BOUBACAR BORIS DIOP, HÉRITIER DE L'ÉCOLE DE GRENOBLE
En s’inspirant des travaux de Cheikh Anta Diop, il a contribué à enrichir la littérature wolof, tout en défendant l’idée d’une unité linguistique africaine. Son œuvre, à la fois politique et poétique, est un hommage à l’identité culturelle du continent
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Il est sans doute l'un des héritiers les plus connus et les plus intransigeants du savant sénégalais Cheikh Anta Diop. Brillant intellectuel, Boubacar Boris Diop a su surtout imprimer sa marque dans la traduction de la vision de l'égyptologue concernant les langues nationales, emboitant le pas ainsi à ses aînés de l'école de Grenoble comme Cheikh Aliou Ndao, Assane Sylla ou encore Saliou Kandji, qui a créé le premier syllabaire wolof.
On serait tenté de dire qu'avec son français fluent, empreint de maîtrise et son élocution savante et quasi musicale, Boubacar Boris Diop est un fanatique francophile à loger à la même enseigne que le président poète Léopold Sédar Senghor. Et pourtant pour cet écrivain, ce compliment serait une provocation insupportable, voire un crime de lèse-majesté.
En cause, dans la grande et classique querelle idéologique et intellectuelle qui a traversé ces 60 dernières années entre Senghor et Cheikh Anta Diop, Boubacar Boris Diop a été sans appel par rapport à son choix. Cheikh Anta Diop est celui d'après l'écrivain que les africains doivent suivre et écouter.
Lui l'a suivi et écouté. Et si le savant multidimensionnel a eu plusieurs héritiers sur plusieurs disciplines différentes, Boris a été plus visible surtout dans la traduction de la vision de Cheikh Anta Diop par rapport à la promotion des langues africaines dans l'éducation. Dans un article de Taxaw, organe de sa formation politique, Cheikh Anta Diop soutenait ceci : «Le développement par le gouvernement dans une langue étrangère est impossible, à moins que le processus d’acculturation ne soit achevé, c’est là que le culturel rejoint l'économie. Le socialisme par le gouvernement dans une langue étrangère est une supercherie, c’est là que le culturel rejoint le social. La démocratie par le gouvernement dans une langue étrangère est un leurre, c’est là que le culturel rejoint le politique».
C'est fort probablement de ce constat que Boubacar Boris Diop, qui est pourtant l'un des derniers mohicans de la littérature française africaine a orienté ses recherches et ses publications vers la promotion des langues nationales, surtout la langue wolof, continuant ainsi les travaux de ses aînés de l'école de Grenoble. En effet, tout commence en 1954, avec la sortie de Nations nègres et culture, ouvrage dans lequel Cheikh Anta Diop cite les grands poètes du wolofal.
Et en 1958, le groupe de Grenoble composé de personnalités emblématiques comme Assane Sylla, Saliou Kandji et le brillantissime Cheikh Alioune Ndao, qui s'est inspiré du livre de Cheikh Anta Diop va produire Ijjib wolof, le tout premier syllabaire dans cette langue. Plus tard, d’autres vont poursuivre le travail avec la revue Kàddu, autour de Samba Dione, Pathé Diagne et Ousmane Sembène. Il y a eu aussi, dans la même période, l’importante contribution du mathématicien Sakhir Thiam.
Et en 1996 Aawo bi est le premier roman qui a jamais été publié en wolof. Et Boubacar Boris Diop est manifestement dans ce sillage. Né en 1946, l'intellectuel sénégalais, lauréat Grand prix littéraire d'Afrique noire en 2000, a fait de la promotion des langues nationales, le soubassement de ses œuvres littéraires ces dernières années. Il a écrit deux ouvrages dans la langue Wolof. Son premier roman en wolof s'intitule Doomi Golo publié en 2003 et traduit en français en 2009 sous le titre Les petits de la Guenon. «Si je n'avais pas été au Rwanda, je n'aurais sûrement jamais écrit en wolof. Ça ne veut pas dire que je n'en aurais pas eu envie. Je n’en aurais pas eu la force», avoua-t-il.
À l'en croire, en effet, c'est son séjour au Rwanda en 1998, au cours duquel il s'est rendu compte du poids des implications étrangères dans le génocide des Tutsis survenu dans ce pays en 1994, qui l'a poussé à écrire en wolof. Celui qui a enseigné le wolof à l'UGB de Saint-Louis publiera en 2017, toujours en wolof, Bàmmeelu Kocc Barma. Il va ensuite paraître en 2024 sous le titre Un tombeau pour Kinne Gaajo. Défenseur acharné des langues nationales et disciple assumé de Cheikh Anta Diop, il a indiqué dans une de ses nombreuses interviews que Cheikh Anta Diop a traduites dans Nations nègres et culture, des concepts scientifiques et une synthèse par Paul Painlevé de la théorie de la relativité généralisée d’Einstein.
Et à ce titre, le journaliste, fondateur du site de Dafuwaxu.com est le digne continuateur des travaux de Cheikh Anta Diop, ce dernier qui croyait fortement à une unité linguistique en Afrique. Ce que fait Boubacar Boris Diop sonne vraiment comme un préalable nécessaire.