DANS LA MYSTIQUE DU GÉNIE PROTECTEUR DE SAINT-LOUIS
L’histoire de la ville de Saint-Louis est intrinsèquement liée à la présence de son génie tutélaire
Originaire de Saint-Louis, Amadou Moctar Ly, «Masta» de son nom d’artiste, plonge au cœur de l’imaginaire de cette ville tricentenaire pour donner un visage au génie protecteur de la ville. «Mystic city of Kumba Bang», son exposition à la Galerie Kemboury, est un voyage dans un monde imaginaire, mais bien réel.
L’histoire de la ville de Saint-Louis est intrinsèquement liée à la présence de son génie tutélaire, Maam Kumba Bang. Encore aujourd’hui, certains habitants n’hésitent pas à procéder à des libations dans le fleuve pour s’attirer ses bonnes grâces. Des femmes enceintes qui veulent arriver à terme dans les meilleures conditions ou tout simplement des rites de protection, des sacrifices sont souvent pratiqués sur les berges du grand fleuve.
Ayant grandi dans cet environnement, l’artiste peintre, Amadou Moctar Ly, Masta de son nom d’artiste, a laissé parler son imagination pour représenter ce monde. Le résultat est surprenant et époustouflant.
En couleur ou sépia, les œuvres de Masta sont un voyage dans cet univers mystique qui reste collé à la vieille ville. «Mon travail s’est toujours accentué sur Saint-Louis, une ville qui inspire, qui a beaucoup à offrir artistiquement et culturellement. L’histoire de Maam Kumba Bang fait partie du patrimoine immatériel. Je me suis approprié cette histoire et vu que c’est quelque chose de pas palpable, j’ai essayé de lui donner une image», explique l’artiste au moment de procéder au vernissage de l’exposition accueillie par la Galerie Kemboury, dans le cadre des Off de la Biennale de Dakar.
Dans le travail de l’artiste, les personnages sont directement tirés de l’imaginaire fertile de cette contrée. On y raconte en effet que le génie tutélaire prend souvent forme humaine pour se mêler aux populations. Mais Maam Kumba Bang est également le bouclier qui protège contre les esprits malfaisants qui seraient tentés de sévir contre «son peuple».
Dans le travail de l’artiste, les personnages n’ont pas souvent des visages humains. Et la pointe de surprise vient sans doute de ces génies chaussés de Vans et qui posent fièrement. «C’est important pour moi parce que certes c’est une histoire qui date de longtemps, mais ces croyances se sont prolongées. Jusqu’à présent, si vous allez à Saint-Louis, il y a des gens qui entretiennent cette relation avec ces génies. Pour moi, la peinture peut avoir cet aspect de rêve ou de cauchemar imagé. C’est un monde invisible imagé», prévient l’artiste.
Formé à l’école des arts de Dakar, l’artiste qui vit désormais en France, entre Paris et Le Mans, manie la palette des couleurs avec aisance. «Le choix des couleurs vient naturellement. Quand je travaille, je crée une sorte de dialogue entre le tableau et moi. J’essaie de créer en même temps une charge spirituelle qui fait que je me libère. Et une fois que c’est fait, il y a un échange spirituel entre les premières couches et les suivantes. Quand je démarre une toile, je ne sais pas à quoi cela va ressembler. C’est à la fin que je réalise.»
Sur le travail de Masta, les titres sont évocateurs : Sacrifice will not be televised (Le sacrifice ne sera pas télévisé), Mauvais augure, Tribulation, Ame sœur, Un fauteuil pour deux, etc. Mais les œuvres portent également un langage ésotérique. Le chiffre 362, en référence à l’âge de la ville, revient souvent, à côté d’inscriptions cabalistiques évoquant ce monde mystérieux et que seuls les initiés peuvent décoder. «J’utilise les formes, les couleurs, le collage, tout ce qui me permet de donner une âme à cet univers», dit l’artiste qui, à travers cette immersion dans l’univers de Maam Kumba Bang, invite à un «voyage dans un monde imaginaire» qui est, selon lui, l’expression d’un enracinement dans nos cultures. «C’est une histoire du passé mais qui s’est prolongée aujourd’hui et c’est notre rôle d’artiste de faire en sorte que cette histoire continue d’exister et que les jeunes la connaissent», rappelle Masta. En 2010, il a fallu tuer un bœuf en sacrifice pour que le génie de la ville accepte la finalisation des travaux de réhabilitation du Pont Faidherbe.