JOOLA, LA RANÇON DU LAXISME
RAPPORT DU COLONEL NDAW SUR LE NAUFRAGE
Le naufrage du bateau LE JOOLA ne peut être en aucune manière imputable à des défaillances techniques. La catastrophe est consécutive à une série de manquements en 48h. Surtout l’absence de la vacation de minuit le jour du drame. Telle est la conclusion du colonel Abdoulaye Aziz Ndaw qui avait dirigé la commission d’enquête interne à l’époque du drame en septembre 2002.
“Le retard dans le déclenchement des alertes, l’absence de l’avion SAR dans les recherches, l’inadéquation des moyens nationaux mis en œuvre, ont entraîné un manque d’efficacité dans l’assistance et les secours”.
C’est avec ces mots que le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw concluait, le 1er octobre 2002, son rapport sur le naufrage du bateau le JOOLA il y a bientôt 13 ans (26 septembre 2002).
L’auteur du brûlot “Pour l’honneur de la gendarmerie sénégalaise” était à l’époque le président de la “Commission d’enquête interne sur les conditions du naufrage du bateau M/S le JOOLA et les mesures prises pour porter assistance aux naufragés”.
La commission était composée de huit membres appartenant à différents corps de l’armée.
D’après le colonel Ndaw et les sept autres de la commission, le bateau le JOOLA répondait à toutes les normes, jusqu’au jour du naufrage.
Le drame ne résulte que d’une série de défaillances humaines qui ont toutes eu lieu les 26 et 27 septembre.
Ayant été arrêté du 25 juillet au 23 août, le bateau a connu un carénage et des travaux de moteurs et de coque.
Des essais ont été faits du 20 au 23 août. Les auteurs du rapport secret jugent les “résultats satisfaisants”.
Sur les conditions de reprise du navire, le document note une demande de rénovation du second moteur non satisfaite par la primature.
“La marine nationale a proposé la reprise des rotations à compter du 10 septembre 2002 avec une rotation par semaine et la limitation de la vitesse de rotation moteur à 800 t/mn, correspondant à la vitesse du bateau de 11 nœuds sur une vitesse pratique habituelle de 12 nœuds. Des consignes de contrôle et de sécurité renforcées ont été données au commandant de bord”.
En plus, les enquêteurs dirigés par le colonel Ndaw précisent que le 23 septembre 2002, le navire a subi la visite technique annuelle des experts de la marine marchande.
Que ce soit les moteurs, les groupes électrogènes, les équipements de navigation, de communication, de sécurité ou de manœuvre, tout fonctionne “dans des conditions acceptables depuis la remise en service du bateau”.
“Les radeaux de sauvetage sont en cours de validité après la visite annuelle en août 2002”, précise-t-il.
Il s’y ajoute que, poursuivent-ils, depuis la sortie du bateau de l’usine en 1990, les travaux d’entretien et de réparation du bateau ont été régulièrement effectués.
Prenant en compte toutes ces observations, les auteurs du rapport concluent :
“De tout ce qui précède, conformément aux usages de la marine marchande, le bateau M/S LE JOOLA était en état de prendre la mer. Le CEMARINE avait en plus donné des consignes de prudence et de sécurité par note de commandement”.
Ce qui veut dire que le naufrage n’est aucunement lié à l’état du bateau. Les enquêteurs prennent même le soin de rectifier les “néophytes” qui ont mal interprété.
“La gîte du navire (inclinaison apparente) sur le côté bâbord constatée à quai à Ziguinchor était dû au fort courant avant l’appareillage et non à un quelconque défaut technique du bateau. Le JOOLA a retrouvé son équilibre aussitôt après l’appareillage”, corrige-t-on.
L’origine est plutôt à chercher dans les comportements le jour et le lendemain de la catastrophe.
Prenant le départ à Ziguinchor, LE JOOLA, à 18h 55 mn, passe le fleuve Casamance à l’absence de toute anomalie de fonctionnement ou de météorologie défavorable.
Cependant, sur une capacité respective de 350, 150 et 50 places, la troisième, deuxième et première classe ont fait l’objet de vente de 655, 110 et 44 billets.
“La vacation de minuit ne s’est pas produite”
Ce qui veut dire pour les experts que le surplus de la troisième classe ne peut se trouver qu’au pont supérieur. Une supposition confirmée par témoins et rescapés.
Une fois à Carabane, une bonne partie des 185 nouveaux passagers rejoignent la partie supérieure.
“C’est ainsi que, d’une part, l’existence de peu de fret dans la cale et, d’autre part, d’environ 500 personnes sur le pont supérieur, a dû faire remonter le centre de gravité d’où une stabilité précaire du bateau, le rendant ainsi moins apte à affronter un mauvais temps”, analysent les enquêteurs qui signalent qu’en cas de déplacement rapide des personnes sur le pont supérieur pour se protéger d’une pluie, la stabilité précaire du bateau serait accentuée.
Et c’est exactement ce qui s’est passé. Non seulement la stabilité du bateau a été précaire, mais dès que la zone orageuse a été entamée, les passagers se sont déplacés en masse vers le bâbord.
Pourtant, le climat était assez prévisible pour parer à l’éventualité. Les auteurs du rapport relève que le mauvais temps n’est pas apparu à l’improviste, puisqu’il s’était installé dès la fin de la journée du 26 jusqu’aux premières heures du 27 septembre. N’empêche, l’équipage n’a rien vu venir.
“Le visionnage du film pris par une équipe de plongeur montre que les équipements de sauvetage n’ont pas été déclenchés. Cela confirme la thèse que l’équipage a été surpris par l’évènement et n’a pas pu déclencher les procédures d’alerte”, note-t-on.
Le bateau a donc chaviré, reste les secours. Cette partie est dévolue à l’armée de l’air. Le dernier contact entre le bateau et la marine nationale remonte à 22h.
Aucun incident n’a été signalé. Mais quand surviennent les problèmes, il n’y avait plus à qui parler.
“La vacation de minuit ne s’est pas produite. Depuis cette heure (22h) jusqu’à 7h du matin du 27, aucune action d’envergure n’a été prise pour assurer l’alerte par tous les moyens mis à la disposition des armées”, déplore-t-on. Ce n’est qu’à 9h 10 que l’alerte a été reçue.
Les premiers moyens mobilisés étant insuffisants, les chefs du détachement de l’alerte SAR et la direction de l’aviation civile ont demandé à ce que l’Atlantique soit décollé du fait de sa capacité. Pourtant, il faudra l’intervention de l’ambassadeur de la France pour que le ministre des Forces armées ordonne directement à l’équipage français de décoller l’Atlantique. Mais hélas, le mal était déjà fait !