QUAND LES ÉTATS MISÉRABLES SE LANCENT DANS LE BUSINESS DU KIDNAPPING D’ÉTAT

Avant, les rapts, prises d’otages et autres enlèvements, c’était l’apanage des voyous, des bandits de grand chemin, de la pègre.
Pour la bonne cause, des mouvements révolutionnaires y avaient aussi souvent recours pour obtenir les moyens de mener leur combat.
On enlevait de riches hommes — ou femmes — d’affaires voire leurs rejetons et on exigeait de grosses rançons en échange de leur libération.
On pouvait aussi mettre la main sur des représentants d’un État ou de multinationales pour les mêmes objectifs.
En Afrique, ces dernières années, des gangs maffieux se sont spécialisés dans les prises d’otages. Qu’il suffise de mentionner tous ces groupes qui ont essaimé à travers le Sahel et le désert du Sahara et dont l’enlèvement d’otages occidentaux, notamment des touristes, est devenu le principal business.
Des otages toujours libérés en échange de très fortes sommes d’argent payés par les gouvernements même si, croix de bois, croix de fer que j’aille en enfer si je mens, tous ces gouvernements jurent leurs grands dieux, une fois leurs ressortissants libérés, n’avoir versé aucun kopeck.
Autre zone en Afrique où l’on s’est spécialisé dans le business de la prise d’otages, les côtes somaliennes où des pirates arraisonnaient des bateaux avant de kidnapper leurs équipages. Navires et personnels étaient libérés ou rendus contre, là aussi, paiement de rançons. Mais tout cela n’est pas nouveau ! Ce qui l’est, en revanche, c’est la propension d'États à recourir à cette forme de grand banditisme. Et ce pour obtenir de l’argent. De quoi s’agit-il ?
De plus en plus, en effet, des gouvernements, pour des motifs prétendument humanitaires, accordent l’asile à d’ex-dirigeants de pays où se sont produits des coups d'État ou des révolutions. Bien sûr, quand on fuit un pays en proie à des troubles et où l’on craint pour sa vie et celle de ses proches, on s’attend à retrouver un havre de paix ainsi qu’à être protégé contre ses persécuteurs.
Ces pays hôtes commencent donc par mettre ces réfugiés de luxe dans d’excellentes conditions, à les loger dans des résidences d'État et à les faire garder par leurs forces de sécurité. Un peu comme un mouton qu’on engraisse avant de le vendre.
Le temps de leur soutirer l’essentiel de leurs économies, les dirigeants de ces pays s’en vont… négocier avec les nouvelles autorités des pays de provenance de ces réfugiés de luxe la livraison de ces derniers. Contre espèces sonnantes et trébuchantes, bien sûr, et à hauteur de milliards !
Et voilà que, de réfugiés, les malheureux qui ont eu le tort de faire confiance à ces pays d’accueil se transforment en otages monnayables. Au prix fort s’il vous plaît. L’argent versé, les présidents qui les avaient accueillis "à titre humanitaire", pour ne pas dire conformément aux principes de l’Islam, les livrent à leurs bourreaux. Sans états d’âme.
Derniers exemples en date de ces kidnappings d'État ? La livraison, la semaine dernière, par le président nigérien Mahamadou Issoufou, de Saadi Kadhafi, un des fils du défunt "Guide" libyen Mouammar Kadhafi, réfugié dans son pays depuis 2011. Et ce sous le prétexte apparemment mensonger qu’il fomenterait des troubles dans son pays d’origine à partir de son exil nigérien !
Où il est pourtant gardé nuit et jour, et assigné à résidence, par les forces de l’ordre nigériennes. Montant de la rançon versée par le régime qui dirige la Libye depuis la chute des Kadhafi : 20 millions de dollars, soit 10 milliards de francs cfa.
A supposer que ce que prétendent les autorités nigériennes soit vrai, pourquoi n’ont-elles pas expulsé l’un des derniers fils Kadhafi encore en liberté et vivant — les autres ont été tués en même temps que leur père par les supplétifs de l’Otan que sont les "révolutionnaires" libyens" — à supposer donc que ces accusations soient vraies, pourquoi les autorités de Niamey n’ont-elles pas expulsé Saadi vers d’autres pays qui étaient disposés à l’accueillir plutôt que, encore une fois, de le livrer à ses bourreaux ?
Oh certes, la même rengaine que lorsque les autorités tunisiennes de transition avaient livré aux nouveaux maîtres de Tripoli Mahmoud Baghdadi, le dernier Premier ministre de Kadhafi, à savoir qu’on leur aurait donné des garanties d’un procès équitable et répondant aux standards internationaux — mon œil ! — cette rengaine a été servie aux Nigériens. Lesquels, d’autant plus facilement convaincus qu’ils n’avaient d’yeux que pour la rançon exigée — ont prêté foi aux assurances libyennes.
Or, ne serait-ce que parce que le colonel Kadhafi et plusieurs de ses fils ont été tués lors de la "Révolution", on aurait pu épargner l’un de ses derniers enfants encore en vie. Au lieu de quoi, on a choisi de le livrer en échange de milliards à des "révolutionnaires" qui ne lui veulent pas que du bien. C’est le moins que l’on puisse dire ! Le Niger est un de pays les plus pauvres du monde, mais enfin, cela n’explique pas qu’il soit devenu un chasseur de primes…
Le trésor des Beydanes
L’avant-dernier exemple en date de ces rapts d'État concerne aussi un ressortissant libyen, Abdallah El Senoussi en l’occurrence, qui dirigeait les redoutables services secrets de la Jamahiriya. L’homme, qui était en particulier chargé de remettre des mallettes remplies d’argent aux dirigeants étrangers, après une longue errance suite au renversement de ses maîtres, s’était retrouvé au Maroc d’où il avait été expulsé vers la Mauritanie. Et là, le président mauritanien, le général Abdel Aziz, a compris tout le parti qu’il pouvait tirer de ce prisonnier de luxe puisque Senoussi a été arrêté dès sa descente d’avion.
Au début, Aziz a fait mine de refuser de le livrer aux Libyens, histoire de faire monter les enchères. Après quoi, lorsque les autorités de Tripoli ont levé la barre financière suffisamment haut, il a accepté de leur livrer ce prisonnier qui détenait autant de secrets sur le défunt "Guide". Montant de la rançon versée là : 50 millions de dollars, soit 25 milliards de francs cfa. Une excellente affaire pour le général putschiste Abdel Aziz !
Notre pays lui-même a joué à ce jeu maffieux avec l’ex-président tchadien Hissène Habré réfugié au Sénégal depuis 1990. Le successeur de Habré, c’est-à-dire le dictateur Idriss Déby Itno, étant prêt à tout pour que lui soit livré son ennemi juré — à défaut de le faire juger —, il se dit que l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, en aurait profité pour soutirer un max de dollars à Déby.
Ce qui est sûr, en revanche, car officiel, c’est que c’est ce dernier qui a financé pour une grande partie le procès de Habré au Sénégal. Officiellement, l’Etat tchadien a donné deux milliards de francs pour ce procès mais il se dit qu’il y en a eu beaucoup plus. Toujours est-il que, selon le principe qui veut que qui paye commande, le Tchad ne s’est pas privé pour dicter publiquement ses volontés au Sénégal… qui s’est exécuté sans réprobation ni murmures !
Ainsi, notre pays a non seulement mis en prison Habré — qui présente pourtant toutes les garanties de représentation ! — mais encore quand l’ancien ministre de la Justice de Ndjaména, Jean-Bernard Padaré, a exigé que tous les biens de Habré soient mis sous scellés, le Sénégal s’est exécuté la semaine même !
Egalement, lorsque le même est venu exiger que le bloggeur tchadien réfugié au Sénégal, Mikaïla Nguebla, soit expulsé, dans les jours qui ont suivi il a été mis dans un avion à destination de Conakry ! Fort heureusement pour lui, la France lui a accordé l’asile politique depuis, ce que le Sénégal n’a pas eu le courage de faire.
Bref, on pensait que les prises d’otages avec demandes de rançons étaient l’apanage des voyous et autres bandits de grands chemin, à la rigueur celui des mouvements de libération, hélas voilà que des États africains fauchés y ont recours à leur tour ! Et nous, grands naïfs, qui pensions que le droit d’asile était sacré…