FRANC CFA, UNE PATATE CHAUDE
L’argent, la liberté, une histoire du franc CFA de Katy Lena Ndiaye - Sept ans de labeur. Sept ans de recherche documentaire, d’iconographie, d’archives filmiques, de personnages-témoins et de financement.
Sept ans de labeur. Sept ans de recherche documentaire, d’iconographie, d’archives filmiques, de personnages-témoins et de financement. Sept ans à tirer les fils et à démêler l’écheveau du franc CFA. Si, cette monnaie commune n’est pas Tout, elle est dans Tout. La complexité du sujet l’exigeait pour qui avait à cœur de faire l’archéologie du CFA , une monnaie d’essence coloniale qui encastre l’économie des pays francophones. Une monnaie à parité fixe sous la double tutelle de la France et de l’Union Européenne parce qu’arrimée à l’euro. Le film documentaire : « L’argent, la liberté, Une histoire du franc CFA » de la réalisatrice Katy Léna Ndiaye est un enchevêtrement de trois histoires dont la première est personnalisée par l’emploi du je tout aussi inclusif. Cette petite histoire, c’est celle qui a trait à son royaume d’enfance à Saint Louis du Sénégal, ancienne capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF), ancienne capitale du Sénégal, ville fondée en 1659. La paume tendue d’une enfant de trois ou quatre et au creux de laquelle, sa grandmère dépose une pièce de franc, Cfa vaut bien la Madeleine de Proust. Ce geste anodin symbolise dans le film, la transmission, l’héritage. Il traduit la relation forte de cette monnaie avec les utilisateurs qui savent que c’est avec de l’argent que l’on gagne sa vie et qu’il est lié à l’économie.
La grande histoire retrace les mues du franc Cfa depuis sa création en 1939, officialisée en 1945 suite à la ratification par la France des accords de Bretton Woods. Le voyage du Cfa à travers les âges a l’air d’une fable : « Liboon, lepone, il était une fois. La métaphore du poème de Jean de la Fontaine : « Le laboureur et ses enfants » se glisse dans les arcanes de ce système monétaire si fortement lié à la colonisation jusqu’à nos jours. C’est dans les archives de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) que Katy Lena Ndiaye est tombée d’une manière fortuite sur l’image de jeunes africains récitant le poème de Jean de la Fontaine. Une image qui a fait tilte dans son cerveau jusqu’à la contraindre à recourir à la fable qui a le bonheur d’adoucir le langage des experts.
La troisième histoire, qui compose la bandelette que tisse la réalisatrice, est le cinéma qu’elle introduit dans le cinéma avec la mise en image du geste du clapman, le rembobinage des archives, le drap blanc installé sur un terrain vague. Ce qui devait être hors champ rentre dans le champ. L’histoire du tournage est par allusion contée. Une audace dans le dispositif de narration qui, loin de dérouter le spectateur, entre dans le film comme un phénomène de mouvement naturel.
Katy Lena Ndiaye est conteuse et cinéaste. Elle sait que toute bonne conteuse aménage dans son récit des temps de silence, des pirouettes, des retours en arrière pour faire languir le public. Le montage du film en prend de la graine, la lumière tantôt intense, tantôt discrète aussi. Pour une réalisatrice qui n’a pas une once d’économiste, le pari était plus que risqué d’emboucher le jargon des experts et spécialiste de la politique monétaire. Le débat sur le franc cfa étant hors de portée du grand public.
L’idée du film est partie d’une banale conversation au détours d’un entretien qu’elle a eu avec un économiste camerounais, ce dernier lâcha ces quelques mots : « Le franc cfa est une patate chaude qu’on se passe de génération à génération sans y regarder de près. » Une phrase qu’elle considérait énigmatique, car jusqu’à cette rencontre le franc Cfa était lié à ce paradis perdu de l’enfance. Dès lors, l’idée lui vint de creuser. Les couches successives lui révélèrent que cette petite pièce de monnaie, offerte par sa grand-mère, relevait de l’économie mais davantage de la philosophie, de l’héritage, de la politique ; qu’elle renfermait une valeur sociale, une trajectoire. La lecture de L’aventure ambigu de Cheikh Hamidou et celle de Crépuscule de l’indépendance de Arnaud Kalika l’ont mise sur le chemin d’une narration singulière.
Le film de Katy Lena Ndiaye n’est pas celle d’une historienne mais d’une archéologue. Archéologie d’une histoire personnelle, archéologie du franc cfa, archéologie de l’histoire coloniale, archéologie d’un film en tournage. Un travail d’archéologue qui part des années 70 pour remonter le temps jusqu’au 18ième siècle ensuite revenir à aujourd’hui et finalement se projeter vers le futur. Récit à rebonds, loin du didactisme, le film semble être fait pour « les nuls » en économie. Le propos est limpide et renseigne sur les tenants et aboutissants du franc Cfa. Il soulève l’épais voile qui en faisait sa dorure. Katy Lena Ndiaye fait chausser au spectateur de nouvelles lunettes pour visiter le Cfa dont la porte de sortie est : Souveraineté.