Transparency.
Nous étions classés 134ème en 2010-2011, là nous sommes 103ème. Cela veut dire qu’on a encore des efforts à fournir. Mais on a gagné 31 rangs depuis qu’on est en place. Ce qui veut dire qu’il y a eu une amélioration de la gouvernance économique du pays.
Et politique aussi, parce qu’on laisse la presse dénoncer tout les travers. C’est l’important rôle de la presse qui nous empêche de nous assoupir, de nous endormir. On cherche à mieux faire en tenant compte des critiques qui sont faites par l’opinion, et notamment par la presse.
Pendant la crise au Mali, vous vous êtes le plus investi parmi les dirigeants ouest-africains pour sortir votre voisin de la crise. On vous a vu également à l’œuvre en Libye, contre Boko Haram au Nigeria, et ailleurs. Pourquoi tout cet engagement ?
Pour le Mali, On a pris cette position parce qu’on considérait que les problèmes sécuritaires de ce pays sont des questions de sécurité intérieure pour le Niger. C’est notre sécurité que nous assurons en nous occupant des problèmes sécuritaires qui se posaient au Mali.
D’ailleurs, je disais au début que s’il y a un point sur lequel on a anticipé, c’est bien la sécurité. Avant d’arriver au pouvoir, on a bien évalué les menaces terroristes, ou celles des organisations criminelles de trafic de drogue, et autres, qui écumaient la sous-région. A partir de cela, on a décidé d’un certain nombre de solutions. La première décision qu’on a prise c’est de renforcer les capacités des forces de défense et de sécurité.
Equiper nos forces de défense et de sécurité aussi bien terrestres qu’aériennes. On a dû acheter des équipements, des avions de combat, des hélicoptères... On a aussi accru les effectifs des forces de défense et de sécurité. On leur a donné une meilleure formation, y compris dans la lutte contre le terrorisme.
Et on a développé nos capacités de renseignement. On a une théorie aussi. On a dit que l’on va restaurer le monopole de la violence sur l’ensemble du territoire du Niger. Cela veut dire qu’aucun citoyen ou qu’aucune fraction de la population ne peut détenir d’armes de guerre en dehors de l’Etat, en dehors des forces armées nigériennes, en dehors des forces de défense et de sécurité.
Toutes ces mesures étant prises, on a beaucoup mis l’accent sur la diplomatie pour avoir des alliés et pouvoir faire face aux menaces. Des alliés au plan régional, sous-régional et international, les Français, Américains, et autres. Ensuite, on a eu l’adhésion de notre Peuple derrière les forces de défense et de sécurité. Ça c’est important. C’est sur cette base qu’on a envisagé des actions.
Première action : les patrouilles rurales. On a mobilisé quotidiennement des équipes pour sillonner tous les villages, pour passer de village en village régulièrement. Pour veiller à la sécurité de la population. Pour que les populations sentent la présence de l’Etat. 700 à 800 véhicules qu’on fait circuler tous les jours à l’intérieur de Niger, qui vont de village en village. Dans chacune des huit régions, on a des patrouilles régionales.
On 63 départements et dans chaque département, il y a des patrouilles départementales qui sont formées de forces mixtes, gendarmerie, police et Garde nationale. A ces opérations quotidiennes de sécurité s’ajoutent des opérations lourdes qu’on a prévues. Pour faire face à la crise libyenne par exemple, on a mis en place l’opération Malibero. C’était dans l’histoire un grand guerrier nigérien qui a vécu dans les siècles passés. Cette opération nous a permis de contrer les effets négatifs de la crise libyenne.
Et vous avez vu que ces effets ont sauté le Niger pour aller au Mali, malheureusement. Quand au début les débris des armées de Kadhafi ont voulu s’installer au Niger, on leur a donné le choix, ou bien on les désarme puis on les accueille sur notre territoire ou on les combat. Ils ont refusé d’être désarmés. On a décidé de les combattre, alors ils ont fui pour aller au Mali. La 2ème opération lourde c’est l’opération Koré. Pour faire face aux effets de la crise malienne, on a massé beaucoup de nos troupes sur la frontière avec le Mali.
Elles y sont toujours pour éviter les infiltrations à partir du Mali. La 3ème opération lourde c’est l’opération Inga dans la région de Diffa pour faire face à Boko Haram. La 4ème opération lourde, c’est l’opération Maydounama qu’on a organisée à l’intérieur du Nigeria.
Vous voyez le petit Niger qui va à l’intérieur du Nigeria pour casser du Boko Haram. C’est ce qu’on a fait avec les Tchadiens. On a libéré plusieurs villes notamment Doutchi, Damasak, Malam Fatori. Le secret est dans la détermination. Il faut avoir la volonté de se battre. Les guerres c’est cela, c’est un affrontement de volontés et de forces morales. Quand on a la volonté, la force de se battre, on a des résultats.
On nous dit que le Niger est un pays en chantier. A ce qu’on dit, il y en a beaucoup qui sont ouverts. La question est de savoir, comment on peut avoir de l’argent pour faire la guerre et en même temps développer le pays.
Cette équation on a pu la résoudre. Si on n’avait pas ces problèmes de sécurité on aurait mieux fait pour les autres secteurs. Mais malheureusement ces problèmes de sécurité sont venus ralentir les effets de nos actions dans les autres secteurs.
Les secteurs de l’éducation, des infrastructures, de l’initiative 3N. Il n’y aurait pas eu ces problèmes de sécurité, les réalisations qu’on aurait fait auraient été plus importantes encore que celles qui sont constatées aujourd’hui. En dépit de ces problèmes de sécurité, on a pu faire un minimum pour ces différents secteurs.
Nous avons constaté que le pays est en chantier. Tout les interlocuteurs que nous avons rencontrés, que ce soit des responsables de haut niveau ou des Nigériens lambda, affirment que les prévisions ont été atteintes aux 4/5ème. Nous sommes maintenant à l’heure du bilan. Il y aura une prochaine étape. Quels sont les grands chantiers que vous projetez dans les prochaines années pour le Niger ?
On n’en est pas encore là. Je termine mon mandat d’abord. Celui-ci prend fin en 2016. Pour le prochain mandat on verra, je n’ai pas encore rédigé le programme. Il est en cours, on est en train de réfléchir. A partir du bilan du programme de renaissance, on verra comment se projeter sur les cinq prochaines années.
On continue sur la même lancée ou on change ?
Je pense que ce sera le programme de renaissance suite. Les différents axes que j’ai décrits, ce n’est pas en cinq ans qu’on les termine. Le prochain mandat, je ne dis pas que je vais me présenter encore aux élections... Je ne sais pas ce qui va se passer.
Je me concentre sur ce mandat-ci, il me reste encore un an. J’ai du travail devant moi encore. Je me concentre là dessus pour pouvoir atteindre les 100% des prévisions du programme de renaissance. C’est cela la priorité.
L’ancien Président ivoirien Houphouët-Boigny disait que le développement, c’est d’abord les infrastructures, et on dirait que c’est ce que vous faites. Houphouët vous a-t-il inspiré ?
Un homme politique doit toujours s’inspirer de l’histoire. D’ailleurs, le principal raccourci pour apprendre et connaître, c’est de lire l’histoire, de connaître ce que les autres ont fait. Certainement des Présidents comme Houphouët ont dû m’inspirer. Je vois comment il a construit la Côte d’Ivoire. Je vois aussi ce que Alassane Ouattara est en train de faire. Il ne fait pas mal de choses.
Par exemple, il a fait ce troisième pont d’Abidjan. Moi, j’ai fait le premier échangeur du Niger. Le deuxième est en train de se faire et se termine en octobre. Je vais lancer bientôt un troisième échangeur qui portera le nom du premier Président du Niger Diori Hamani.
J’ai encore en tête un quatrième échangeur enfin ainsi de suite... Toute la corniche du fleuve sur les deux rives, on va l’aménager, pour créer un cadre agréable pour les habitants de Niamey. Vous n’allez pas reconnaître Niamey dans trois ans.