GÉNÉRATION SACRIFIÉE
PAS DE BAC NI DE CFEE POUR BEAUCOUP DE JEUNES ÉLÈVES, FAUTE D’EXTRAIT DE NAISSANCE

Ils seront des milliers de jeunes élèves à rater les examens du Baccalauréat et du Certificat de fin d’études élémentaires (Cfee) cette année, faute d’actes de naissance. Ces élèves de Tambacounda, de Kédougou, de Sédhiou ou encore de Thiès sont sacrifiés sous l’autel de la négligence parentale, mais également d’un laxisme coupable au niveau des bureaux d’Etat civil des mairies.
Scandaleux ! Révulsant ! Inacceptable ! Le mot n’est pas de trop pour qualifier le fait que des milliers de jeunes élèves vont être privés d’examens cette année. Pas de Baccalauréat, encore moins de Certificat de fin d’études élémentaires (Cfee) pour la bonne et simple raison qu’ils ne disposent pas d’une pièce d’Etat civil attestant de leur nationalité.
Ils sont de Kolda, de Sédhiou, de Tambacounda, de Vélingara et même de Dakar, tous ces jeunes dont les parents se démènent actuellement comme de beaux diables pour leur trouver des actes de naissance. La situation est critique, très préoccupante.
560 jugements distribués à des enfants de Kédougou en 2014
A Kédougou, en effet, le coordonnateur de la Maison de justice exprime ses inquiétudes : «L’Etat civil est un véritable problème qui me donne des pincements au cœur. J’ai le cœur meurtri quand je vois des élèves qui n’ont pas d’extraits de naissance et à qui on prive certains examens pour défaut de pièces d’Etat civil.
Alors que cela n’est pas de leur faute, mais bien de celle de certains parents inconscients et à la limite criminels.» Pourtant, Youssou Diallo indique que l’extrait de naissance ne vaut que 300 francs Cfa dans les mairies.
Aujourd’hui, confie-t-il au journal Le Quotidien, cette équation de l’Etat civil fait partie des préoccupations de la Maison de justice qu’il dirige parce qu’il considère que c’est «une véritable bombe à retardement» qui, plus est, contribue fortement à «la déscolarisation des élèves de l’élémentaire».
L’année dernière, fait-il remarquer, la Maison de justice de Kédougou a distribué un total de 560 jugements à des enfants. Mais pour cette année, il dit souhaiter qu’il n’y ait plus d’enfants non déclarés, bien sûr avec l’implication des délégués de quartier.
L’école élémentaire Alpha Mamadou Sadio Bâ de Kédougou, elle, est déjà meurtrie de voir que sur les 360 demandes de jugement pour ses élèves, seules 86 ont pu être accordées, soit 274 enfants qui restent sans acte d’Etat civil, donc qui sont sûrs de ne pas faire d’examens.
Abdoulaye Baldé (Vélingara) : «Pour la 3ème fois, je rate ma candidature au Bac»
A Vélingara, la situation n’est pas plus reluisante que celle de Kédougou. Dans cette partie du Sénégal aussi, c’est des milliers de jeunes élèves qui ont un destin scolaire très incertain. Abdoulaye Baldé, habitant du quartier Thiankang, relate ses inquiétudes :
«Pour la troisième fois, je devais déclarer ma candidature à l’examen du Baccalauréat. Apparemment, c’est raté faute d’un extrait de naissance, puisque le délai de dépôt a expiré. Je suis déjà âgé, même si je me présentais l’année prochaine, je ne serais pas orienté dans une université publique.»
Baldé est loin d’être un cas isolé. Il est parmi le millier de jeunes qui va rater soit l’examen du Baccalauréat soit celui du Cfee. Il faut préciser cependant que Vélingara est plus ou moins particulière comparée aux autres localités durement touchées par le même phénomène.
L’on se rappelle en effet que le 18 mars 2010, un violent incendie avait fait disparaître les archives de la commune. Et depuis cette date, les demandeurs d’une pièce d’Etat civil sont obligés de solliciter l’autorisation du procureur de la République près le Tribunal régional de Kolda.
A Thiès, la société civile sonne la mobilisation
Seulement depuis quelques jours, celui-ci s’est refusé à autoriser les demandes d’une pièce d’Etat civil qui sont par la suite déposées à la mairie. Ainsi, révoltées par le blocage du traitement des pièces d’Etat civil, les populations locales ont protesté contre cette mesure prise par le procureur près le Tribunal régional de Kolda. Actuellement, ce sont des centaines de familles qui font face à plusieurs problèmes, comme la forclusion aux examens et concours qui nécessitent le dépôt de ces pièces.
Des élèves de la région de Thiès et leurs parents sont également en train de vivre le même cauchemar. Dernièrement, on a appris que plus de 1 000 enfants non déclarés à l’Etat civil et devant faire l’examen d’entrée en sixième ont jusqu’au vendredi prochain pour trouver une pièce d’Etat civil sous peine d’être déclarés forclos à cet examen.
Des organisations de la société civile ainsi que des autorités de l’école s’activent pour obtenir une audience spéciale, afin de permettre à cette génération sacrifiée d’obtenir des papiers leur permettant de passer leur examen.
Dans la région de Fatick, l’Inspecteur de l’éducation et de la formation (Ief) Saïdou Bâ, nous a confié qu’au moins 2 015 élèves du département de Fatick risquent cette année de ne pas passer l’examen du Cfee, parce qu’eux aussi ne disposent pas de pièce d’Etat civil. Il indique que ces 2 015 élèves équivalent à 23,69% des élèves qui risquent de ne pas passer l’examen du Cfee.
Une violation des droits des enfants
Pourtant dès la naissance, chaque personne a le droit d’avoir une identité. L’identité d’une personne est l’affirmation de son existence au sein d’une société. C’est également la reconnaissance de son individualité et de ce qui la différencie de ses prochains.
En enregistrant la naissance, l’Etat reconnaît aussi officiellement l’existence de l’enfant et officialise son statut au regard de la loi. Par ailleurs, grâce à ce nom et à son enregistrement sur les registres de l’Etat civil, un enfant pourra établir sa filiation, c’est-à-dire les liens de parenté qui l’unissent à son père et à sa mère.
D’où l’importance pour les enfants de se voir déclarés par leurs parents, afin qu’ils puissent jouir de leur droit dans la société.