DECES DU CHANTEUR ABLAYE NDIAYE THIOSSANE
Les lampes se sont éteintes
Ablaye Ndiaye «Thiossane», connu comme un brillant artiste, est décédé hier au Centre hospitalier régional El Hadji Ahmadou Sakhir Ndiéguène de Thiès des suites d’une longue maladie. L’auteur de Taal leene lamp yi, l’hymne du Festival mondial des arts nègres, stoïque jusqu’au dernier souffle, fait partie de ces illustres stars qui ont fait de la ville aux-deux-gares un grand foyer de l’art et de la culture. Et ce, dans les domaines de la peinture, la musique, la tapisserie, le théâtre et la mode.
«L’homme est une part de génétique et une part de culturel. Pour construire un pays, il faut ressouder cette part du culturel.» L’enseignement est du Président-poète, feu Léopold Sédar Senghor, grand admirateur de Ablaye Ndiaye Thiossane. Rien qu’à l’évocation du nom de ce célèbre «baobab» du monde de la culture, un géant multidimensionnel, les anciens se souviennent d’un Sénégal à peine sorti des griffes de la colonisation et qui cherche sa voie en convoquant la culture de ses glorieux ancêtres. C’était à l’occasion du Festival mondial des arts nègres. Adepte de l’art plastique, particulièrement du dessin et de la peinture, grand connaisseur de la musique classique française, arabe, indienne et soviétique, Ablaye Ndiaye Thiossane s’est éteint hier à Thiès, à l’âge de 86 ans, des suites d’une longue maladie. L’artiste prenait du plaisir à égrener, non sans fierté et avec précision, les différentes étapes de sa longue et riche carrière. L’homme, qui naquit un 3 février 1936 dans son paisible village de Sam, au cœur du département de Tivaouane, se découvre une passion pour le dessin dès l’adolescence. A peine ses 14 bougies soufflées, le «monument en herbe» commence à s’exercer en reproduisant des affiches de films. Il découvre les plus grandes vedettes du 7ème art et est séduit par la musique interprétée au cinéma. On est en 1962. L’homme rêve de se perfectionner en dessin et de devenir un artiste plasticien. Il finit par se résoudre à s’inscrire à l’Ecole nationale des arts. Parmi ses éminents professeurs, un certain Iba Ndiaye. Ablaye Ndiaye dévoile son talent au Théâtre national Daniel Sorano, à l’Ecole nationale des arts (Ena) et aux Manufactures sénégalaises des arts décoratifs de Thiès (Msad).
Il a marqué le 1er Festival mondial des arts nègres
Ablaye Thiossane avait une expérience de la vie et un vécu singulier. Chacun des chefs d’Etat qui se sont succédé à la tête du pays lui a laissé un souvenir qu’il égrène avec fierté. «Je salue l’amour et la considération que le chef de l’Etat d’alors, le Président-poète, Léopold Sédar Senghor, avait pour tout ce qui touchait à l’art et la culture. Le Président Senghor accordait une attention particulière à la culture sénégalaise. Il aimait dire que la culture est au début et à la fin du développement», avait confié le défunt. Quant au Président Abdou Diouf, l’artiste avait dit de lui : «C’est lui qui m’a intégré dans l’Orchestre national. Il m’a fait Chevalier de l’Ordre national du lion.» Parlant du Président Abdoulaye Wade, il avait souligné: «On s’est connus à Thiès, il habitait le quartier Aiglon. Il m’a reçu avec tous les honneurs. D’ailleurs, j’ai été impliqué dans le Fesman et élevé au rang de Commandeur de la Légion d’honneur.»
Des cours d’art dramatique, Ablaye Ndiaye Thiossane en avait suivi. C’est ce qui lui avait d’ailleurs permis de côtoyer des artistes de renom de la trempe de Abdoulaye Douta Seck, Doura Mané ou encore Djibril Diop Mambety. En 1964, il monte l’orchestre «Le Thiossane Club». Un groupe dynamique dont l’option sera de «valoriser le patrimoine immatériel sénégalais, notamment le wolof». Aussi avait-t-il fait les beaux jours du Royal Band. Le directeur de l’Ecole nationale des arts d’alors, M. Alioune Diop, ira le présenter au Directeur général de Radio Sénégal, Ibrahima Mbengue, au moment où le premier Festival mondial des arts nègres se préparait. Le fils du Cayoor gagnera le Prix de l’hymne du festival en interprétant Taal leene lamp yi. Une vieille chanson tirée des «Fanal» de la vieille ville de Saint-Louis. Une fois l’heureux succès assuré, Ablaye Ndiaye dut retourner à Thiès, sa région natale, en 1967. Là, il s’adonne à la peinture sur carton. Et ce sera le début d’une longue traversée du désert. Arrive, en décembre 2010, le 3e Festival mondial des arts nègres. Ndiaye Thiossane est «ignoré», «écarté de l’évènement». Profondément offusqué, il «range» la musique pour se consacrer à la peinture. Celle-ci, malheureusement, ne lui apporte pas de revenus substantiels. Juste de quoi subvenir à des besoins essentiels : nourriture, eau, électricité, éducation de ses neuf enfants (huit filles et un garçon).
Un itinéraire qui témoigne du génie de l’artiste
A la fois peintre et chanteur, Ablaye Ndiaye Thiossane ne manquait jamais de donner des conseils aux artistes de ce pays, à qui il avait demandé de faire leur autocritique. «J’exhorte la nouvelle génération à se forger davantage et à être créatif», indiquait le quadragénaire qui, passionné de ce cinéma qui lui a appris à lire, à écrire et à parler français, avait souhaité de tout cœur la fin des guéguerres, de la concurrence déloyale, et l’union des artistes. Il repose désormais dans sa ville de Thiès.