AMADOU MAKHTAR M'BOW, PIONNIER ET MARTYR
La disparition du Sénégalais marque, selon Adekeye Adebajo, la fin d'une ère de leadership africain combatif et visionnaire, loin des "nobodies glorifiés" actuels, "souvent ternes, extrêmement prudents et politiquement conservateurs"
(SenePlus) - Dans un article publié dans Business Day et bientôt dans The Guardian, le professeur Adekeye Adebajo rend hommage à Amadou-Mahtar M'Bow, figure emblématique sénégalaise décédée le 24 septembre 2023 à l'âge de 103 ans.
Adebajo brosse le portrait d'un homme aux multiples facettes, né le 20 mars 1921 à Dakar. "M'Bow était ainsi l'incarnation vivante du 'triple héritage' d'identités africaine, musulmane et occidentale décrite par le chercheur kényan Ali Mazrui", écrit-il. Son parcours exceptionnel l'a mené de l'école coranique aux bancs de la Sorbonne, en passant par l'engagement dans les Forces françaises libres pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le professeur souligne la vision novatrice de M'Bow à la tête de l'UNESCO, citant ses propos avant sa prise de fonction : "Je me méfie un peu d'un humanisme universaliste qui masque souvent l'eurocentrisme. Je préfère le pluralisme, qui acceptent l'identité distinctive de chaque peuple". Cette philosophie a guidé son action à la tête de l'organisation.
Adebajo met en lumière les initiatives audacieuses de M'Bow, notamment son soutien au "Nouvel ordre mondial de l'information et de la communication" (NOMIC). Il explique que l'idée était de "réduire la domination des agences médiatiques occidentales dans le reportage des nouvelles mondiales", ainsi que de lutter contre "la représentation souvent culturellement insensible, stéréotypée et négative du Sud global".
Le professeur qualifie Makhtar M'Bow de "visionnaire" pour ses actions en faveur de la restitution des biens culturels. Il note : "M'Bow a été visionnaire en poussant le 'Comité intergouvernemental pour la promotion du retour des biens culturels à leur pays d'origine ou de leur restitution en cas d'appropriation illicite' en 1978 : des actions que les gouvernements européens ne commenceraient à prendre que dans les années 2010."
Cependant, Adebajo rapporte que cette vision progressiste a suscité une vive opposition de la part des puissances occidentales. Il décrit une campagne de dénigrement sans précédent, accusant M'Bow de délit d'être "anti-occidental et antisémite". Le professeur dénonce : "Le gouvernement américain - soutenu par la Heritage Foundation d'extrême droite et des médias d'entreprise complaisants - a alors lancé une chasse aux sorcières coordonnée contre M'Bow qui avait le même niveau de véracité que les procès des sorcières de Salem au 17e siècle."
L'auteur va plus loin en critiquant la couverture médiatique biaisée de l'époque. Il cite une étude révélant que "61% des sources pour les articles privés des médias grand public américains provenaient de sources officielles de Washington, 14,5% de sources occidentales hostiles 'anonymes', et seulement 21,1% de l'UNESCO elle-même". Il ajoute : "Ironiquement, la campagne médiatique diffamatoire menée par l'Occident a prouvé le bien-fondé de l'argument de M'Bow sur la nécessité de diversifier les sources d'information mondiales."
Malgré ces attaques, Adekeye Adebajo souligne l'héritage considérable d'Amdou Makhtar M'Bow. Il évoque son projet phare, une histoire de l'Afrique en huit volumes.
En conclusion, Adebajo dresse une critique parallèle entre la génération de M'Bow et les représentants africains actuels à l'ONU, qu'il qualifie de "nobodies glorifiés". Il les décrit comme «souvent ternes, extrêmement prudents et politiquement conservateurs, plus intéressés par le prestige, les avantages et les indemnités journalières de leur fonction que par le fait de dire la vérité au pouvoir».
La disparition d'Amadou-Mahtar M'Bow marque, selon Adebajo, la fin d'une ère de leadership africain combatif et visionnaire sur la scène internationale. Son combat pour la diversité culturelle et l'équité mondiale, bien que contesté de son vivant, résonne aujourd'hui avec une acuité renouvelée dans un monde en quête de pluralisme et de justice.