CHRONIQUE D’UNE MORT LENTE
Les partis historiques qui ont façonné la démocratie sénégalaise pendant des décennies – PS, PDS, Ligue démocratique – semblent désormais appartenir à une époque révolue, incapables de mobiliser un électorat qui leur tourne progressivement le dos

La recomposition du champ politique sénégalais semble être en marche, et de manière dynamique, depuis le scrutin présidentiel de février 2024 et ses résultats riches d’enseignements. Parti socialiste (Ps), Parti démocratique sénégalais (Pds), Ligue démocratique (Ld), Parti de l’indépendance et du travail (Pit), Alliance des forces de progrès (Afp), entre autres : les partis politiques traditionnels, autrefois piliers du système démocratique, sont ébranlés par les mutations politiques et sociétales du pays. Entre défiance citoyenne, crise de représentativité, essor des mouvements citoyens et réseaux sociaux, ces formations historiques encore dirigées par des sexagénaires, doivent aujourd'hui redoubler d'ingéniosité pour maintenir leur influence.
Un pan de l’histoire politique sénégalais est-il en train de s’effondrer avec l’arrivée au pouvoir du parti Pastef ? La question mérite d’être posée au regard de la situation de décadence dans laquelle sont plongés les partis politiques dits traditionnels. Longtemps dominée par des partis comme le Parti socialiste (PS), le Parti démocratique sénégalais (PDS), And Jëf, la LD, le PIT et, plus récemment, l'Alliance pour la République (APR), la scène politique sénégalaise voit ces mastodontes peiner à mobiliser les électeurs, au point de se perdre dans des alliances où ils obtiennent une portion congrue. Ces formations politiques qui sont reléguées dans l’opposition depuis le 24 mars dernier jouent aujourd’hui leur survie dans un contexte politique qui est loin de leur être favorable. Elles ont perdu la plupart de leurs bastions traditionnels au profit de leur ancien allié, l’Apr, qui n’avait pas hésité, lors des dernières élections locales et départementales, à se lancer à la conquête des fiefs électoraux de ses alliés.
Après 12 ans de compagnonnage au sein de la coalition Benno Bokk Yakaar avec l’ancien parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (Apr), ces partis politiques dits traditionnels se sont considérablement affaiblis sur le plan électoral. Partout, le constat est le même.
Malgré la défiance des électeurs, une constante demeure au sein de ses partis. Il s’agit de l’accaparement des instances dirigeantes par une poignée de sexagénaires, peu enclins à céder leur place aux plus jeunes, en dépit d’un paysage politique en pleine mutation, marqué par le rajeunissement tant de l’électorat que des institutions avec l’avènement du nouveau régime. Une jeunesse, qui semble de plus en plus désabusée par ces structures jugées rigides, clientélistes et peu réactives aux attentes populaires.
La désaffection s'explique donc aussi par une perte de confiance envers les leaders politiques, perçus comme plus enclins à servir leurs intérêts personnels qu'à défendre les aspirations citoyennes. Les promesses non tenues, et l'absence de renouvellement des cadres ont largement contribué à cette crise de représentativité.
Les conséquences de cette situation commencent à faire leur effet quant à l’animation de ces formations politiques qui se résume aujourd’hui à des déclarations et autres communiqués de presse. La grande affluence des militants et autres responsables qui se relayaient dans leurs permanences respectives, construites à coût de milliards après leur accession au pouvoir, a laissé la place à une ambiance quasi désertique aujourd’hui.
Au Parti socialiste, les tentatives de l’actuel Secrétaire général, Aminata Mbengue Ndiaye, de redynamiser ce qui reste de militants de ce parti qui a, sans discontinuer, dominé la scène politique pendant 40 ans, sont freinées par les agissements de l’ancien ministre, Serigne Mbaye Thiam, sexagénaire, lui aussi. La Ligue Démocratique (Ld) qui s’illustrait autrefois à travers ses conférences publiques sur des thématiques d’actualités, organisées les weekends au niveau de son siège sise à Grand yoff, s’est divisée en deux tendances, dont l’une avait intégré l’alliance Benno Bokk Yakaar. Le même scénario s’est joué avec And Jëf, lui aussi coupé en deux. Le Pit se distingue par la publication de communiqués et quelques prises de parole publique d’un ancien ministre. Au Parti démocratique sénégalais (Pds), c’est l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, toujours Secrétaire général national du parti, malgré ses 99 ans, qui continue de signer les nominations de responsables des structures de cette formation libérale en tant Secrétaire général nationale.
L’ascension des mouvements citoyens et des leaders alternatifs
Face à cette désillusion, des mouvements citoyens et des figures non issues des partis traditionnels ont su capter l'attention du peuple. Des plateformes comme "Y'en a marre" au début des années 2000 ou "Frapp-France Dégage", fondé en 2017, sont devenues des acteurs incontournables de la contestation, en s'appuyant sur des revendications sociales et une communication percutante.
En parallèle, l'émergence de nouveaux leaders comme Ousmane Sonko et sa formation Pastef illustre cette recomposition du paysage politique. Incarnant le renouveau et porté par une rhétorique « anti-système », il a su canaliser une large frange de la population en quête d'alternative.
L’impact des réseaux sociaux sur le jeu politique
L'essor du numérique a bouleversé les modes de mobilisation. Les réseaux sociaux sont devenus des arènes de débats et des outils puissants de contestation. Les jeunes, qui représentent une majorité démographique, s'informent de plus en plus via ces plateformes plutôt que par les canaux traditionnels. Les partis historiques, eux, peinent souvent à s'adapter à ces nouveaux codes de communication, laissant ainsi le terrain à des figures politiques plus agiles numériquement.
Un besoin de reinvention pour survivre
Si les partis traditionnels veulent survivre, (ce qui sera très ardu) ils doivent repenser leur mode de fonctionnement. L'ouverture à de nouvelles figures, la modernisation des discours et une meilleure prise en compte des nouvelles attentes populaires sont des axes essentiels.
Arriveront-elles à reconquérir une base électorale de plus en plus volatile ou seront-elles définitivement marginalisées par les nouveaux acteurs politiques ? Une chose est sûre : le Sénégal est entré dans une nouvelle ère politique, et pour ces partis dits traditionnels, l'heure est à l'adaptation.