MON MARI PRÉSIDENT

Au vieux proverbe arabe selon lequel derrière chaque grand homme, se cache une femme, le poète français Gabriel-Marie Legouvé répondit depuis le 18ème siècle.
Il en conclut qu’elle n’est pas vraiment cachée et que l’homme n’est grand que très souvent par son rôle que nous devons respecter avec ou sans effort.
C’est une vision des choses remise à l’examen populaire du pouvoir ces temps derniers par un pis aller émotionnel du ministre Mbagnick Ndiaye : «Nous devons tous remercier Marième Faye. C’est grâce à elle que nous sommes dans le gouvernement.»
Cette indescriptible étourderie verbale a nourri tant de montagnes, de thèses et de chicanes sur la pensée du pouvoir politique que nous aurions pu nous passer d’en rajouter une couche, mais le flot d’émotions du ministre de la Culture et de la Communication a la particularité de charrier presque autant d’enseignements.
D’emblée, il se trouve que dans l’ordre des bagouts qui empoisonnent la candeur de la plus haute autorité politique, le propos de Mbagnick Ndiaye donne du fil à retordre à la communication présidentielle et surtout à l’entourage de la Première dame qui s’est longtemps évertuée à démentir l’image qu’on lui attribuait.
A savoir qu’elle serait une femme de poigne, à la limite autoritaire, jouissant d’une grande capacité d’influence auprès de son mari de Président. Exemple : ceux qui doutaient de la propension de Marième Faye Sall à faire des bébés dans le dos de Mimi Touré sont désormais fixés sur leur futile controverse. Toujours est-il que les deux femmes n’avaient pas d’excellentes relations selon quelques secrets de Polichinelle.
D’ailleurs, le dernier épisode de l’aventure montre bien qu’avant les autres, le roi savait tout de ce que lui aurait révélé ce bossu de Polichinelle : Mimi Touré est débarquée de la primature. Aux élections locales, elle a à peine mérité la connivence d’Adama Faye, le frère de l’autre. Ceux qui subodoraient une main du palais derrière la difficulté à l’aligner derrière le chef du gouvernement à Grand-Yoff ont trouvé des réponses.
D’ailleurs et c’est la suite logique des évènements pour en dire le moins, plusieurs proches du couple Sall réussiront au casting du nouveau gouvernement, quand bien même ils étaient frappés par le critère de la victoire aux locales, la fameuse règle grossièrement réitérée en début de course.
La presse a beaucoup aboyé sur ce qu’elle appelait les hommes de la Première dame, sans arrêter la caravane. Le cas de Mansour Faye qui a dû battre Ameth Fall Braya devant le juge à Saint-Louis figure parmi les plus saisissants. D’ailleurs, qu’il ne paiera d’aucun prix les fissures locales imposées à l’alliance au pouvoir.
Ses ennemis intimes Alioune Badara Cissé et Cheikh Bamba Dièye seront naturellement impuissants devant tous les impairs, le second ayant d’ailleurs démissionné longtemps avant le passage de la guillotine du palais. En bien comme en mal, les bras longs d’une première dame pourraient causer des aboutissements insoupçonnés dans la couleur d’un échiquier politique.
Au-delà de ce que le bout de phrase sismique de Mbagnick Ndiaye met ipso facto en doute sa compétence à remplir la charge de la communication dans un gouvernement, il enseigne, même aux initiés, à quelle hauteur l’influence de la Première dame peut parfois occulter le recul froid du politique dans un Sénégal viscéralement attaché à l’image africaine du foyer conjugal.
Vincent Hugeux présente Viviane Wade dans son ouvrage « les reines d’Afrique » comme ce tout multiple auprès du Président, mais il mentionne qu’elle finira par le perdre à bien des égards. Le célèbre historien de l’immédiat est convaincu que la tendance de l’ancien président à promouvoir son fils Karim et à nourrir pour lui un rêve d’héritier vient aussi de ce que Viviane y avait foi.
L’amour aveugle d’une mère pour son fils a impacté gravement les choix du Chef de l’Etat quand il a fini de détruire la personnalité politique d’un jeune abusivement materné, qui du reste aurait pu être le digne fils de son père, une redoutable bête politique malgré tout. Hélas !
L’émotion nègre de Mbagnick Ndiaye qui l’a ainsi trahi sans effraction de la raison hellène, est d’autant plus riche en enseignements que les femmes de l’APR ont faussé la moralité kantienne : « il ne faut jamais raté l’occasion de se taire quand on n’a rien à dire. »
Sophie Ndiaye Cissokho affirme « qu’il a voulu remercier et peut-être sa langue a fourché. » Un supplément de supercherie superflu qui enfonce le clou sans servir le clientélisme auquel il est visiblement destiné. Elle en rajoute aux vilenies qui présagent à perfection que le pouvoir est dans la rue.
De plus évidentes analyses ont déjà convoqué « la comédie du pouvoir » de Fançoise Giroud pour dénoncer les contre natures qui agacent le président Macky Sall. C’est que le pouvoir devrait du reste garder un mythe, selon cette ancienne ministre française de la culture qui n’avait aucun diplôme d’université tel que son homologue sénégalais d’aujourd’hui. Ceux qui manquent à l’obligation du secret vérité en ont perdu la magie.
Rendus sous les draps le soir, les dirigeants écoutent au moins leurs conseillers naturels d’épouses, dans toute l’intimité conjugale, c’est une évidence. Mais personne, même pas Mbagnick Ndiaye, ne doit donner à cet usage de vie un caractère officiel. Sinon, les premières dames auraient un statut constitutionnel. Aragon n’écrit-il pas que l’avenir de l’homme, c’est la femme ?
La décision du président de supprimer les folklores des passations de service pour les réduire aux concernés, aux inspecteurs d’Etat et à la presse ne suffira pas à refaire les resserrements des filets du pouvoir qu’il incarne. Pas plus que le séminaire de 2012 organisé par la délégation à la réforme de l’Etat pour entre autres apprendre aux membres du gouvernement le secret professionnel et la conduite inhérents à leurs fonctions.
Il en aurait été recommandé un autre dans les couloirs du palais à la suite de la dernière bourde, mais on dirait bien que le remède à ces récurrentes dérives doit remonter à bien plus loin dans la nature générale des hommes et du carcan politique dirigeant. Avoir le mérite d’appartenir à la jeune génération avec une vision aussi salutaire peut-il concéder inévitablement des qualités d’hommes de pouvoir ou d’homme d’Etat ?
La rareté ces derniers temps de ceux qu’on peut considérer comme tel au Sénégal a même pour net corollaire la succession d’un certain nombre de laisser-aller et de brûlots qui tendent à faire de l’ère dirigeante, un régime à scandales.
(Pas de scandales) Non pas qu’il ferait prudent de s’attaquer à l’uniforme de façon frontale dans une république aussi fragile, non pas que les Wade n’ont pas généré de bien effarantes catastrophes de gestion qui ne finiront presque jamais de remonter en surface, mais à force de ne rien recoudre, les sénégalais comprendront bien vite comme Coluche que « ça fait marrer de voir qu’on peut se moquer de la politique, alors que dans l’ensemble, c’est surtout la politique qui se moque de nous. »