ICI, LES FEMMES N’ONT RIEN
VILLAGE DE LOHÈNE MALÉ

La problématique de l’accès à la terre demeure toujours une réalité au Sénégal. Surtout en zone rurale où des populations, en particulier des femmes et des jeunes, peinent à détenir des terres. Aussi, dans les différentes zones éco-géographiques du pays, l’héritage, le legs, le don et le prêt sont les principaux modes d’accès au foncier. Or, les femmes, dans certaines localités, n’héritent pas de terres. Et les jeunes non plus n’y ont pas droit dans certaines contrées. Ces types d’accès antérieurs à la loi sur le Domaine national gardent encore une grande légitimité sociale au sein de nos sociétés très conservatrices.
Cette situation propre à bien des localités du Sénégal, les populations de Lohéne Malé, la vivent au quotidien. Situé dans la commune de Ndiédieng, à 46 km de Kaolack, le village de Lohène Malé est, en effet, confronté à cette problématique du foncier. Les femmes aussi bien que les jeunes y rencontrent toutes les difficultés du monde pour accéder à la terre qui constitue, pourtant, leur seule source de revenu.
La loi sur le Domaine national n’y fait rien, au village de Lohène Malé les femmes n’ont pas droit d’hériter de la terre à cause de certaines croyances comme la tradition, mais aussi la loi musulmane. Et c’est une jeune mère de famille visiblement atteinte par cette réalité, en l’occurrence Khady Diassé, qui attire d’emblée notre attention sur cette situation qui prévaut dans cette localité.
Les femmes et les jeunes victimes des pesanteurs sociales et religieuses
«Nous, les femmes du village, nous n’avons pas droit à la terre parce qu’on applique la loi islamique ici. Comme vous le savez, les femmes ne restent pas chez leurs parents, elles vont rejoindre leur mari comme le recommande nos us et coutumes. Ce sont seulement les hommes qui héritent de la terre et qui sont les seuls à pouvoir y accéder», se désole-t-elle.
Lui emboîtant le pas, Ramou Thiam, une jeune fille qui affiche une mine de vieille dame, malgré son jeune âge, souligne que «le paradoxe, est que bien que les femmes n’ont pas accès à la terre, ce sont elles qui, généralement, cultivent la terre pour leur époux». Indignée par cette situation et par les conditions pénibles auxquelles toutes les femmes sont confrontées à Lohène Malé, cette autre paysanne, du nom de Arame Mbodji de marteler : «Ce sont les hommes qui héritent de la terre ici. C’est eux qui possèdent les terres et ils refusent catégoriquement de nous céder ne serait-ce que quelques lopins. Ils disent que les femmes doivent rester à la maison et s’occuper des enfants. Et le comble dans tout ça, c’est que c’est nous les femmes qui cultivons leurs champs».
Politiques et autorités municipales pointés du doigt
Cette situation dont sont victimes les femmes et les jeunes est imputable aux hommes, mais aussi aux autorités municipales qui ne les ont pas du tout aidés pour l’acquisition de terres. En tout cas c’est l’avis de plusieurs mères de familles et de jeunes que nous avons rencontrés. A ce propos, Ndèye Kébé, mère de famille trouvée sous l’arbre à palabre, déclare : «Le peu de terres dont disposent les hommes sont gérées d’une façon discriminatoire. Ils refusent de les partager avec les femmes. C’est ça le problème dans ce village, comme ailleurs dans cette zone. Pis, nous n’avons aucun soutien de la part des autorités qui gèrent le foncier pour mettre un terme à cette injustice. Vraiment l’accès à la terre constitue un énorme problème pour nous».
Pour conforter ces propos Ndèye Diassé, une autre femme du village qui vit la même situation dit: «Ici, nous n’avons ni terre ni eau. On ne sait vraiment pas quoi faire pour sortir de cette situation pénible, nos maris et les autorités nous regardent nous débattre dans cette galère». «Pour vivre, on est obligé de faire du petit commerce, de vendre du poisson, des légumes, de partir dans les ‘louma’ acheter tout ce qu’on peut et revenir le revendre. Si on ne le fait pas, nos enfants vont mourir de faim. Pendant l’hivernage, on accompagne nos maris dans les champs pour cultiver et après, c’est la misère», dit-elle, quelque peu dépitée par son quotidien dans ce village du fin fond du Saloum.
Les mis en cause se défendent
Lamine Lo, le président de l’Association des jeunes de Lohène Malé, confirme que ces femmes «réclament parfois des terres à leurs maris, mais ces derniers refusent de leur céder des parts, malgré des semences à leur disposition. Mais ces propos sont réfutés par la plupart des pères de familles détenteur de terres que nous avons interrogés. Même s’ils reconnaissent qu’ils n’ont pas assez de terres pour en distribuer aux femmes, ils déclarent mordicus qu’ils partagent le peu qu’ils ont avec elles.
A ce propos, Ismaïla Lo, père de famille confie : «Pour les récoltes issues de mes terres, je vous assure que toute la famille en bénéficie. Parce que c’est tout le monde qui travaille, jeunes comme femmes. Le seul problème c’est que nous n’avons pas assez de terres pour en donner à nos épouses». Abondant dans le même sens, Maguette Lo ajoute: «Il faut que les femmes comprennent que nous n’avons pas beaucoup de terres pour cultiver, c’est ce qui justifie qu’on ne peut pas en donner. Il faut surtout qu’elles comprennent que nous travaillons pour elles. Tout ce que nous faisons, c’est pour elles».
CONSEQUENCE DU NON-ACCES DES FEMMES ET DES JEUNES A LA TERRE A LOHENE : Entre divorces, éclatement des familles, chômage et exode rural
Le non-accès à la terre des femmes et des jeunes du village de Lohène Malé a des conséquences très néfastes sur ces villageois. Comme en témoigne les divorces répétés, avec des familles qui volent en éclats et un chômage des jeunes grandissant.
Il suffit de faire un tour dans le village de Lohène Malé pour se rendre compte qu’il y a plus de vieux que de jeunes. Les quelques jeunes que nous avons rencontrés sont unanimes dans leur version : «Nous sommes là en train de nous tourner les pouces dans des discussions interminables, à longueur de journée, faute d'occupation». La majorité des jeunes de Lohène Malé, selon les parents que nous avons interrogés, ont fui le village, en quête d’un avenir meilleur à cause d’un manque de terre où cultiver, car ici, il n'y a rien d'autre que l'agriculture. Et ceux qui n'ont pas de terre pour cultiver sont condamnés à l'oisiveté.
Ainsi, ces jeunes qui quittent le village, souvent, ont comme destinations privilégiées la capitale régionale, Kaolack, où encore Dakar. «On est obligé de quitter le village pour aller à Kaolack ou à Dakar pour chercher du travail. Malheureusement, la situation est encore plus infernale», explique un jeune du nom de Mbaye Lo. «Moi qui suis cultivateur, je n’ai aucune autre qualification que l’agriculture. Je suis obligé d’être marchand ambulant ou d'être journalier pour survivre et faire vivre ma famille», dit-il.
Alassane Dieng, qui dit être un des rares jeunes à rester dans la localité, même s’il avoue que ses jours sont comptés pour quitter le village, avoue : «Notre problème ici, c’est que nous n’avons pas accès à la terre. Nous sommes donc obligés de quitter le village pour la ville, afin de trouver du travail. Je crois que vous avez fait le constat, presque plus de la moitié de nos jeunes ont quitté le village. Il ne reste que les vieux, les femmes et les enfants».
Lamine Lo, le président de l’Association des jeunes de Lohène Malé, est formel sur la question. «Tous les jeunes de ce village, hormis ceux qui ont préféré l’exode rural, sont des chômeurs, à commencer par moi. Et durant la saison sèche - puisqu’il n’y a pas d’eau pour cultiver - on ne fait absolument rien. On reste les journées à nous tourner les pouces».
Quand les jeunes perdent espoir et dignité
Dans ce village très enclavé et difficile d’accès, perdu au milieu de nulle part dans le Saloum, ce ne sont donc pas seulement les femmes qui peinent à obtenir des terres pour cultiver et faire vivre convenablement leurs familles. Les jeunes du village de Lohène Malé sont également dans la même situation.
«Comme les femmes, nous les jeunes du village, nous avons le même problème. C’est-à-dire avoir des terres pour cultiver. Notre seule activité dans ce village, c’est l’agriculture, mais hélas nous avons des difficultés à accéder aux terres comme nos mères», explique avec amertume Alassane Dieng, ce jeune qui venait à peine de rentrer des champs, selon qui, cette situation est mal vécue par tous les jeunes de ce village et même ceux des villages environnants, comme Payemar, Mboutaye Sérère, Ngondiaye et Keur Sakho.
Le président de l’Association des jeunes de Lohène Malé renseigne : «On est des jeunes certes, mais nous avons des femmes. Malheureusement, nous sommes incapables de subvenir à leurs besoins». Et il confie qu’«il arrive très souvent que ma femme me demande la dépense quotidienne sans que je puisse lui donner un sou. Et c’est valable pour tous les autres jeunes qui se réveillent dans ce village. Au finish, nous sommes des misérables, des incapables au sein de nos familles. Nos femmes ne nous respectent plus, parce que ce sont elles qui tiennent les maisons».
Embouchant la même trompette, son ami Abdou Lo, la mine triste explique : «Personnellement, je fais tout pour m’en sortir, mais les choses sont compliquées. Je suis allé plusieurs fois à l’aventure dans des villes comme Tambacounda, Dakar et aussi à Thiaroye comme marchand ambulant, mais ce que je gagnais ne me permettait pas de nourrir ma famille. Moi-même, j’avais des problèmes pour subvenir à mes besoins. Je n’avais même pas où habiter, parce que je ne pouvais pas me payer une chambre. Et pour dormir la nuit, je squatte les rues et les devantures des cantines des marchés. Et c’était vraiment très pénible».
Divorces et éclatement des familles
Les nombreux divorces et éclatement des familles sont l’autre conséquence désastreuse qui découle de la difficulté de ses «paysans sans terre» à accéder à la terre, qui est pourtant leur unique source de revenue. Et pourtant, ce sont les femmes qui font vivre la famille, les hommes se trouvent dans l’incapacité de subvenir aux besoins de ces dernières, selon les nombreux témoignages que nous avons recueillis auprès des jeunes et des femmes. Une situation qui a amené de nombreuses disputes et bagarres qui ont débouché souvent sur des divorces, comme le confirme le sage du village en l’occurrence Souleymane Dieng.
Ce dernier soutient en effet qu’«à cause de ce problème d’accès à la terre, plusieurs couples se sont disloqués. Les épouses ne supportent pas la situation, elles plient bagages et retournent chez leurs parents. Et si ne sont pas les divorces, ce sont des disputent interminables tous les jours. Ce que confirme Codou Thiam, une femme victime de cette situation. «Nous sommes fatiguées et nous vivons dans des conditions inhumaines. Nous n’avons ni revenus, ni ressources pour faire vivre et éduquer nos enfants. Malgré cette situation, nos maris ne pensent même pas à nous céder des lopins de terres. C’est pourquoi on est obligé de prendre nos destins en mains et souvent on quitte le domicile conjugal», avoue-t-elle.
Diémé Thiam, un autre jeune du village, clame: «très souvent, on se contente d’un seul repas toute la journée. C’est la raison pour laquelle des femmes partent souvent chez leurs parents se plaindre du comportement de leurs maris, parce qu’ils ne leur donnent pas la dépense pour nourrir la famille. C’est vraiment pénible et notre dignité ne nous permet pas de faire certaines choses. Mais nous n’avons vraiment pas les moyens de faire face à nos besoins. Ce sont ces genres de situations qui ont fait voler plusieurs familles en éclats ici».
Tueries entre villageois à cause des litiges fonciers
Cette problématique de l’accès à la terre entraîne également parfois des bagarres entre villageois. «Parfois, il y a des querelles entre les habitants des villages environnants. Quelqu’un peu venir dans ton champ et te dire que ce sont ses terres à lui sans brandir des documents l’attestant. Ce qui occasionne des disputes et des bagarres entre cultivateurs. La preuve, dans le village voisin de Keur Ali Bassi, l’année dernière, deux chefs de villages ont été tués dans ces mêmes circonstances. L’un des chefs s’est bagarré avec un autre cultivateur et l’a tué. Et quand les gens du village de la victime ont entendu la nouvelle, ils se sont précipités sur le lieu du crime et se sont vengés en tuant l’autre chef de village», renseigne Mbaye Lo.
Il rappelle que «c’est dans ces conditions que nous vivons presque tous les jours. Les gens partent souvent dans les sous-préfectures pour tenter d’arranger des problèmes liés à des litiges fonciers. C’est des choses qu’on voit tous les jours». Il indique aussi que «s’il y avait assez des terres réglementées et accessibles aux femmes et aux jeunes, toutes ces tueries n’auraient pas eu lieu».
De toute façon, cette problématique d’accès des femmes et des jeunes à la terre risque de perdurer encore longtemps, compte tenu des pesanteurs et des réalités sociologiques de la localité, d'après Babacar Lo, le chef de village de Lohène Malé. «Nous sommes nés et nous avons trouvé nos parents dans ces situations. Nos enfants, nous ont trouvés aussi dans ces conditions et chacun de perpétrer la tradition. Cela, même si c'est compliqué et difficile à gérer», conclut-il.