TRISTE COMME UN MOIS D’AOÛT

On n’a point de pétrole et l’or qui fait rêver du côté de Kédougou ne brille pas encore assez. Quant au diamant, les rares carats qui scintillent n’éclairent que le cou de certaines dames de la haute société. Dans un pays où l’on ne vit point de ces ressources précieuses, on a toujours su compenser cette pauvreté par la qualité des ressources humaines. En matière d’intelligence fine, on s’est même cru sortis de la cuisse de Jupiter. Nobélisables avec Senghor et finalement Académiciens pour entrer dans l’immortalité, on s’est senti canonisé par les dieux. C’est pourtant dans ce pays qu’on découvre qu’il n’y a plus assez d’intelligence de faire des katas.
Une catastrophe ressortie des derniers championnats d’Afrique de karaté.
Avec sidération, on entend que les karatékas sénégalais ne savent plus danser avec le vent, n’ont plus cette finesse qui permet d’allier grâce et explosivité. Que cette sublime chorégraphie dans laquelle la puissance du corps s’exprime à travers une élégante maîtrise du geste leur échappe quelque part.
Or toute la beauté du karaté est là, quand on regarde les artistes surfer sur le tatami en donnant l’impression de glisser 5 centimètres au-dessus du sol ou de se promener sur tapis roulant.
On a donc été sidéré de lire, dans le dossier de Souleymane Seck paru dans Waa Sports du mercredi 20 août, que les «Lions» ont frisé le ridicule lors des championnats d’Afrique avec leur shotokan, devant les merveilles du shito ryu égyptien. On n’a pas vu et on n’y connaît pas grand-chose. Mais on se dit que la différence doit tenir de tout ce qui sépare le Moonwalk de Michael Jackson du Shake your body de ses 15 ans, au temps des Jackson Five.
Bien avant que Bruce Lee et le cinéma chinois n’illuminent les écrans sénégalais, au début des années 1970, on avait compris, regardant par-dessus les murs de ce qui deviendra le Do Rama de Me Bada Hann à Ouagou Niayes, que le kata exprime un esprit dont le kumité est la lettre. Que la relation renvoyait à l’abstrait et du figuratif, comme en peinture. Tous les deux vous parlent, mais vous interpellent différemment.
Quand on regarde un kata, on se dit que le corps est comme un pinceau entre les doigts d’un maître. Et que devant la perte de l’essence de cet art (ce qu’est le karaté, en fait), le kimono n’est plus un habit de lumière mais une combinaison de bleu de chauffe. L’artiste devient artisan.
Où a-t-on perdu cette étonnante légèreté de l’être qui s’exprime dans la puissance du kata ? Dans le dossier de Souleymane Seck, on tombe sur un début d’explication en lisant l’ancien sélectionneur national Me Bada Hann, le même évoqué plus haut : «Nous avons la base, il suffit d’avoir des stages et autres conclaves pour s’adapter.»
Cela ramène à ce qu’on écrivait dans cette chronique, le 8 août dernier, au lendemain de l’élimination de la sélection nationale des U17 par le Togo, dans les qualifications de la Can-2015 : «Ce qui est dangereux pour les techniciens sénégalais, à se laisser enfermer dans cette spirale de l’infertilité, c’est d’en arriver à perdre toute capacité à penser dans le sens du nouveau. Englué dans la boue de la débrouille, prisonnier du colmatage, enfermé dans un cadre qui configure la préhistoire de la performance, il est à craindre que leur savoir, qui devrait tendre vers la recherche du post-modernisme, ou au moins accompagner le mouvement qui se crée, ne serve à gérer le non-sens et l’irrationnel. A s’atrophier.
(…) «Echouer, s’enliser, ne même plus avoir un socle valable sur lequel prendre appui pour rebondir… c’est comme quand on tombe dans du sable mouvant : plus on s’agite, plus on s’enfonce.»
On parlait du football. La débâcle des championnats d’Afrique d’athlétisme est venue conforter la même réflexion. Le karaté creuse encore plus cette tombe, qu’une 2e place derrière l’Egypte ne masque que pour la forme quand le fond est si pauvre.
Triste mois d’août. On réprime les biens mal acquis avec juste raison, mais au même moment ce qui se perd ou se déprécie ailleurs reste énorme. Peut-être qu’un jour, le désastre sera si grand partout qu’on ouvrira les yeux sur la terrible carence qui se généralise en tout domaine.
Pour ce dont il est question dans ces colonnes, on rappelle que le sport de haut niveau relève d’une dynamique dont la mouvance s’accélère sans répit. Il repose sur la technique, la technologie et des sciences multidisciplinaires qui servent de lit et de creuset à la recherche continue de la performance. Il s’appuie sur ce que les tenants de la recherche-action appellent la théorie du réel, un domaine où la fin repose sur les moyens.
Il est donc temps que le technicien sénégalais retourne aux enseignements prophétiques sur le savoir.
Les carences de l’Etat à promouvoir l’excellence sont patentes ; mais il y a aussi une paresse intellectuelle chez ces techniciens qui continuent à éternuer avec les poussières du passé.
Le sport de haut niveau ne connaît pas la fatalité de l’échec. Le 7-1 ramassé par le Brésil devant l’Allemagne, durant le dernier Mondial, exprime certes des limites et des carences brésiliennes. Mais la performance est surtout saluée comme le sacre du modèle allemand dans le travail, la recherche du résultat et la quête de la performance.
Les situations de réussite et d’échec, en sport, sont plus objectives que subjectives. Elles sont dans le réel face auquel le technicien se remet en question. Si les intelligences, à ce niveau, ne se remettent pas en mouvement, on continuera à s’enfermer dans les vestiaires de l’histoire. Tandis que, ailleurs, cette histoire continuera à s’écrire sur les terrains, les pistes d’athlétisme, les tatamis, etc.