MAÎTRE WADE ET MACKY SALL

Le Président Abdou Diouf avait t-il raison de dire que son ex-ministre d’Etat, Abdoulaye Wade, n’était pas un homme d’Etat ? Cette affirmation, Abdou Diouf l’avait faite, réagissant à des propos qu’il avait jugés inconvenants, qu’avait tenus celui-ci à l’encontre de Monsieur Habib Thiam, Premier ministre, au sortir d’un Conseil des ministres.
Etait-ce la première fois que Maître Wade avait tenu des propos qu’il aurait dû éviter de prononcer, compte tenu de son rang? Que non! Nous ne rappellerons que cette autre fois, lorsque d’une haute et intelligible voix, le président de la République qu’il était, avait articulé des accusations inexactes et mal à propos à l’endroit de Monsieur Yoro Deh, alors ministre de la Fonction publique.
Il paraît qu’à l’unanimité, mais sous cape, les membres du gouvernement, surtout le Premier ministre Mme Mame Madior Boye, avaient réprouvé les propos infondés de leur Président.
Par rapport aux propos aussi malheureux que désobligeants que Maître Wade, de surcroît ancien Président de la République, a tenus récemment à l’endroit de son successeur, le Président Macky Sall, chacun appréciera et se fera son opinion sur l’homme que Abdou Diouf avait caractérisé.
On a beau être ou avoir été son fan, même de bonne foi, comme je le fus moi même, un certain temps, on n’en était pas revenu à ses oreilles, en l’entendant dire ce qu’il avait dit sur la descendance qu’il prête au Président Sall. Bien sûr, quel que soit le côté où on le prend, ce que l’ancien Maître Wade a dit avec l’intention manifeste de nuire au destinataire de ces propos, qui sont d’un autre âge, il faut le souligner, personne ne lui accorde la moindre importance, ni le moindre crédit.
Mais il est regrettable qu’il y eût quelqu’un qui, prenant la défense de Macky Sall, s’y était mal pris, parce qu’il n’avait pas volé plus haut que l’ex-Président Wade, pour avoir avancé un argument d’époque lui aussi. Il n’est pas toujours indiqué de répondre à un coup de pied par un coup de pied.
Heureusement que Macky lui-même, se voulant sans doute différent de celui dont lui aussi a été un fan, avait su garder son calme, et laisser passer la tempête que les propos de Wade avaient suscitée.
Mais tenant compte de ce qu’était sans doute l’état d’âme du père de Karim Wade à «l’instant T» où il faisait sa bévue, on est tenté de comprendre ses excès, sa difficulté à se maîtriser, sans pour autant l’excuser.
Les Sénégalais ont été et demeurent tellement choqués par certains faits et gestes de Me Wade qu’ils pourraient malheureusement en arriver à perdre de vue qu’il n’a pas passé le temps de sa Présidence à inaugurer des chrysanthèmes. En atteste son bilan, sur le plan de ses réalisations.
Qu’on en soit arrivé à ne plus du tout l’aimer ou qu’on persévère à l’aimer malgré tout, force est de reconnaître qu’en douze ans, son régime a réalisé beaucoup plus que ce qu’ont réalisé les régimes de ses deux prédécesseurs réunis, notamment dans le domaine des infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires.
Le tunnel de Soumbédioune, sous réserve de ce qu’en disent des techniciens, les ponts et passerelles à Dakar, l’aéroport Blaise Diagne en cours de finition, le Grand Théâtre, en sont des illustrations.
Mais dans un autre domaine, plus important que celui précité, son bilan est très négatif, comparé à ceux de ses mêmes prédécesseurs.
Heureusement qu’un sursaut populaire est venu contredire ce qu’il avait à diverses circonstances clamé, à savoir qu’il finit toujours par faire tout ce qu’il veut faire, personne n’en pouvant rien, selon lui-même. C’était quand il avait commencé à croire à l’apogée de son pouvoir, qu’il rêvait du reste à transformer en régime monarchique. Qui était dupe ? Mais qui, dans son entourage, avait osé piper mot ?
Cet ancien virulent opposant au régime du Président Abdou Diouf, que d’aucuns créditent d’avoir décisivement œuvré pour le renforcement de la démocratie, était devenu, une fois au pouvoir, méconnaissable, avec ses graves entorses répétées au principe de la gouvernance démocratique.
Un volet très important du bilan qu’on est en droit d’attendre d’un chef de l’Etat, en sus des mœurs auxquelles il doit veiller, des bonnes habitudes qu’il doit insuffler, de l’égalité des citoyens quelle que soit leur appartenance religieuse, confrérique qu’il doit garantir, sans oublier la sauvegarde des biens publics. Jugeons-en, notamment sur le dernier point.
En tout cas, s’il est possible d’évaluer à peu près le temps qu’il faut pour construire des édifices, il n’en est pas de même pour se prononcer sur le temps qu’il faut pour remettre à l’endroit des mentalités perverties des années durant, et faire revenir à de meilleurs sentiments tous ceux qui regrettent de n’avoir pas accaparé les biens publics un temps à leur portée.
Revenons à Maître Wade avec un grain de pitié sincère. Nous ne lui inventerons pas de circonstances atténuantes dans ce qui lui est reproché. A son âge, à défaut d’avoir quitté le pouvoir volontairement comme Léopold Sédar Senghor, ou de l’avoir quitté suite à sa défaite électorale, il aurait dû s’interdire de «regarder dans le rétroviseur», comme Abdou Diouf, après ses «prières» remarquées pour son successeur, lors de leur passation de service.
En résumé, son activisme débordant durant son second mandat, en faveur de son fils Monsieur Karim Wade, et depuis que celui-ci est en détention provisoire ne peut pas ne pas avoir agacé les uns et les autres, et créer des jaloux, voire des ennemis à celui-ci, surtout là où il s’y attendait le moins, dans le cercle des soi-disant indéfectibles souteneurs. Que Maître ne perde pas de vue cette réalité et laisse Dame Justice traiter le cas de son fils, comme les cas des fils, femmes et maris des autres qui sont dans la même situation.
Le Président Macky Sall, dans les brouhahas autour des affaires pendantes à la Crei, semble avoir résisté à ceux qui auraient tenté de le pousser à s’immiscer dans les affaires pendantes en justice. Cela s’appelle respecter la séparation des pouvoirs. Non à un second deal à la Reubeuss !
Mais il lui est loisible, faisant application de ses prérogatives constitutionnelles, d’analyser sans contrainte, cas par cas, l’éventualité d’accorder sa grâce à tout prévenu qui serait condamné, s’il la mérite par sa repentance.
A l’intention de ceux qui croiraient que la grâce absout l’intégralité des condamnations, tant pénales que civiles, nous précisons qu’elle ne vise pas le volet concernant les intérêts civils.
Une question se pose. Dès lors que la grâce efface la condamnation pénale, sur quel fondement s’exercerait alors une contrainte par corps contre un condamné gracié qui aurait planqué les sommes dont il est tenu au paiement ?
Puisque l’argent n’a ni odeur ni saveur, celui-ci se mettrait à utiliser sa fortune jugée illicite, pour acheter des consciences de décideurs, de leaders corruptibles de toutes obédiences, pour parvenir à des stations rêvées, et narguer les citoyens soucieux d’honnêteté.
Le marché des consciences est rendu d’autant plus fluide, que le dicton «l’argent n’a ni odeur ni saveur», a fait dire à quelqu’un qu’il n’existe pas d’incorruptibles, il suffit d’y mettre le prix.