L’AUTRE VIOLENCE DES NAVETANES
Le timing est fort opportun, qui a amené hier le préfet de Dakar à lever la suspension qui pesait sur les compétitions de l’Odcav 1 de Dakar. Car l’art de gouverner, c’est aussi de ne pas cumuler les soucis. Au moment où l’eau coule à nouveau dans les robinets et que la tension sociale s’évacue malgré les rancœurs résilientes, les regroupements à fort potentiel explosif, comme les matches de navétane, deviennent désormais plus gérables. En plus, cela offre de quoi divertir les esprits.
Il y a trois semaines que Moussa Sy est mort dans les travées du stade Iba Mar Diop. La famille a fait son deuil et s’installe dans le dur vécu du vide affectif. L’Asc Damels, dont il était supporteur, entretient la mémoire. Le mouvement navétane a eu à compatir et à assurer de son soutien. On a enterré un homme, mais la cruelle réalité est là, qui fait que le spectacle doit continuer.
Le sport n’a pas fini de s’accompagner de débordements mortels, mais il y a toujours des intérêts supérieurs qui font que la machine ne s’arrête jamais. Partout dans le monde, on ne compte plus les cadavres sur lesquels on a continué de jouer. Une minute de silence suffit à la pause post-mortem, puis le temps reprend son vol.
La retour du navétane dans les dix zones de Dakar survient donc à un moment opportun, sauf qu’on commence à être hors du temps.
Les compétitions qui vont sans doute reprendre ce weekend n’en sont généralement qu’à trois journées. Naguère, quand on ne vivait pas la monstrueuse excroissance que connaît aujourd’hui ce mouvement populaire, octobre et la rentrée des classes signifiaient le temps des «choses sérieuses». Il y a longtemps qu’on a perdu cette notion des espaces définis et la maîtrise temporelle qui va avec. Ce n’est pas seulement le navétane qui est en cause. Les dérèglements s’opèrent un peu partout et bousculent les repères qui ordonnent les continuités et les complémentarités dans les activités publiques.
Dans ce désordre ambiant, le navétane a pris ses aises. On sait quand est-ce qu’on démarre, par contre, la fin du calendrier est laissée aux aléas du temps. On recommence ainsi à jouer au moment où les enfants sont appelés à se concentrer sur leurs études.
Mais le fait est que l’éducation elle-même n’obéit plus à un calendrier formel. Le navétane ne sera qu’un amusement de plus dans un emploi du temps où le ludique profite d’une oisiveté quasi-permanente, rythmée par les grèves d’enseignants et autres aléas qui impactent sur l’année scolaire et universitaire.
Déjà, avec les inondations récurrentes, la rentrée des classes est désormais devenue une question de crue et de décrue dans une bonne partie des écoles de la banlieue. Sans compter les «réfugiés» à sortir des écoles. Avec l’université, on est entré dans la logique du fonctionnement à feu continu. Le temps des sessions de juin et d’octobre, avec une «pause biologique» pour le campus social, appartient au passé. Les facs ne désemplissent jamais et les «bûcherons» se relaient sans discontinuer dans le «bois sacré».
Les navétanes reprennent à Dakar et il faut entrevoir leur terme vers janvier de l’année prochaine. On imagine les conflits d’intérêt et de priorité. Les cadets jouent le matin et dans les choix qui s’opèrent les profs ne sortent pas toujours gagnants devant l’entraîneur. La saison de football s’ouvre en novembre et l’utilisation des stades va créer des conflits de calendrier. Qui plus est, avec un même bassin de pratiquants dans lequel tout le monde puise, avec parfois une double utilisation, la ressource continue de faire l’objet d’une exploitation effrénée. Le football devient une activité pour laquelle le corps ne se repose plus, de même que les infrastructures.
La fédération couve en son sein une excroissance qui se développe comme une gangrène et tend vers la destruction du football en tant qu’activité d’élite. Des raisons politico-stratégiques ont contribué à intégrer le navétane dans ce cadre d’organisation formelle. La logique devrait conduire à l’astreindre à respecter une cohérence d’ensemble. Son hypertrophie ne peut continuer, le désordre qu’il installe ayant dépassé les limites du gérable.
Les dix-huit mesures que le préfet de Dakar vient de prendre (voir page 4) pour autoriser la reprise des compétitions, ne répondent qu’à des soucis d’ordre et de discipline. Depuis quatre ans que le navétane siège au cœur des instances fédérales, il se pose des urgences qui ne dépendent point de l’autorité administrative. Il s’agit d’une question de logique interne et de cohérence dans la gestion du football, d’une autre forme de violence à circonscrire et qui n’a rien à voir avec la castagne dans les gradins.