ABDOUL AZIZ DIOP OU L’ HISTOIRE D’UNE PROMOTION-SANCTION
Tout jeune reporter, il entendait être un journaliste indépendant, impertinent et irrévérencieux dans le Sénégal des années 70. Mais c’est sans compter la susceptibilité et la frilosité du président Senghor
Journaliste de formation, Abdoul Aziz Diop a eu une carrière fabuleuse parce que très tôt consacré correspondant de l’Office de radiodiffusion télévision sénégalaise (ORTS) à l’étranger. Tout jeune reporter, il entendait être un journaliste indépendant, impertinent et irrévérencieux dans le Sénégal des années 70. Mais c’est sans compter la susceptibilité et la frilosité du président Senghor qui, au faîte de son pouvoir, voire de sa gloire, n’était pas prêt à tolérer un certain niveau d’impertinence. Face à la fougue d’Abdoul Aziz, «Léo Le Poète», pense devoir trouver une parade. Une solution qui arrange tout le monde. C’est ainsi qu’Abdoul Aziz sera nommé correspondant de l’ORTS (ancêtre de la RTS) en Allemagne alors qu’il n’avait pratiquement qu’un an d’expérience. Cette promotion à la forte saveur de sanction, Abdoul Aziz saura l’exploiter judicieusement à son avantage. En effet, après trois ans à son poste, il rend le tablier de l’ORTS et enfile le manteau de la Deutsche Welle, la radio allemande, où il y officiera pendant plus de quatre décennies. Quoique parfaitement intégré et surtout époux d’une Allemande depuis bientôt 50 ans, il n’a jamais demandé la nationalité, preuve de son attachement au Sénégal. Également artiste, Abdoul Aziz est musicien, écrivain et peintre. La retraite actée, c’est à ces passions qu’il se consacre désormais.
Jeune «révolutionnaire », fraîchement diplômé de l’école de journalisme Maisons-Laffitte (France), une référence d’alors, Abdoul-Aziz Diop commence sa carrière dans l’année 70 à l’Office de radiodiffusion télévision sénégalaise (ORTS), actuelle Radiodiffusion télévision sénégalaise (RTS). Très vite, il va se révéler être une épine dans le pied du président Senghor. Ce dernier ne pouvant tolérer de s’encombrer d’un «journaliste emmerdeur», pense devoir vite trouver une solution, mais une solution douce qui arrange les deux parties : l’emmerdeur et l’emmerdé. C’est alors que Senghor tourne ses méninges et sort une idée de génie. Il s’agit d’«exiler» Abdoul Aziz Diop en Allemagne comme correspondant de l'ORTS.
Pour un jeune reporter, frais, fougueux et sans grande expérience, c’était une énorme promotion. Et Abdoul Aziz ne crache pas dessus. Dans la foulée, il fait ses valises et embarquement immédiat pour Cologne avec l’espoir de rentrer après deux ans au maximum. En terre germanique, bien que correspondant de l'ORTS, très tôt, Aziz «flirte» avec la radio publique allemande, la Deutsche Welle (DW) en collaborant comme pigiste. Le temps passant, entre les «deux dames», ORTS d’une part et la DW d’autre part, son cœur balance. Et un choix s’impose. C’est alors qu’il décide de lier son destin avec la Deutsche Welle, l’heureuse élue de son cœur. Il va ainsi entamer une belle histoire et très longue carrière avec cette radio internationale jusqu'à la retraite en 2014. Une belle manière de profiter d'une sanction, finalement, enviable que le président Senghor a bien voulu lui infliger pour sa langue un peu trop pendue. Puisque c’est son désir imparable de ne pas demander l’autorisation pour parler et le refus de recevoir l’injonction de se taire ou même de parler d’une certaine manière qui lui ont valu cette «promotion-sanction».
D’ailleurs avant l’Allemagne, sa première «promotion sanction» fut son affectation à Ziguinchor. Là-bas aussi, au lieu de vivre son éloignement comme une sanction, il a profité pour s’enrichir culturellement et spirituellement alors qu’il était rentré de sa formation de France, il y avait peu de temps. «J’étais un jeune ambitieux qui avait pour objectif de pousser le métier vers le haut, notamment la radio. C’est là où j’ai commencé à avoir de problèmes. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas duré à Dakar, on m’a affecté (jeté) à Ziguinchor. Je croyais que c’était une punition. Mais une fois à Casamance, j’ai trouvé là-bas des Hommes bien, intègres et pieux, à tel point que je ne voulais plus retourner à Dakar. Après, on m’a fait revenir à Dakar et j’ai continué à faire ce que je faisais. C’était trop aux yeux du gouvernement. On a dû me chercher une sorte de poste. C’est comme ça que je suis venu en Allemagne», expliquait en mars dernier Abdoul Aziz sur la chaine Emigré Tv.
«J’étais un révolutionnaire. C’est notre génération qui était comme ça», ajoute Aziz. Entre jeune révolutionnaire et un régime de parti unique difficile pour les deux parties d'accorder leurs violons. «Il faut reconnaître que dans les années marquant le début des indépendances, les autorités étaient très soucieuses du respect des Institutions qu’à leur avis, la Presse et les journalistes leur devaient. Cette attitude cavalière des ‘’autorités’’ a créé très vite une ‘’distance ‘’ entre les deux camps et pendant longtemps, rangé la presse parmi l’opposition», analyse le journaliste Mbaye Sidy Mbaye. Il est utile de rappeler que Senghor malgré sa méfiance vis-à-vis de la presse surprend parfois son monde.
Le maraboutisme à la radio : Senghor calme les ardeurs de son ministre
L'intrépide Abdoul Aziz s’autorisait le traitement de quelques sujets sensibles sous le régime du président Senghor. Il se rappelle cette émission qu’il animait sur le thème « Croyez-vous au maraboutisme ? » Dans le micro-trottoir de l'émission, d'aucuns estimaient qu’ils ont de bonnes raisons de croire aux marabouts parce que même le président Senghor pendant les élections se rend chez les marabouts pour chercher leur concours. Le ministre de la communication d’alors Daouda Sow, dans tous ses états déboule dans le studio et les réprimande copieusement. Erreur ! Senghor, plutôt satisfait va prendre le contrepied du ministre zélateur presque au même moment. « On a fait passer cette bande à la radio. Et ça a fait un gros scandale. À l’époque notre ministre était Daouda Sow. Il était venu tout furieux nous réprimander. Mais au même moment, Senghor a téléphoné à la radio pour dire qu’il a suivi l’émission et que c’était intéressant. Cette émission, je pense qu’on l’a fait passer dix fois grâce à Senghor qui avait un esprit de dépassement». Pour ce sujet, Senghor n'avait pas de problème. Mais globalement Abdoul Aziz Diop est une brebis incontrôlable et imprévisible, il fallait qu'il aille ailleurs faire ses soubresauts.
Senghor définitivement débarrassé d’un trouble-fête
Promu correspondant, Abdoul Aziz admet qu’il n’était pas particulièrement «le plus intelligent ou le plus compétent» pour mériter une consécration aussi précoce que prestigieuse. Mais en revanche, il était «certainement le plus emmerdant» de tous. En effet, au temps des partis uniques, aucun régime en Afrique ne pouvait tolérer un journaliste avec une certaine liberté de ton. Tout compte fait, le jeune journaliste d’alors a su exploiter cet éloignement. D’ailleurs, Abdoul Aziz reconnait le prestige rattaché à ce poste de correspondant à l'étranger surtout pour son âge. «Pour un jeune journaliste qu’on nommait immédiatement correspondant, c’était une promotion extraordinaire dans la carrière de journaliste». Sauf que dans son cas précis, ce n'était pas gratuit et désintéressé.
Mais sa nomination relevait plutôt d'une stratégie méticuleusement pensée, une méthode savamment planifiée pour appâter et éloigner un journaliste politiquement encombrant, professionnellement impertinent, un peu trop libre et insoumis. En somme, une manière douce d'écarter «un chien de garde» pour se préserver des aboiements assourdissants. Abdoul Aziz se fait plus précis sur les motifs inavoués de sa nomination : «Ce qui me valait cette promotion n’était pas mon mérite. Je n’étais pas plus intelligent ou plus méritant que mes autres collègues. Peut-être j’étais le plus emmerdant. Donc, il fallait un peu m’isoler pour avoir un peu la paix», plaisante-t-il.
Travaillant à Bonn et résidant à Cologne, quand Abdoul Aziz arrivait en Cologne, en 1973, il n’y avait qu’une dizaine d’Africains et le Sénégal comptait environ 3 millions d’habitants. Aujourd’hui c’est une bonne colonie qu’on rencontre dans cette ville allemande. Mamadou Diop Decroix, le camarade de promo à la Fac d'Abdoul Aziz n’est pas surpris par les manœuvres de Senghor pour éloigner le journaliste. Par ailleurs, il trouve l’expression de «promotion-sanction» très juste pour traduire la nomination de son ancien camarade de lutte avec qui il était très proche au département de philosophie. «La notion de promotion-sanction est appropriée puisqu'il (Abdoul Aziz Diop) était brillant et en même temps invivable pour les chefs qu'il empêchait de tourner en rond. Donc on l'éloigne tout en l'incitant à accepter ce qui, somme toute, était une bonne opportunité pour un jeune de son âge», explique l’ancien ministre.
De l’ORTS à la Deutsche Welle
En découvrant la Deutsche Welle, Abdoul Aziz Diop n’a pas quitté son poste de correspondant de manière précipitée. Tout en assurant sa mission pour l’ORTS, il a continué à faire des piges pour la DW. Stratégiquement, il fallait assurer pour quelques années la mission pour laquelle il était en Allemagne. Mais très vite, du collaborateur, le jeune reporter passera à agent de la DW. «Quand j’ai démissionné, j’avais déjà un pied dedans (Ndlr : à la DW). Donc il ne me restait plus qu’à ramener l’autre pied pour continuer», se rappelle-t-il sur un ton comique. Trois ans ont suffi pour qu’il renonce à son poste de correspondant pour l'ORTS. Pour le régime de Senghor, c’est du pain béni. Tant qu’Abdoul Aziz reste loin du Sénégal et ne peut jouer à l'empêcheur de tourner en rond au Sénégal, cette démission est plutôt une bonne nouvelle. Dont acte.
Même si Abdoul Aziz reste modeste, sa compétence est aussi un fait. Journaliste politique, il s’est pendant longtemps occupé de «Politique occidentale» envers l'Afrique à la Deutsche Welle. À l’époque, des profils de journalistes comme le sien étaient considérés comme les «meilleurs connaisseurs de la politique occidentale». Officiellement, Abdoul Aziz est journaliste politique, mais dans sa carrière, il n’a laissé presqu’aucun desk en rade au sein du service francophone de la Deutsche Welle. Polyvalent, il est passé de la Culture, à l’Économie et au Sport. En 2012, il était encore responsable du desk Sports de la DW. Au total, il aura capitalisé 47 ans à la DW et à juste raison. «Je sais que son travail était bien apprécié par les responsables de la chaîne, sinon ils ne l’auraient pas gardé si longtemps car Aziz a quasiment fait toute sa carrière à la DW jusqu'à la retraite», estime Djadji Touré qui a pris le relais pour l’ORTS quand Abdoul Aziz a rejoint la DW.
Le journaliste Mbaye Sidy Mbaye a rencontré Abdoul Aziz Diop en Allemagne et se souvient des valeurs dont est porteur son confrère. «Aziz était un journaliste aguerri aux règles d’éthique et de déontologie de notre profession. On s’est connu en Allemagne, à la Deutsche Welle. Un homme très ouvert aux innovations en matière de liberté des journalistes, de leurs droits d’assumer la responsabilité au nom des "personnes". C’est une notion qui est née dans les années 40-45 et qui a renforcé le pouvoir de l’opinion publiques».
Un face à face avec Abdou Diouf qui fait l'effet d'une bombe dans le pays
Abdoul Aziz Diop se rappelle cet entretien tendu qu’il a eu avec le président Abdou Diouf en direct à la télé lors des élections de 1988 pour le compte de la DW et qui «avait retenti comme une bombe dans ce pays». Il s’agit d’un entretien sans concession où Abdoul Aziz récusait l’incarcération d’Abdoulaye Wade et dénonçait la flagrance d’une injustice. Une prise de position claire et nette de ce journaliste ô combien révolutionnaire. «Bien que je ne sois pas membre du PDS, j’étais en discussion très, très vive avec le président Abdou Diouf pour la libération de Abdoulaye Wade parce qu’il n’y avait aucune raison de l’arrêter», se souvient-il. D’ailleurs, il se rappelle avoir été le premier à évoquer l’idée d’un gouvernement d’union nationale au Sénégal à cette époque précise.
Bientôt 50 ans passés en Allemagne, Abdoul Aziz Diop explique pourtant que son projet à l‘époque ne fut nullement de s’incruster au pays de Johann von Goethe. «Puisque, dit-il, toute ma volonté était de travailler pour le Sénégal» et surtout de lutter pour «la liberté de la presse qui a été l’une des raisons pratiquement de mon exil». Ça, c’était le vœu. Mais l’amour étant parfois capable de chambouler des projets les plus obsédants, cela a dû changer les plans du journaliste. Ce n’est pas pour autant qu’il s’est déconnecté du pays, surtout pas de son Saint-Louis natal. Aziz Diop tient à la terre de ses ancêtres comme à la prunelle de ses yeux. Il a voyagé dans nombre de pays à travers le monde, visité beaucoup de villes. Mais son Saint-Louis natal demeure sa ville de cœur. Cette ville l'habite même s'il a aussi son cœur au pays de Konrad Adenauer.
Cette Allemande qui conquis le cœur du journaliste
Arrivé en Allemagne, Abdoul Aziz Diop s’est très tôt remarié avec une native avec qui ils forment un couple exemplaire et fusionnel. Un amour fort qui a transcendé les années et les différences culturelles. Le couple germano-sénégalais a eu trois enfants et des petits enfants. L’épouse allemande d’Abdoul Aziz a généreusement éduqué ses autres enfants issus de son premier mariage au Sénégal qui l’avaient rejoint en Allemagne. En famille, Abdoul Aziz Diop est un papa modèle, diplomate et négociateur. Avec ses enfants, c’est la grande amitié, une complicité à toute épreuve et une expression sans tabou dans le respect mutuel. À la question de savoir quel type de papa il est, il répond en souriant «Si je fais confiance à mes enfants, je ne sais pas s’ils voulaient me truander ou pas, il semble que je suis un excellent papa», rapporte-t-il sur un ton humoristique. Mais une chose est sûre, Abdoul Aziz est d’abord «un ami» pour eux.
Par exemple, quand, il rentre à Dakar, il sort avec l’une de ses filles. «Nous sommes sortis deux ou trois nuits. Mais personne ne voulait croire que c’était ma fille. Nous sommes allés en boîte, allés ici et là prendre un pot. Notre dialogue est sincère et l’échange se fait dans le respect avec un langage très libre. Je suis comme ça avec tous mes enfants», assure-t-il. En plus d’être bon papa, Abdoul Aziz Diop est loyal en amitié. Il dit porter toujours ses amis de jeunesse dans son cœur sans distinction aucune, quel que soit ce qu’ils sont devenus socialement ou qu’ils ont accompli professionnellement. «Pour moi, ils sont tous égaux et je les porte dans mon cœur avec la même passion», affirme-t-il «J’ai toujours adoré tous mes amis et je respecte beaucoup mes amis de jeunesse parce que nous avons partagé quelque chose de très, très beau. D’ailleurs, je ne fais que leur courir après. Je crois qu’autant que je suis un bon père de famille, je suis un bon ami», insiste-t-il. Abdoul Aziz a compris que donner de l’amour participe aussi, dans une certaine mesure, de son bonheur.
La philosophie du bonheur selon Abdoul Aziz Diop
Affable et très prévenant, Abdoul Aziz est un homme attentionné au regard bienveillant. Svelte et de teint clair, ses cheveux grisonnants portent le poids des âges. Le regard de ce Saint-louisien bon teint suffit pour mettre en confiance ses interlocuteurs. C’est tout débordant d’émotion qu’il nous accueillait en 2012, chez lui à Yoff. Il était si ému qu’il avait du mal à s’installer confortablement dans le fauteuil, le dos très loin du dossier. Ce n’est pas pour autant qu’il se sépare de sa pipe après s’être excusé de fumer. Pour Abdoul Aziz, il fallait à tout prix mettre à l’aise ses hôtes. Le journaliste Djadji Touré connaît bien l’homme qu’il a remplacé à la Deutsche Welle pour l’ORTS : «Aziz c’est un grand cœur, un vrai «domou Ndar» avec la sensibilité, l’urbanité mais aussi la témérité», nous confie Djadji Touré avec qui il a «des relations familiales par alliance».
Abdoul Aziz Diop est un homme heureux parce que sa philosophie de la vie est simple et le bonheur pour lui, c’est facilement atteignable. «L’idée du bonheur pour moi, c’est d’être d’accord avec soi-même. Si on est d’accord avec soi-même, je crois qu’on peut être heureux». L’argent c’est bien, mais trop d’argent, c’est problématique. À son avis, il est absurde de passer sa vie à thésauriser car rien ne vaut la paix. Or si vous avez trop d’argent, ce qui risque de vous manquer cruellement c’est la paix que l’argent ne peut acheter outre mesure. «Si vous avez beaucoup d’argent, vous n’avez que des soucis d’argent. Vous n’avez pas la paix. Quand vous dormez, vous pensez à l’argent, quand vous rêvez, vous ne pensez qu’à l’argent ainsi de suite», estime Aziz. In fine, il est important de savoir apprécier le peu que l’on possède. «Avec le peu, je peux vivre honnêtement, vivre heureux et ne pas me donner des préoccupations qui me chargent moralement jusqu’à m’exclure un peu du véritable sens de la vie», analyse Abdoul Aziz.
Passion, parcours et regard sur le journalisme aujourd’hui
Né en 1948 à Saint-Louis, Abdoul Aziz est ancien pensionnaire du lycée Blanchot et a été ancien élève du ministre Amadou Makara Mbow. Étudiant en philosophie, avec Mamadou Diop Decroix, c’est en deuxième année d’études qu’il passe avec succès le concours de journalisme organisé, à l’époque, à l’échelle continentale. Reçu à ce concours, il rejoint La Maisons-Laffitte (France). À ce titre, Abdoul Aziz est de la même génération et de la même formation que Sokhna Dieng, Abdou Bane Ndongo. D’autres comme Malick Gueye, Abdoulaye Fofana Junior étaient admis dans les centres de production de la même institution. La formation terminée, rentré au pays, Abdoul Aziz rêvait d’une presse libre, indépendante et respectueuse de l’éthique et de la déontologie. C’était une période de brouillement politique où la jeunesse avait soif de changement, voire de chamboulement politique, sociale et idéologique.
«Cette génération de soixante-huitards ce sont des combattants. Partout où ils sont, ils se battent contre l'injustice et contre la médiocrité. Aziz était en pointe sur ce front contre l'injustice et contre la médiocrité», se remémore Mamadou Diop Decroix qui a lui-même fait les frais du régime Senghor parce qu’«exclu de l'université et enrôlé dans l'armée jusqu'en 1972». Il entre clandestinement en politique et perd de vue Abdoul Aziz Diop alors qu’ils étaient «de vrais copains» au département de philo. C’est dans ce contexte que Abdoul Aziz trouve l’opportunité d’aller se former en France en journalisme.
Le journalisme, trop sérieux pour rester aux seules mains des journalistes
Une presse libre et indépendante, c’était le vœu des journalistes de la génération d’Abdoul Aziz. «Notre but c’était qu’il y ait ce qui existe aujourd’hui. Vous êtes heureux actuellement», se réjouit Abdoul Aziz Diop. Il se «satisfait» aujourd'hui de la floraison des titres au Sénégal et de la liberté dont jouissent les journalistes. Puisque quand, lui quittait le Sénégal, l’ORTS radio et le quotidien «Le Soleil» étaient seuls médias du pays. Mieux, il n’était «pas donné de parler ou d’écrire», en toute liberté comme c’est le cas aujourd’hui. C’était un seul discours, lisse, commode et en phase avec le régime Senghor. D’ailleurs, c’est en voulant passer outre que lui s’est retrouvé en Allemagne par la force des choses. «J’ai fait partie de ceux qui œuvraient pour le développement du pays parce que j’étais à la radio et à la radio c’est du sérieux. On a essayé d’apporter notre savoir-faire. Aujourd’hui, quand j’attends parler de liberté de presse, j’ai envie de rire. Parce qu’on était les premiers militants de cette cause», affirme Abdoul Aziz.
Mais sur un autre plan, Abdoul Aziz reste dubitatif sur la pratique du métier au Sénégal. «À lire parfois le contenu de certains collègues, on relève énormément d’insuffisances», regrette-t-il. À son avis, ces insuffisances pourraient relever des failles de la formation. Mais en même temps, l’école ne peut pas non plus tout donner. Le journaliste doit sans cesse se former. D’ailleurs, le doyen sénégalais de la DW est pour une suppression de «l’école réelle de journalisme». Pour lui, ce n’est pas inintéressant d’ouvrir la profession à des professionnels d’autres secteurs. En d’autres termes, il serait pertinent que de plus en plus, tout journaliste, ait une autre formation dans un domaine quelconque en plus des techniques professionnelles qu’il peut acquérir à l’école de journalisme. «Je ne suis pas partisan d’une école réelle. Je suis favorable à ce qu’un juriste, un médecin ou qu’un instituteur fasse du journalisme. Qu’on ait quelque chose en main pour apprendre ensuite les techniques de l’information», argue-t-il.
Toutefois, Abdoul Aziz Diop ne perd pas de vue le fait que ce soit «plus complexe» aujourd’hui parce que tout simplement c’est «toute une science, la communication avec pas mal de disciplines». In fine, aller à l’école pour certaines disciplines dérivées oui, mais y aller pour du journalisme exclusivement, «je ne crois pas que l’école soit nécessaire», conclut-il. Professionnel aguerri, Abdoul Aziz a reçu et formé des générations de stagiaires africains, notamment sénégalais au service francophone de la DW pendant des années. Son conseil à leur endroit a toujours été «lire, lire, lire et lire». Il n’y a pas de secret pour être bon dans ce métier. Internet existe certes, mais ne suffit pas. Et pour que ses conseils soient mis en application et suivis d’effets, Abdoul Aziz ne manque pas d’offrir des œuvres à ses interlocuteurs. À son avis, le manque de documentation peut-être une des causes des lacunes notées chez la nouvelle génération. Abdoul Aziz a aimé le journalisme, mais sa vie n’est pas faite que du journalisme. Il a ses passions pour exprimer et partager ses émotions. Au commencement était l’art...
Vie littéraire et artistique
Journaliste, Abdoul Aziz Diop est aussi écrivain, musicien et peintre. Un artiste multidimensionnel en somme. Son premier livre «L’ailleurs et l’illusion» paru en 1983 au NEA porte sur l’émigration. Dix ans plus tard, il sort «Prisonniers de la vie» qui rassemble ses souvenirs d’enfance à Saint-Louis, «Prison d’Europe» en 2011, a eu le 3è Prix des lycées et collèges du Sénégal. Ce roman retrace l'itinéraire de Michael, un Africain incarcéré dans une prison allemande, accusé de supercherie et de violences conjugales. «L’obsession du bonheur» est en cours de finalisation compte non tenu des nombreux «brouillons» en attente dans les tiroirs. Passionné de «création musicale», en 1997, Aziz avait sorti une cassette intitulée «Ndar». «J’écris des chansons en wolof car avant d’être journaliste, j’ai été musicien. Je chantais et jouais de la guitare et je me suis formé au Star Jazz de Saint-Louis». Également attiré par la peinture, c’est l’expression artistique qu’il a le moins pratiqué. Tant mieux puisque le «’virus de la peinture' a été retransmis à quelques-uns de ses enfants tout comme la musique», expliquait-il dans le quotidien Le Soleil en 2014.
Retraité depuis 2014, malgré son attachement pour le Sénégal, Abdoul Aziz ne compte pas commettre la maladresse de rentrer au Sénégal et laisser son épouse en Allemagne. Dans sa vision des choses, cela relèverait de l’ingratitude. «Ce n’est pas très reconnaissant de profiter d’un peu trop de ma liberté pour dire : ‘’maintenant je suis en retraite, je vais aller dans mon pays, je vais rester six mois ou sept mois là-bas et te laisser seule ici’’. Ce n’est pas correct», estime-t-il. Toutefois, il avait prévu de multiplier «si c’est possible les va-et-vient».
Attaché à sa culture sénégalaise, Abdoul Aziz s’est aussi enrichi de quelques valeurs germaniques comme le culte du travail. La société allemande m’a beaucoup marqué ; elle m’a donné le sens de la ponctualité, de la franchise, de la conscience au travail quitte à y laisser ma vie». En près de 50 ans de service, Aziz ne s’est absenté que 2 fois au boulot parce que là-bas, même malades, les gens ne s’absentent pas aussi facilement. Ce qui pour lui tranche avec les habitudes au Sénégal ou ailleurs.
Abdoul Aziz tel un ambassadeur du Sénégal ?
Abdoul Aziz est probablement le premier Sénégalais arrivé en Cologne en 1973. Sa profession aidant, il a sans conteste réussi à trisser sa toile en termes de relations et de réseautage. Etant donné son grand coeur, il ne s'abstient pas d'aider ses compatriotes qui ont quelques petits soucis d'ordre administratif ou autres. En tout cas sur la toile, des internautes qui connaissent l’homme témoignent. «Ce monsieur Diop est une pilonne de la fierté sénégalaise et il pesait beaucoup plus lourd que notre ambassadeur à Bonn. Son assistance aux Sénégalais en Allemagne est sans borne», commente un internaute qui se fait appeler Clin D’Œil. «Généreux de cœur et d'esprit, patient et pédagogue accompli. Aziz Diop est multidimensionnel. C'est la source à laquelle on ne se privera jamais assez d'étancher notre soif inextinguible de connaissance. Reste longtemps encore parmi nous », dit pour sa part un certain Pappur_Meradiop. Un troisième internaute est plutôt surpris quand Abdoul Aziz Diop dit n’avoir pas été confronté au racisme pendant tout ce temps en Allemagne. «il faut avoir une drôle de chance à moins d'être" aveugle». En effet, Abdoul dit n'avoir été victime de racisme à proprement parlé, mais convient que la discrimination existe.
Nous avions interviewé et dressé le profil très léger de Moulay Abdel Aziz, le nom d’antenne d’Aboul Aziz en 2012 lors de son bref passage à Dakar pour la célébration des 50 ans de la section française de la Deutsche Welle. Le profil avait été publié dans Le Pays au Quotidien et le Sénégalais.net. Abdoul Aziz profitait de ce retour pour passer l’une de ses rares Tabaski à Saint-Louis «après 40 ans de non tabaski» en Allemagne. Puisque là-bas, le jour de la Tabaski est «une journée comme une autre, à part prier et se recueillir», contrairement à la convivialité et le partage dont on peut jouir au Sénégal. Ce texte alors très maigre en infos, a été profondément réactualisé et mieux documenté, notamment avec des témoignages les propos récent du personnage dans un entretien sur Emigré Tv.
Puisque désormais "Domou Ndar" est définitivement libéré de ses charges à la Deutsche Welle, il peut revenir tranquillement fêter, fin de ce mois de juillet, une Tabaski en paix dans l’intimité familiale, renouer avec les senteurs et les saveurs de Ndar, sa «cité éternelle».