HYDROCARBURES : DES CONQUÊTES SÉNÉGALAISES AU FORCEPS…

Ébranlées par la force de frappe de Total Sénégal, les entreprises nationales du secteur pétrolier ne s'avouent, pourtant, pas vaincues. Même si certains segments sont encore inaccessibles, leurs parts de marchés s'améliorent, un peu plus. Mais "l'affaire Touba Oil" a, quelque peu, freiné leur bel élan…
En termes d'effectifs composant les deux regroupements patronaux du secteur, l'Association Sénégalaise des Professionnels du Pétrole (ASPP), avec ses 14 membres, dépasse de loin le Groupement des Professionnels du Pétrole (GPP), composé de Total, Vivo Energy et Oilibya. Par contre, en termes de parts de marché, la donne est tout autre. "Dans les hydrocarbures, il y a la distribution avec le réseau terre (station-service et autres), le réseau pêche et le secteur consommateur. Aujourd'hui, le GPP représente 67% du marché, contre 32,58% pour les
sociétés nationales sénégalaises. Une progression notable parce qu'en 2005, les majors étaient à 87,53%. Les nationaux ont fait un bond qualitatif de 22,53% entre 2005 et 2013. Au niveau du réseau pêche, les sénégalaises sont leaders avec 63,82% alors que les majors n'ont que 30%. Pourtant, jusqu'en 2010, c'était 100% de majors", révèle Ameth Guissé, Président de l'ASPP.
Entrés dans le secteur en 2000, les nationaux se positionnent petit à petit. Toutefois, même s'il est vrai que les chiffres affichent des avancées
notables, force est de préciser que certains segments restent encore hors de portée. Il s'agit de l'Aviation et de la Marine qui représentent 25% du marché et exclusivement dédiées aux multinationales alors que Senelec (25% du marché) se ravitaille directement à la SAR. "L'aviation est un secteur assez protégé car jusque-là, ce sont des appels d'offres internationaux ; c'est pourquoi, c'est resté entre les mains des majors. Les multinationales ont une mainmise sur les hydrocarbures, les BTP, les grandes industries, etc.", précise M. Guissé.
Total, un concurrent qui dérange?
S'il y a un concurrent que les indépendants redoutent énormément, c'est bien Total. Selon le Président de l'ASPP, la baisse de ses parts de marché entre 2010 et 2013 a poussé Total à changer de stratégie marketing. Ce qu'il trouve normal. Même s'il estime que le partenariat avec Orange s'est fait au détriment des concurrents. "On avait dit, au départ, si et seulement si l'objectif de Orange est de favoriser le paiement marchand par téléphone, il doit l'étendre à tout le monde et non exclusivement à un seul client. Nous avions dénoncé et posé des actions dans ce sens. Orange a essayé de contacter d'autres pétroliers à partir du mois de juillet alors que c'est une campagne qui aurait dû démarrer durant la 2ème semestre de l'année 2013", explique-t-il.
En tout cas, contre vents et marées, Total se positionne, de jour en jour, comme le leader du marché. En plus, Eiffage lui a attribué la concession pour la station Gaïndé Fatma sur l'autoroute, de même que les aires de repos. Mieux, sur les quelques 450 stations-services à travers tout le pays, Total en détiendrait 160.
"C'est ce qu'on dénonçait pour dire qu'il y a un abus de position dominante. Puis, ils occupent des points stratégiques. Mais en parlant ainsi, on pourrait penser que c'est de l'acharnement. Mais non… Je pense que Total, compte tenu de son ancienneté, c'est parfaitement normal. Mais on aurait aimé qu'il y ait plus de régulation quand un acteur est aussi important dans un marché. Par exemple, quand il y a eu la fusion de Total et Elf en 1997, la Commission Européenne avait obligé Total de se séparer de 70 points de vente qui ont été donnés à la concurrence pour équilibrer le marché. Je pense que nos autorités doivent s'en inspirer…", préconise-t-il.
Pour rappel, avant l'érection de l'autoroute à péage, Elton et Shell avaient des stations sur l'autoroute. Des emplacements qu'ils avaient été contraints de quitter. "Aujourd'hui, ils sont les grands perdants. "Pour des raisons d'utilité publique,
les stations-services, situées sur le tracé de l'autoroute, avaient été démantelées en 2006. Nous constatons aujourd'hui, à notre grande surprise et contre toute attente, que Total Sénégal y a presque fini les travaux de construction de station-service. Ces concessions ont été faites par Eiffage en dehors de toute transparence, sans appel d'offres. Ce qui, évidemment, fausse encore une fois le libre jeu de la concurrence et soulève les inquiétudes de toutes les sociétés d'hydrocarbures, en particulier, celles appartenant aux Sénégalais", s'était désolé, à l'époque, Babacar Tall, patron de Elton Sénégal.
Abondant dans le même sens, le Président de l'ASPP estime que quand l'axe a été rouvert, normalement, les mêmes stations devaient être priorisées. "Il y a eu une jurisprudence en la matière avec ce qui s'est passé à Bourguiba. Quand on faisait le pont, la station Total a été démantelée. Mais une fois le pont fait, Total est revenu. Ceci n'est pas le cas sur l'autoroute. Ils disent qu'ils ont lancé un appel d'offre pour l'autoroute à péage, mais aucune société sénégalaise n'a été sélectionnée. Ils disent que c'était pour les sociétés qui ont une dimension internationale ", révèle M. Guissé.
Quelle lecture faire de l'affaire Touba Oil ?
"Il n'y a ni fusion, ni offre publique d'achat, ni vente dans cette affaire. Il s'agit seulement d'un partenariat gagnant-gagnant entre le groupe Touba Oil et Total Sénégal pour rendre le volet distribution plus performant. On n'a cédé que 16 stations- services sur 28 services…Touba Oil veut compter sur l'expérience du groupe pétrolier français qui verse une redevance annuelle pour l'exploitation des stations-services".
C'est ainsi que les responsables de Touba Oil s'étaient défendus face aux nombreuses attaques, suite à la cessation de certains de ses stations, dont la stratégique de Croisement Cambérène. A travers cet accord, Total reprend une bonne longueur d'avance sur la concurrence avec les nationaux. Pour cause, avant l'avènement des Touba Oil, Total représentait 85% de la distribution, avant de chuter à 67%. Avant cette opération, Touba Oil avait une part de marché d'environ 3% et 16 000 tonnes de produits pétroliers vendus.
Même s'il continue de croire que Touba Oil n'a pas vendu ses stations, le Président de l'ASPP estime qu'il est nécessaire de conscientiser l'État sur le rôle qu'il doit jouer dans la régulation de ce secteur pour les acteurs nationaux.
"Pour éviter ces abus de position dominante dans certains secteurs, il faut réguler la concurrence, de manière régulière. L'exemple par l'autoroute à péage avec un contrat entre deux entreprises privées, mais avec une mission de service public. Les terres sont des domaines de l'État qui doit y avoir un droit de regard. Dans cette affaire Touba Oil, l'État devait encadrer la transaction. On ne peut pas permettre à des stations de disparaître entre les mains de Total. Ensuite, il n'était pas dit que seul Total pouvait reprendre ces stations de Touba Oil. Même chose pour le cas de Orange Money… Il ne faut pas permettre à une entreprise de bénéficier d'un avantage au détriment des autres, surtout que dans leur pays d'origine, ils ne peuvent pas le faire. La concurrence y est organisée", clame-t-il.