FUTUR ROI OU FAISEUR DE ROI
Gackou croit que son heure a sonné. Mais il n’est nulle part écrit que l’ambition, si légitime soit-elle, peut impunément s’accommoder de déloyauté et qu’elle peut s’affranchir du réalisme

Enfin, pourrait-on dire, El Hadji Malick Gackou a décidé de prendre son destin politique en main. On l’attendait aux élections municipales et départementales à Guédiawaye, il avait préféré, contre toute attente, esquiver et faire place nette à Aliou Sall, un parachuté de l’APR. La pirouette de Gackou comporte encore un mystère.
Les conséquences pour l’ex-numéro deux de l’AFP étaient plus qu’évidentes. Dans son fief et quelque part dans l’opinion, il est passé d’une forte popularité à une profonde confidentialité, dans un indifférent anonymat tout simplement. Dans l’entourage proche de Moustapha Niasse, on soutient mordicus que le secrétaire général de l’AFP n’est en rien mêlé à son désistement à la participation à une élection capitale pour son avenir politique.
A preuve d’autres responsables de l’AFP en rupture de ban de la coalition Benno Bokk Yaakaar- s’alliant à d’autres listes concurrentes-, continuent encore de trouver grâce aux yeux du patron des progressistes. Parmi eux, Pape Mody Niang coordonnateur des cadres progressistes. Il avait accepté la main tendue du CDS d’Abdoulaye Baldé à Sokone, faute d’avoir pu trouver place honorable dans la coalition présidentielle. Et pourtant, avec deux conseillers municipaux CDS, il est toujours proche de Moustapha Niasse dans le parti. Et même conseiller technique dans le cabinet du Président de l’Assemblée nationale.
Les spéculations les plus folles avaient alors circulé sur une éventuelle entente entre Aliou Sall et Malick Gackou qui, en contrepartie de son soutien à l’actuel édile de Guédiawaye bénéficiait d’avantages substantiels. Le responsable progressiste démentira tout accord dans ce sens. Et depuis, rien ne semble s’être passé de tel.
En revanche, les rapports entre Niasse et Gackou commencèrent à se détériorer. Les surprenantes affinités entre la figure de proue de la banlieue, en perte de notoriété et à l’image écornée, et le secrétaire général du PDS, Abdoulaye Wade, en pleine descente aux enfers, devenaient source d’inquiétude, pour l’AFP. Au point que des rumeurs, en apparence infondées, subodoraient que Wade aurait décidé de financer Gackou devenu son allié objectif dans l’opposition au pouvoir. Il serait même passé à l’acte. Et du coup, la fortune d’un homme réputé riche, aurait sensiblement enflé au point de susciter d’autres accusations et railleries. Sans qu’on sache, au-delà des dénégations de Gackou, si elles sont ou non justifiées.
Résultat des courses, le fossé entre Malick Gackou et ses suppôts, d’une part, et, de l’autre, Moustapha Niasse, fort de l’appui des instances du parti, ne cessa de se creuser. Jusqu’à la décision de vendredi, qui devait libérer Gackou et une dizaine de ses compagnons de leurs obligations dans l’AFP. La messe était alors dite, chaque partie ayant compris qu’une fin douloureuse, valait toujours mieux qu’une douleur sans fin.
El Hadji Malick Gackou sur qui, contre vents et marées, le secrétaire général de l’AFP avait jeté son dévolu pour le seconder, sera désormais khalife, à la tête d’un groupe qu’il compte structurer à la mesure de ses ambitions retrouvées. Et de khalife, il espère bien être Roi, à la tête du Sénégal, en présentant sa candidature à l’élection présidentielle de mars 2017. Contre Macky Sall, le candidat que soutiendra à coup sûr son ex-mentor.
Ancien ministre des Sports et ministre démissionnaire du Commerce dans le régime en cours d’exercice, il décrira probablement aux futurs électeurs, mais en quels mots, sa part de responsabilité dans la gestion du pays. Il est au moins une certitude, le passage de Gackou aux Sports comme au Commerce, n’aura pas été remarquablement proéminent. On en retiendra la mauvaise qualité de ses relations avec les fédérations, notamment du football, dont l’actuel patron était son vainqueur dans une course pour la tête de cette structure. Au Commerce, ses divergences avec le Premier ministre de l’époque, Abdou Mbaye, sur l’épineux dossier de la farine resteront au stade anecdotique. Sans plus.
Sobre en discours et en idées, il est loin d’être un technicien transcendant qui éblouit les spécialistes, ni un tribun dont les Sénégalais affectionne les envolées. D’une grande renommée dans la banlieue et dans le secteur du sport, il n’affiche guère une stature nationale, qui légitimerait sa candidature et lui donnerait toutes les chances de déraciner l’actuel locataire du Palais. En somme, un bon candidat, un challenger de moyenne gamme, qui aurait besoin de plus de deux ans pour construire une étoffe de présidentiable capable de faire renaître l’espoir dans un pays en proie au doute.
En revanche, son poids électoral, si modique soit-il, peut constituer pour lui un levier pour négocier une alliance au second tour ou un ticket, avec un candidat d’un tout autre calibre, Khalifa Sall en l’occurrence. A la différence de ce dernier, grand vainqueur des locales à Dakar, élu depuis plusieurs décennies, plusieurs fois ministres sur de longues durées, Gackou ne jouit d’une base affective que dans une partie de la banlieue, dont il n’a jamais élu l’édile.
Compterait-t-il sur cette alliance pour rebondir qu’il ne serait réduit qu’à un rôle supplétif de faiseur de roi, à défaut objectivement et dans les circonstances actuelles de pouvoir être Roi ?
Mais diantre, le jeu en vaut-il la chandelle ? Surtout que son départ de l’AFP ne fera qu’affaiblir son parti, alors que ses chances de gagner la présidentielle restent tout de même, très faibles. Et si Niasse avait raison d’adopter une démarche prudentielle, pour donner loyalement et solidairement toutes les chances à la coalition de garder le pouvoir ? Et à l’AFP de continuer à co-gérer le pouvoir pour autant que l’APR se débarrasse de sa boulimie ?
Fort de son éthique de conviction, Niasse tient à assumer des valeurs de vérité et de solidarité. Muni de son éthique de responsabilité, Gackou croit à sa bonne étoile et que son heure a sonné. Mais il n’est nulle part écrit que l’ambition, si légitime soit-elle, peut impunément s’accommoder de déloyauté et qu’elle peut s’affranchir du réalisme. Sur un terrain aussi glissant que celui de la politique dont les lignes d’horizon bougent, si souventes fois. Et imperturbablement.