LES VÉRITÉS CRUES DE L’ANTHROPOLOGUE AWA THIAM
MUTILATIONS GÉNITALES FÉMININES

Atténuer la sensualité des femmes, accroître la jouissance des hommes, telles seraient les véritables raisons qui font que les mutilations génitales féminines continuent à être pratiquées. Au Sénégal, malgré les programmes de lutte déroulées çà et là, ces pratiques traditionnelles perdurent et sont même en progression, constate l’anthropologue Awa Thiam dans son dernier ouvrage La sexualité féminine africaine en mutation, l’exemple du Sénégal.
Malgré les actions de lutte renforcées, la pratique des mutilations génitales féminines ne s’amenuise pas au Sénégal. Au contraire, elle est en progression. C’est le constat fait par l’anthropologue Awa Thiam dans son ouvrage intitulé La sexualité féminine africaine en mutation, l’exemple du Sénégal.
Dans ce livre de près de 200 pages, préfacé par le défunt Amady Aly Dieng et publié aux éditions L’Harmattan, Awa Thiam propose une étude approfondie sur le phénomène.
Ce livre qui présente les résultats de trois décennies d’études sur cette problématique propose une analyse extrêmement fouillée du phénomène. Selon l’auteur, dans les années 60, les pratiques de l’excision et de l’infibulation avaient cours dans les sociétés africaines.
Mais l’arrivée de la civilisation occidentale a encore renforcé cette pratique. «Après la période des indépendances et l’ouverture de plus en plus grande des sociétés africaines aux civilisations non africaines et occidentales par excellence, certaines gens se sont senties davantage menacées dans leur culture que par le passé», écrit l’auteur qui s’étonne toutefois que ce désir de se protéger se cristallise de cette façon alors même que les femmes africaines usent et abusent de la dépigmentation et des cheveux artificiels sans susciter de réactions aussi violentes.
«Tenir la femme revient alors à la tenir par le lieu où s’assure encore aujourd’hui la reproduction biologique, c’est-à-dire par le sexe», répond Mme Thiam.
L’anthropologue, qui est aussi l’auteur d’un best seller mondial La parole aux régresses parue en 1978, s’attaque aux représentations et interprétations relatives aux mutilations génitales féminines. Awa Thiam note que l’argument religieux est le plus avancé chez les musulmans arabes ou négro-africains.
Mais l’auteur précise que «nulle part dans le Coran, il n’a été fait allusion à cette pratique. La seule trace dont se prévalent ces musulmans pour en pérenniser la pratique est l’exhortation de Mohamed (Psl) à l’endroit d’une exciseuse».
Elle en conclut ainsi que «cela ne permet pas d’affirmer que le Prophète interdisait ou autorisait cette pratique».
En tout état de cause, après avoir parcouru les régions du pays dans lesquelles l’excision est une réalité, Awa Thiam souligne que «quelles qu’en soient les justifications a posteriori, l’excision et l’infibulation, à la sénégalaise ou non, constituent en tant qu’opération vécue physiquement des mutilations-tortures».
Contrôler la sexualité féminine
Dans son analyse, Mme Thiam indique que la raison avouée ou non des pratiques mutilatoires sexuelles féminines est de contrôler la sexualité féminine.
«D’aucuns n’hésitent d’ailleurs pas à affirmer qu’il s’agit, par ces opérations, d’atténuer l’excès de sensualité des femmes. De toute façon, le résultat reste le même, faire de la fillette essentiellement une reproductrice et une force productive.»
L’auteur note un fait troublant : «Ces pratiques mutilatoires qui auraient pour but de rendre la femme moins exigeante au plan sexuel en font aujourd’hui un être insatisfait au propre comme au figuré, qui court à la quête d’un plaisir qu’il ignore ou qu’il peine à connaître.»
Rôle des Etats
Directrice du Laboratoire d’anthropologie culturelle de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), Awa Thiam est Docteur en Philosophie de l’Université Paris I Panthéon Sorbonne et Docteur en Anthropologie culturelle de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan).
Après avoir constaté l’échec de certains programmes nationaux et internationaux de lutte, Awa Thiam appelle les Etats à déterminer, à partir d’études spécifiques, la stratégie à mettre en œuvre pour éradiquer ces pratiques.
«De la sorte, la mutilation d’un clitoris, à l’instar de celle gratuite de tout autre membre du corps humain, ne sera plus un acte impuni», dit celle qui fait un plaidoyer en faveur du respect du droit des femmes à un type de plaisir et leur droit à l’intégrité corporelle et aussi le droit «de ne pas vivre des souffrances fondées essentiellement sur l’accroissement de la jouissance masculine».