«BACC BËT», CHANGER LE REGARD
Diffuser des films africains pour que les populations puissent se regarder autrement, c’est l’objectif du programme «Bacc bët» déroulé à Dakar entre les quartiers de Ouakam et Grand-Dakar.
Diffuser des films africains pour que les populations puissent se regarder autrement, c’est l’objectif du programme «Bacc bët» déroulé à Dakar entre les quartiers de Ouakam et Grand-Dakar.
Les salles de cinéma sont encore rares dans le pays mais les amoureux du 7ème art peuvent vivre leur passion grâce à quelques initiatives portées par des associations. C’est le cas de Bacc bët. Le projet réunit le Lab’Oratoire des imaginaires Kenu implanté à Ouakam et le Centre Yennenga situé à Grand-Dakar. Alternativement, ces deux quartiers accueillent des projections généralement organisées le soir et qui visent «à retravailler le regard et les imaginaires» selon l’artiste musicien Alibeta, l’initiateur du projet. «Bacc bët est un concept que nous avons pensé pour travailler sur le regard des Africains sur eux-mêmes. Le cinéma est un outil qui aide à construire le regard. Et tout le cinéma qu’on consomme ici en Afrique est le fruit du regard des autres sur le monde et souvent même le regard de l’autre sur l’Africain. Les Africains se regardent à travers les yeux des autres», constate Alibeta. Le Concept cinématographique, qui est le fruit d’une synergie entre Kenu, le Lab’Oratoire des Imaginaires, et le Centre Yennenga, diffuse «des images des Africains sur eux-mêmes», pour construire ce regard. Ainsi, le projet cherche à répondre aux besoins d’exploration des imaginaires, des pratiques sociales et des savoirs traditionnels des Communautés de Ouakam et de Grand Dakar. Traditionnellement, le terme Bacc bët est utilisé pour désigner une pratique traditionnelle servant à nettoyer les yeux. «Bacc Bet, c’est une réflexion sur comment reconstruire un regard. Comment faire pour diffuser des films africains pour que les populations puissent se regarder autrement. Et j’ai eu à travailler sur cette proposition avec Fatou Kandé Senghor lors de notre manifeste Nuni nenn qui est sorti avec l’album Nun», précise Alibeta.
«Wallay» au centre Yennenga
Vendredi dernier, la troisième projection du programme s’est tenue dans la cour du Centre socio-culturel de Grand Dakar, siège de l’Espace Yennenga. Autour du long métrage de Berni Goldblat, Wallay, les cinéphiles ont pu savourer la joie de regarder un film sur grand écran et en plein air. A l’issue de la projection, le réalisateur suisso-burkinabè est intervenu en ligne depuis la Suisse pour discuter avec le public. «Wallay est une histoire qui me semblait importante de raconter surtout à ce moment où le monde a tendance à se refermer et ou les identités deviennent de plus en plus meurtrières», indique Berni Goldblat dont le film a fait le tour du monde des festivals. Wallay, c’est l’histoire du jeune Ady. Vivant en France avec son père, il glisse petit à petit vers la petite délinquance. Pour le redresser, son père l’envoie à Bobo Dioulasso. «Il pense qu’il part en vacances. Au début, il est arrogant et sûr de lui. Mais la rencontre avec la grandmère change tout et symbolise tout ce qu’il avait en lui et qu’il ignorait. C’est un film sur les origines, sur la culture et le drame des immigrés qui n’ont pas été élevés avec la langue et les valeurs d’une partie de leurs parents et c’est très handicapant finalement», souligne le réalisateur. Le choix de Wallay n’est pas fortuit selon Alibeta. «C’est un film qui reconstruit le regard parce qu’il montre l’itinéraire de ce jeune métis que son père renvoie au village. Finalement, entre les images qu’il peut avoir sur l’Afrique et la réalité de sa rencontre avec sa famille africaine, ça change son regard. Ce film contribue aussi à cette dynamique de renouveler les imaginaires, de reconstruire les regards. C’est pour ça que ce film rentre très bien dans cette proposition Bacc bët», souligne Alibeta. Le LAB’Oratoire des Imaginaires, espace culturel né au début des années 2020, est implanté sur le territoire de Ouakam. Sous l’impulsion de l’artiste Alibeta qui a rassemblé autour de lui un collectif composé de plusieurs structures, il s’articule autour d’activités de formation, d’intermédiation, de production diffusion et de recherches autour des pratiques sociales et savoirs traditionnels de la société ouakamoise. Ancré à Grand Dakar, Yennenga est le 1er centre culturel dédié au cinéma au Sénégal. Créé en 2018 à l’initiative de Alain Gomis, réalisateur franco-sénégalais récompensé à plusieurs reprises à l’international, les missions du centre portent sur la création, la diffusion et la formation cinématographique.