MANDELA, LE BAOBAB INTERPLANÉTAIRE QUI CACHE LA FORÊT ÉTOILÉE
MBEKI, LUTHULI, BIKO, SEPTEMBER, SLOVO, SISULU, TAMBO...
Derrière l’homme qui vient d’être célébré par le monde entier, y compris par ceux qui en faisaient un terroriste impénitent, ne pas oublier ces grandes figures politiques et militantes sans qui le destin de Madiba aurait pu être autre.
Le monde entier vient de rendre un hommage suprême à celui qui restera, sans nul doute, l’homme d’Etat africain qui aura été le plus utile à son peuple et au continent noir à des moments exceptionnels de sa vie où rien ne lui était impossible d’atteindre comme objectif.
Nelson Mandela, sitôt libéré de prison, devenu président de la République, est cet homme qui avait l’opportunité d’embraser la terre sud-africaine au nom d’un compréhensible appétit de vengeance contre une mafia afrikaner incorrigible dans son idéologie de cruautés et de bêtises. Il n’en fit rien, grandeur d’âme oblige ! Il aurait pu, au nom d’une logique implacable de représailles, prendre le chemin belliqueux emprunté par le voisin d’à côté, Mugabe, contre un système ségrégationniste infrahumain que l’Occident a fortement soutenu pour défendre ce qu’il considérait comme ses intérêts économiques et stratégiques. Il n’en fit rien, humanisme oblige !
Alors, au cours de ses obsèques, souvent, le chagrin de fond ressenti par les uns a pu côtoyer l’hypocrisie militante des tenants perpétuels de lignes politiques gestionnaires qui dénient encore ouvertement aux hommes tout ce qui peut contribuer à leur émancipation globale. Lampedusa est encore frais dans nos mémoires. A leur décharge, il est vrai que Madiba n’a pas construit sa stature et son aura en une journée...
Nelson Mandela parti après avoir accepté d’être un subversif pour la cause de la justice, n’oublions pas l’extrême rôle que ses compagnons de route ont joué dans l’effort de création et d’émancipation d’une nation sud- africaine qui peine à mettre en œuvre ses ambitions arc-en-ciel. Réfléchissons sur la portée du travail de collecte d’argent mené par Dulcie September jusqu’à son assassinat à Paris, en 1988.
Saluons la proximité que Mandela a entretenue avec le couple Sisulu, Walter et Albertina. “Walter et moi avons tout connu ensemble (...) Il était l’homme dont l’opinion me paraissait la plus digne de confiance et la plus précieuse.” Dans l’enfer quotidien de l’Apartheid, éloge ne peut être plus élevé. De la dame Albertina, ce mot évocateur du premier président de l’Afrique du Sud post-raciale : “Une présence sage et merveilleuse qui apportait un soutien résolu” à un mari très tôt entré dans la clandestinité.
Si le Congrès national africain (ANC) a pu résister aux coups de boutoir de la force policière raciste, il le doit en partie à un autre résistant de l’intérieur, fidèle d’entre les fidèles à Madiba : Oliver Tambo. “Dans les trente ans qui suivirent (le massacre de Sharpeville en 1960), le sens politique de Tambo et la confiance qui régnait entre lui et Mandela dans sa prison allaient être la base de la survie de l’ANC.”
Qui se souvient de l’économiste Govan Mbeki, père de l’autre, Thabo, passé du Parti communiste sud-africain à Umkhonto We Sizwe, la branche militaire de l’ANC, après avoir été condamné à mort et envoyé au bagne de Robben Island où il vécut jusqu’à sa libération en 1987 ? Qui se rappelle encore du pasteur Albert Luthuli, victime d’un triple bannissement pour avoir pris part à la “première campagne de désobéissance civile et pacifique contre le durcissement des lois de ségrégation”, déchiré son “laissez-passer” et appelé à “une journée de deuil national” après le massacre de Sharpeville ?
Qui connaît Raymond Mhlaba, Andrew Mlangeni, Ahmed Kathrada qui a fait un témoignage émouvant dimanche à Qunu ? Quels souvenirs avons-nous de Steve Biko, jeune disciple du mouvement noir non violent de Martin Luther King, viscéralement assassiné à trente ans par les sbires de l’Apartheid, du juif communiste révolutionnaire blanc Joe Slovo, bête noire du régime
raciste jusqu’à sa mort en 1995 ? Et on en oublie tant de figures valeureuses dont l’activisme aux quatre coins du territoire sud-africain et du monde, a grandement contribué à la déliquescence du pire système installé par le colonialisme occidental en Afrique depuis l’esclavage...
Clairement, Nelson Mandela n’est pas petit, mais le formidable rouleau compresseur d’une lutte politique et militaire alimentée par tant de bonnes volontés lui a préparé le terrain de la gloire éternelle sur terre.
(SOURCE : HORS SÉRIE N°33 DE JEUNE AFRIQUE, DÉCEMBRE 2013).