EN RÉALITÉ, LES FEMMES NE CONNAISSENT PAS LA LOI SUR LE VIOL
Wasso Tounkara, présidente de Genji hip-hop -«Doyna ! Dotouniou noppi ! Daguenn wara di bolé» (Ça suffit ! Nous ne nous tairons plus ! Dénoncez-les)
«Doyna ! Dotouniou noppi ! Daguenn wara di bolé» (Ça suffit ! Nous ne nous tairons plus ! Dénoncez-les). Ces paroles qui forment le refrain de la chanson de Zarah B et Mina La Voilée sont un plaidoyer fort de l’Association Genji hip-hop qui regroupe des artistes, activistes et féministes. Le single, qui sera couplé à un document audiovisuel, met l’accent sur la prise en charge des victimes de viol.
Comment est né ce projet «Dotouniou noppi» ?
Dotouniou noppi est une initiative de l’Association Genji hip-hop qui regroupe des femmes artistes, activistes et féministes qui évoluent dans le hip-hop et les cultures urbaines. Dotouniou noppi fait partie d’un projet qui s’appelle «Femme, ma santé d’abord. Femmes, mes droits d’abord». Le clip Dotouniou noppi est accompagné d’un single et d’un reportage-vidéo dans lequel intervient une avocate pour parler de la loi sur le viol et de son contenu, et une psychologue qui parle de l’importance d’une prise en charge mentale et médicale des victimes. Ce projet fait partie de ceux que Genji devait réaliser au mois de novembre dernier dans le cadre des 16 jours d’activisme. Après avoir participé à plusieurs séminaires avec d’autres mouvements comme l’Association des juristes sénégalaises (Ajs), les collectifs Dafa doy, Femmes : occupez les médias, et après avoir vu la recrudescence des violences basées sur le genre, des femmes mariées battues par leurs maris, tous ces témoignages de femmes qui s’expriment sous le couvert de l’anonymat sur les réseaux sociaux, en tant qu’artiste, nous avons voulu prêter notre voix pour sensibiliser toute la population sénégalaise. On se rend compte qu’il y a beaucoup de femmes qui savent que le viol a été criminalisé, qu’on a la possibilité quand on est violenté de porter plainte. Mais en réalité, les femmes ne connaissent pas le contenu de la loi. Et on s’est dit qu’une personne qui sait ce que la loi a prévu quand ses droits ne sont pas respectés, elle personne saura au moins les démarches qu’il faut faire pour que justice lui soit rendue. Pourquoi on a choisi aussi le domaine de la santé mentale ? C’est parce qu’au Sénégal, à chaque fois qu’on demande à quelqu’un d’aller consulter un psychologue, la réponse est souvent de dire : «Je ne suis pas folle.» Alors que ça n’a rien à voir. Donc pour nous, il est temps que la psychologie soit démystifiée au Sénégal et que les gens aillent consulter, surtout les victimes de viol qui ont souvent des problèmes pour parler de ce qu’elles ont vécu. Ce sont des facteurs bloquants qui font qu’elles ont du mal à revenir dans la société et continuer leur vie.
Comment les artistes du collectif ont travaillé ensemble ?
D’habitude, on faisait des singles dans lesquels intervenaient plusieurs artistes. Mais cette fois-ci, on a voulu changer de démarches en choisissant deux artistes. Mina La Voilée travaille déjà sur ce thème et Zarah B y est aussi très sensible. On a choisi des artistes qui sont déjà sur cette lancée et qui sont en train de travailler sur ces thèmes, le viol et les Violences basées sur le genre (Vbg). Elles ont travaillé ensemble de l’écriture et à l’enregistrement. Elles ont eu toute la documentation, le contenu de la loi, certaines informations et interviews que nous avions faites avec l’Ajs et une psychologue. Ce qui leur a permis de mieux orienter le plaidoyer parce que l’objectif de ce single, c’est vraiment de rendre cette loi accessible pour tout le monde, que les gens puissent comprendre que la loi est là pour tout le monde et surtout en faisant un focus sur les femmes et les enfants. Le projet a été soutenu par l’African women development fund (Awdf).
Genji hip-hop est un collectif qui organise le Festival «Wakhal sunu bopp» qui veut dire «Parler par nous-mê¬mes». Est-ce que vous pensez que le viol n’est pas suffisamment évoqué dans la musique ?
Genji hip-hop organise ce festival Wakhal sunu bopp qui est à sa deuxième édition. L’année passée, on avait choisi comme thème «Je suis femme, je connais mes droits». On parle toujours des droits des femmes, de l’amélioration des conditions de vie des femmes. Pour nous, le viol reste encore tabou au Sénégal même si, avec l’avènement des réseaux sociaux, on note une nette amélioration. Le débat est posé sur les réseaux sociaux, mais tout le monde n’y est pas. Qu’il s’agisse de viols ou d’autres violences comme l’excision, on ne sensibilise jamais assez. Et on se rend compte que même la définition du viol par la loi n’est pas bien comprise par les Sénégalais. Il suffit de voir comment on décrit les victimes de viol, comment on en parle. Tout ça, c’est parce que les textes de loi ne sont pas accessibles et seuls les magistrats et les avocats les comprennent. Du coup, l’objectif qu’on a, c’est qu’en parlant de viol, l’on puisse parler de la sanction prévue par la loi, mais dans un langage accessible à tous. Qu’on puisse parler des bénéfices et avantages de la prise en charge mentale et médicale, de ce que ça va apporter de positif à une victime de viol. On peut en parler de différente manière, mais nous avons décidé de parler de ce qui se passe une fois que l’acte a été commis, comment se passe la prise en charge mentale. Même si on ne peut jamais guérir du viol, au moins apprendre à vivre avec.
Est-ce que le fait que cela soit évoqué par des femmes peut changer la portée du message ?
Le fait que des femmes en parlent a un impact. Ce sont elles qui subissent les viols généralement. Et ce traumatisme et cette douleur peuvent être racontés par une autre femme. Généralement, dans le hip-hop, quand on parle de la femme, c’est la maman, la fille facile, la copine qui ne sait pas ce qu’elle veut, etc. Elle n’est jamais représentée sous les traits d’une femme forte et qui sait se défendre. Nous avons voulu envoyer un message parce qu’à force d’écouter des messages négatifs et dévalorisants, ça contribue à fragiliser la femme. Si aujourd’hui on peut passer un message sur ce que la loi dit et prévoit, ce serait bien. Il ne faudrait pas être surpris si demain Genji sorte un single sur le Code de la famille parce que, pour nous, toujours dans cette recherche de solutions, il faut que les femmes connaissent le contenu de ce Code.
Quel est le message de Dotouniou noppi
Le message, c’est vraiment le contenu de la loi 2020-05 du 10 janvier 2020 portant criminalisation du viol et de la pédophilie au Sénégal. Le refrain dit : «Doyna, dotougnou noppi» (Ça suffit, nous n’allons plus nous taire). C’est déjà une façon de demander aux victimes de viol de ne pas avoir peur de dénoncer leur violeur, aussi proche qu’il puisse être, d’avoir ce courage et cette force de continuer, de savoir qu’elles ne sont pas seules, qu’elles auront des gens autour d’elles pour les soutenir après la dénonciation, jusqu’à ce que la justice fasse son travail et que si les faits sont avérés, que le violeur soit puni. La loi est là et il faut l’appliquer. C’est aussi une façon de lancer un message à nos autorités, de leur demander de faire valoir la loi quand il y a un procès, qu’elles n’oublient pas que pour une victime de viol, ça prend du temps, des années parfois, avant que le procès ne démarre. Il y a beaucoup de temps avant que la victime ne puisse être fixée sur l’issue du procès. Et entre-temps, il peut se passer beaucoup de choses. Nous, c’est vraiment des messages que l’on a essayé de faire passer du côté des autorités comme des populations.
Des projets en cours pour Genji hip-hop ?
Actuellement, Genji est en train de réaliser le projet Janji sur le renforcement de capacités de ses membres en gestion de projets culturels, en graphisme, en marketing digital, en sonorisation et en photo-vidéo. Avec le soutien de la Fondation Heinrich Böll, on a ciblé les activités dont on a besoin pour continuer notre travail et avoir une certaine autonomie technique. Et les sessions vont se poursuivre jusqu’en août.