IL FAUT UNE IDENTITÉ FORTE POUR QUE LE RAP PUISSE S’EXPORTER
Palabres avec… Safouane Pindra, acteur culturel
Très connu dans le milieu hip hop, Safouane Pindra, le patron d’Optimiste Produktion, a organisé récemment un forum consacré à la gestion du Fonds de Développement des Cultures. Une manière pour le producteur d’inviter la tutelle et les acteurs à se concerter pour mieux gérer cette manne. Le Témoin a échangé avec l’acteur culturel.
Vous venez d’organiser un forum portant sur le Fonds de Développement des Cultures…
Je voudrais profiter de cet entretien pour remercier tous les acteurs des cultures urbaines qui étaient présents au Monument de la Renaissance pour le forum national sur le Fonds de Développement des Cultures. Nous avons été agréablement surpris de la présence à la fois des acteurs des cultures urbaines de Dakar et des régions. Cela montre à quel point le sujet leur tient à cœur. Ce forum a été initié pour faire un bilan du fonds depuis sa création en 2017 par le Président de la République. Il a ensuite été question de noter les différents dysfonctionnements soulignés par les acteurs. Nous avons aussi remarqué que la plupart des questions relevées étaient dues aux problèmes de communication entre les acteurs. Il fallait un cadre d’échanges sincères et démocratiques. C’est pourquoi nous avons initié ce programme. Ainsi, nous avons exhorté les acteurs présents à faire des propositions par rapport aux mécanismes d’octroi des financements ou appuis. Aussi, redéfinir les différentes catégories auxquelles le fonds devrait être assigné (structuration, mobilité, formation, la subvention aux festivals et concert…). In fine, nous remettrons un mémorandum signé par les acteurs au ministère de la Culture et au Président de la République.
Vous semblez mettre en cause son mode de fonctionnement?
Non, je ne remets pas en question le mode de financement. Mais après trois ans et des retours que nous recevons, il faut dire qu’il y a des dysfonctionnements et le ministère, à travers la Direction des Arts, est attentif aux propositions que nous, acteurs, ferons. Aussi, il faut souligner que le fonds de développement des cultures urbaines a depuis 2017 permis de financer des centaines de projets au Sénégal. Nous nous sommes rendu compte que certains de ces projets disparaissent au bout d’une année d’existence parce que les porteurs ne sont pas outillés pour les rendre viables. Le forum n’a pas été un procès, mais une réflexion afin d’améliorer le FDCU pour qu’il ait l’impact durable que les autorités en attendent. Et quoi de mieux que les principaux bénéficiaires en fassent un état des lieux et des propositions concrètes et pragmatiques.
La directrice des Arts était présente à ce forum, comment appréciez-vous sa présence?
La présence de la Directrice des Arts au forum démontre que l’autorité est à l’écoute, que nous, acteurs, avons un interlocuteur direct. Je la remercie pour l’intérêt qu’elle nous a témoigné par sa présence. Nous saluons son implication dans le processus que nous avons mis en place afin de rendre équitable et plus impactant le FDCU sur les cultures urbaines à Dakar et surtout dans les régions. La Directrice a pu se rendre compte d’un certain nombre de problématiques liées au fonds dans les régions. Nous avons agréablement été surpris de nous rendre compte du nombre important de jeunes des régions qui initient des choses et se battent. Ils n’ont pas forcément attendu le fonds pour être actifs. Mais bénéficier du fonds leur serait profitable pour renforcer leurs structures, dynamiser les cultures urbaines et surtout être des créateurs pourvoyeurs d’emplois et renforcer la formation des jeunes.
Certains vous accusent d’être pourtant avec vos amis, Malal, Awadi, Matador, les principaux bénéficiaires de ce Fdcu.
Le fonds est destiné à tous les acteurs sénégalais des cultures urbaines. Que ce soit ceux qui sont présents dans les cultures urbaines depuis des années ou récents. L’important étant d’être porteur de projet, créateur d’emplois et d’opportunités de renforcement de capacité des jeunes dans les cultures urbaines. Nous ne faisons pas partie du comité de lecture, ni d’aucun organe pouvant influencer l’autorité pour nous octroyer un financement. Il faut souligner que nous sommes dans les cultures urbaines depuis 1998 et sommes constants dans nos démarches.
Grand producteur et découvreur de talents, on ne vous sent plus dans le secteur de la production. Qu’est-ce qui explique ce retrait ?
Pourtant, nous sommes toujours présents à travers des activités telles que : Festival international des musiques urbaines Yakaar, ex Hip Hop Award, la 21ème édition en 2021. Le concours tremplins Yakaar Jeunes Talents, Rustique, 5ème édition en octobre 2021. Et également des formations pour les métiers de la musique et du spectacle. Mais depuis un an avec la nouvelle orientation donnée à notre structure, plusieurs nouvelles activités ont vu le jour. Un système de sonorisation (son et lumière) pouvant couvrir un site de 15.000 personnes, une unité de confection et de sérigraphie qui nous permet d’être dans la logique d’entreprise. Enfin, des prestations de services en conception, gestion, régie et production d’évènements pour des entreprises, sociétés, salons, forums, conférences etc…
A votre avis, pourquoi les rappeurs sont souvent plus engagés que les autres musiciens. Surtout ceux qui font du « Mbalax?
Le Rap, depuis son apparition, a toujours été un moyen de revendication pour porter la voix des faibles et dénoncer les dérives dans la société. Et beaucoup plus encore au Sénégal parce que les premiers rappeurs étaient des jeunes issus de quartiers précaires. Et pour s’affirmer, ils n’avaient que leurs textes et le micro pour se faire entendre des politiques et de la population. Le Rap est la musique la plus écoutée par la jeunesse sénégalaise et africaine. Il est le meilleur canal par lequel les messages sociaux sont le plus diffusés. Le Rap aborde tous les thèmes de la société à travers une approche plus globale et lyriciste. Le mariage entre la mélodie, les textes, l’image du rappeur sont tous les éléments qui permettent au Rap d’être plébiscité afin d’être engagé.
On a noté une certaine virulence et des propos déplacés entre jeunes rappeurs…
Les clashs et la recherche de buzz constant nourris par les réseaux sociaux entre rappeurs ou acteurs sont un fait qui fait partie intégrante du paysage des cultures urbaines et plus précisément du Rap. Certes, c’est un fait mais, il faut que les rappeurs puissent modérer leurs propos parce qu’ils sont suivis par un jeune public et des adultes qui sont des pères et des mères de famille. Notre génération s’est battu corps et âme afin que la société sénégalaise puisse reconnaître que le Rap ou les cultures urbaines sont un milieu dans lequel on peut bâtir une vie, avoir une maison, s’occuper correctement d’une famille et être respectable. Les exemples sont là : Awadi, Daara J, Fou Malade, Simon, Docta. Les jeunes ne doivent pas réduire à néant tout ce travail qui s’est fait sur une dizaine d’années et qui commence par porter ses fruits.
Il y a également ce conflit latent entre anciens et nouveaux…
L’avenir du rap reste la responsabilité des rappeurs en activité. S’ils décident de s’unir, définir de réels objectifs et faire avancer la machine, les résultats seront positifs.
Ne pensez-vous pas qu’au-delà de quarante ans, on ne peut plus valablement faire du rap et parler au nom de jeunes majoritaires dans le milieu?
Les rappeurs sont des musiciens et la musique n’a pas d’âge. Si on se sent capable de produire du bon son, rien ne nous en empêche. Nous ne parlons au nom de personne, nous partageons des messages universels qui seront accueillis par ceux que cela intéresse. Des rappeurs comme JayZ, Dr Dree, Snoop ont plus de la cinquantaine et continuent de cartonner. Nous faisons du rap qui correspond à notre âge et qui reflète notre vécu et notre expérience.
L’avenir du rap au Sénégal selon vous?
Le Rap au Sénégal a beaucoup évolué et surtout grâce à Internet et les réseaux sociaux. Mais il faut qu’il puisse avoir une identité forte afin de pouvoir s’exporter. Sinon, il ne sera que du « Rap au Sénégal » et non du « Rap Sénégalais » comme l’on peut parler du Rap Nigérian, Américain ou Français. Il y a de nouveaux talents qui émergent chaque jour dans les quartiers du Sénégal. Il faut que ces jeunes se forment, sortent de leur cocon afin de découvrir, se confronter à ce qui se passe ailleurs et innovent pour que le Rap sénégalais renaisse et se remette à la conquête de l’Afrique comme l’ont fait PBS, Daraa J, le collectif Dakar All Star, Black Diamonds et Chronik 2 H etc.