LA CHARRUE DEVANT LES BŒUFS
VOTE DE LA LOI PORTANT MODIFICATION DE L’OFNAC AVANT LA LOI SUR LA DÉCLARATION DE PATRIMOINE
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Vendredi dernier, on a assisté à une hérésie juridique avec le vote de la loi portant modification de l’article de 3 de la loi sur l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac). Il y a eu bévue dans la mesure où les députés ont mis la charrue avant les bœufs en insérant dans la loi sur l’Ofnac une disposition d’une loi qui n’existe pas encore dans l’arsenal législatif du pays : loi sur la déclaration de patrimoine.
Comment le gouvernement a-t-il pu manquer autant de vigilance en allant défendre devant la représentation nationale la modification d’une loi sur la base d’une loi qui n’existe pas ? Qu’est-ce qui a poussé les députés à faire montre de pareille désinvolture, voire de légèreté au point de se rendre fautifs d’une bourde aussi monumentale ?
De nombreux juristes continuent de se poser ces questions soixante-douze heures après le vote de la loi portant modification de l’article 3 de la loi n°2012-30 du 28 décembre 2012 portant création de l’Ofnac et peinent à leur trouver des réponses. Ils sont en effet ahuris par l’initiative des autorités (exécutives et législatives) qui cherchent, à travers ce texte, à harmoniser la loi sur l’Ofnac avec celle relative à la déclaration de patrimoine.
Leur étonnement est d’autant plus grand qu’il y a eu un empressement réel de la part du pouvoir qui a mis la charrue devant les bœufs, et pour cause. Du fait du caractère antérieur de la modification de la loi sur l’Ofnac sur l’existence de la loi sur la déclaration de patrimoine, il s’est agi d’insérer une disposition d’une loi absente de la législation du pays.
A la faveur de la modification qu’il a subie avec l’introduction du point 5, l’article 3 donne mandat à l’Ofnac de «recevoir les déclarations de situation patrimoniale par les autorités qui y sont assujetties par l’article 2 de la loi sur la déclaration de patrimoine.» Une disposition qui tombe sous le sens, étant entendu que la loi sur la déclaration de patrimoine n’existe pas encore.
Des juristes interrogés sur la question sont formels. Pour eux, «la modification de l’article 3 de la loi sur l’Ofnac est nulle et non avenue. Elle ne repose sur rien. On ne peut même pas dire qu’elle est anticonstitutionnelle puisqu’elle repose sur du néant. Elle n’existe pas et il est impossible de rectifier le tir».
Voter et promulguer au plus vite la loi sur la déclaration de patrimoine sinon…
Toutefois, d’autres sources parmi lesquelles un professeur de droit constitutionnel tempèrent, même si elles relèvent une certaine bizarrerie dans la démarche de Macky Sall et son régime qui sont allés plus vite que la musique. «Pour le moment, il n’y a aucun support législatif à la nouvelle disposition de l’Ofnac. L’Ofnac n’a pas de base légale pour recevoir les déclarations de patrimoine puisque la loi sur la déclaration de patrimoine n’a pas encore été votée. Si une personnalité se présente aujourd’hui pour se soumettre à une déclaration de patrimoine, elle ne pourra pas aller vers l’Ofnac. Il fallait surseoir à la modification de l’article 3 de la loi sur l’Ofnac en attendant que la loi sur la déclaration de patrimoine soit votée, c’est plus logique», expliquent nos interlocuteurs qui estiment cependant que les autorités peuvent se rattraper en promulguant la loi sur l’Ofnac, une fois seulement après le vote et la promulgation de la loi sur la déclaration de patrimoine.