JEUX DE CLAIR-OBSCUR OU LE RÉEL COMME PRÉTEXTE
EXPOSITION DU PEINTRE MANEL NDOYE A LA GALERIE ARTE...

C’est à la Galerie Arte du Plateau que les toiles du jeune peintre Manel Ndoye ont trouvé refuge, et elles y seront encore jusqu’au 30 mai. Intitulée «Man Jeen La», ou «Je suis un poisson», l’exposition doit énormément aux souvenirs de l’artiste. Enfant, c’est lui qui accompagnait sa maman lors des cérémonies traditionnelles de danse lébou, et le voilà aujourd’hui qui s’amuse à tromper le réel. Etre artiste comme il dit, ce n’est pas être prisonnier des quatre murs d’un atelier. A un moment, il faut bien sortir, et c’est ce qu’il a fait. Allez voir par vous-mêmes…
S’il faut chercher tous les petits secrets enfouis dans les moindres replis des toiles d’un jeune peintre comme Manel Ndoye, peut-être les trouvera-t-on dans les souvenirs de son enfance. Lui qui, tout petit déjà, accompagnait sa maman lors de ces cérémonies traditionnelles lébou où entre deux pas de danse, on suppliait le Ciel d’apporter quelques gouttes de pluie. Et c’est un peu cette histoire que raconte sa peinture qui est une sorte d’éternelle quête de soi, à la recherche de cette «identité qu’il y a sur le rythme, sur la danse, sur le son et sans doute aussi sur la gestuelle».
L’artiste ne s’est pourtant pas contenté de ses réminiscences plus ou moins lointaines, car pour donner une certaine «légitimité» à son travail, au-delà de la couche de peinture, Manel Ndoye a dû apprendre à écouter, prêtant une oreille attentive aux récits que lui contaient de sages messieurs rompus à la tâche, entre Ngor, Yoff et la Médina. Il faut dire qu’à l’époque, le jeune homme qui finira par être major de sa promotion d’arts plastiques en 2010 à l’Ecole nationale des Beaux-arts, devait s’approprier une documentation pas toujours disponible d’ailleurs sur le sujet. Et à la place d’une recherche classique sur la danse lébou, où il aurait peut-être eu le nez dans les bouquins, Manel Ndoye raconte avec des étoiles dans les yeux, comment il fera surtout la connaissance de vrais gens. De toutes ces agréables rencontres et de tous ces visages qui l’ont marqué pour ne pas dire fasciné ou subjugué, et qui finiront par se greffer à son œuvre comme pour lui coller à la peau, l’artiste façonnera des personnages faits de papier.
L’exposition qu’il présente en ce moment et jusqu’au 30 mai à la Galerie Arte du Plateau, est dans cet esprit-là: on y retrouve toute une collection, une vingtaine d’œuvres pour tout dire, et autant de portraits féminins plutôt récents puisqu’ils datent tous de cette année. Son inspiration, il la trouve dans une danse traditionnelle lébou comme le «ndwarabine», dans ce geste chorégraphique qui doit beaucoup au «mouvement du pêcheur qui jette son filet», et qui le ramène ensuite à lui. Entre les costumes toujours très colorés des danseuses, où les grands boubous ramenés négligemment jusqu’aux épaules se superposent en une sorte de subtil chassé-croisé à des camisoles à manches courtes et dans des combinaisons chromatiques toujours très audacieuses, Manel Ndoye crée son univers artistique, même s’il explique qu’il n’a pas toujours fait des portraits.
La foule et le flou
Avant, il se contentait surtout de «restituer» quelque chose de ces lointaines ambiances de danses rituelles où l’on ne distinguait pas grand-chose finalement, et où «la foule avait le don de rajouter une couche de flou». Aujourd’hui, Manel Ndoye s’est comme qui dirait rapproché de sa cible, s’amusant à capturer tous les traits les plus imperceptibles de ses personnages, vus de loin. Mais le jeune homme de 28 ans n’est pas «photographe», ou alors serait-il un peu fantaisiste quand on sait que le réel ne lui sert que de prétexte en fin de compte, et qu’il se plaît surtout à le dénaturer ou à le tourmenter, lui greffant quelque détail insolite.
Pas de reproduction telle quelle, l’artiste a une certaine préférence pour la re-création spontanée et pour la liberté de ton. Il dit d’ailleurs que ce ne serait que peine perdue d’ailleurs, si lui tentait de contraindre ou d’«orienter» son pinceau. Sans doute parce que «l’’artiste ne contrôle pas tout, la peinture a elle aussi son mot à dire, et c’est peut-être pour cette raison qu’il y a toujours un non-dit dans les œuvres d’art, des choses que l’on ne voit parfois qu’à l’exposition ou que d’autres personnes nous font remarquer. C’est presque mystique».
Par exemple, Manel Ndoye n’avait peut-être pas vu que certains de ses personnages fragmentés ou fractionnés, avaient quelque chose d’un cours d’eau ou d’un planisphère, d’un paysage ou d’une moitié d’arbre. Détails à la fois insolites et implicites pour quelqu’un comme lui qui se dit très préoccupé par la nature. Entre les lignes de son tableau, il glisse aussi quelques éclats de pensée, plus ou moins codés.
Techniquement, Manel Ndoye explique qu’il travaille surtout à l’acrylique, même s’il lui arrive parfois comme il dit, de faire quelques mélanges avec du pastel ou de se laisser tenter par un collage. Difficile de le classer, puisque lui-même décrit son style comme un genre hybride, entre le figuratif et l’abstrait. Entre la lecture aveugle de loin, et la lecture plus ou moins précise de près, l’artiste joue les clairs-obscurs.