«J’AI VRAIMENT PENSE QUE LE DISCOURS DU PRESIDENT MACKY SALL SUR LE RADICALISME RELIGIEUX A ETE FAIT POUR MON FILM»
HORIZON…. Alassane Sy, réalisateur du court métrage Fallou :
Mannequin, acteur et réalisateur, Alassane Sy est né en Mauritanie de parents sénégalo-mauritaniens. Il est le réalisateur du film Marabout qui a obtenu en 2016, le Tanit d’or du court-métrage aux Journées cinématographiques de Carthage. De retour en compétition pour cette édition 2017 des Jcc, il a présenté aux cinéphiles, Fallou, un nouveau court métrage qu’il évoque avec fierté dans cet entretien réalisé à bâtons rompus, alors qu’il venait à peine de poser ses bagages à Tunis en provenance de Londres où il vit.
Votre dernier film Fallou vient d’être diffusé en première mondiale aux Jcc. Qu’est-ce qui a inspiré ce film ?
Ce qui a inspiré ce film, c’est déjà l’actualité, ce qui se passe à travers le monde, tout un mélange entre l’islam, le terrorisme, et surtout ce qui se passe aussi chez nous, actuellement en Afrique et dont on en parle pas. On préfère parler de ce qui se passe en Europe, quand il y a des attentats là-bas. Quand quelque chose se passe en Europe, on en parle plus que quand il s’agit de l’Afrique. Alors qu’il y a énormément de choses qui se passent chez nous aujourd’hui, et je pense que les gens devraient savoir aussi ce qu’il en est. Ils doivent surtout comprendre les sources de la chose. A travers ce film, j’ai contribué pour ma part à ce débat d’actualité. J’ai toujours voulu y contribuer. Mais je pense que certaines choses ne peuvent pas vraiment s’expliquer. Peut-être ! Je pense que le film m’a permis de partager notre avis en général, l’avis des Africains, ce qu’ils pensent de tout ça. Et surtout, j’avais cette envie de montrer aussi que le risque ne vient pas toujours forcement de là où on l’attend. C’est aussi ce côté qui fait que pour moi, voir Fallou tel qu’il est en tant que personne et aussi ce qui est possible de se passer dans sa tête en fonction de ce qu’il vit dans le pays d’où il vient, est important.
Dans ce film qui traite de l’islamisation, de la radicalisation, y a un personnage important qui porte un message essentiel : le président de la République Macky Sall. Qu’est-ce qui explique le choix de ce personnage ?
En vérité je ne savais pas quoi utiliser comme discours, mais, je voulais avoir des radios, des choses qui expliquent vraiment aux gens l’actualité, ce qui se passe. Pour qu’on ne pense pas que je suis en train de dire qu’il y a de radicalisation de l’islam au Sénégal. Parce que j’ai pensé aussi à cet effet quand je faisais le film. Est-ce que si je fais une connexion entre radicalisation et Sénégal, ça peut un tout petit emballé ? Est-ce que les gens vont avoir peur de la destination Sénégal ou pas ? J’ai donc tenu compte de tout cela. Je pense au tourisme, et à toutes ces choses-là. Mais, ça fait 3 semaines à peu près que j’ai entendu ce discours du Président Macky Sall et j’ai vraiment pensé que le discours a été fait pour mon film. En tout cas, cette partie que j’ai utilisée va très bien avec le message que j’ai voulu faire passer. Et, ça m’a évité d’expliquer certaines choses, parce que ça vient du plus haut sommet. Pour moi c’était assez clair. C’était aussi l’occasion de dire indirectement aux cinéphiles que ces choses-là qui se passent ailleurs peuvent facilement venir chez nous. Donc ce discours de Macky Sall est tombé juste, pile poil. C’était parfait pour moi et quand je l’ai entendu, je l’ai utilisé pour le film, je n’ai vraiment pas réfléchi plus loin.
On peut le percevoir aussi comme un hommage au cinéma Sénégalais à Macky Sall qui, dernièrement, a quand même misé sur le 7e art à travers la mise en place du Fopica ?
Il y a effectivement un progrès dans le cinéma sénégalais. En ce sens-là, le gouvernement s’implique et on le constate. J’aurais voulu voir plus en vérité, mais je ne minimise pas les efforts qu’ils ont faits. Donc je pense qu’effectivement, il y a une sorte d’hommage. Il y avait surtout, une envie de montrer d’où on vient…. Ce film-là, je l’ai filmé avec 3 mille Dollars (Moins de 2 millions Cfa). Juste pour le tournage, après bien sûr, le reste je me suis démerdé tout seul de gauche à droite, il n’y a pas eu de fonds, il n’y a rien. C’est comme ça que j’ai fait ce film qui a l’air de nécessiter énormément de fonds, mais en vérité ce n’est pas ça. … On me dit souvent oublie les gouvernements parce qu’ils ne sont pas là pour l’art. Mais je me dis que c’est dommage parce qu’ils ignorent que ce cadre-là peut amener leur politique et leurs actions beaucoup plus loin. Parce que le cinéma peut apporter leur message plus loin qu’ils peuvent le faire eux-mêmes.
Le film a été tourné en trois langues : le français, l’anglais et le wolof. Est-ce un choix et pourquoi ?
En tout cas, dans mes films même dans le futur, j’aimerais toujours faire des films où les gens parleront nos langues. Parce que je crois fortement que l’audience va capter plus, les gens sont plus à l’aise dans une langue qu’ils comprennent. Pour moi, ça n’a pas vraiment de sens d’utiliser une autre langue, parce qu’on dénature l’histoire, on dénature l’acteur, etc. Donc, il y a quelque chose qui me tient à cœur oui ! C’est de pouvoir toujours faire des films dans nos langues. Les langues que nos parents parlent, et comme mon rêve est de continuer à faire des films venant du continent, cela devient vraiment important pour moi. J’ai voulu à travers ce film, aussi favoriser les mélanges de langues, parce que je suis à Londres, bien sûr il fallait aussi impliquer l’endroit où je vis à travers le vécu des Sénégalais à Londres, etc. C’était également ma première fois en vérité, de faire un film en dehors du Sénégal en tant que réalisateur. Ce fut un apprentissage, je n’ai donc pas trop réfléchi aux langues au début. Mais qu’on parle une langue sénégalaise ou juste une langue africaine, oui c’est très important pour moi dans tous les films que je fais ou que je ferai.
Comment s’est fait le casting des acteurs ?
Ouf ! Personne parmi eux n’est acteur, ils sont tous musiciens. A part une, qui a joué le rôle de Yassa. J’ai commencé à parler du projet à quelques amis autour de moi, qui m’ont montré un certain intérêt à participer à quelque chose qu’ils ne savent pas où ça va aller. Ainsi, ça les a intéressés, ils voulaient juste vivre cette expérience. Et moi, je n’avais pas les moyens de faire un film où je vais payer les gens. Donc il fallait juste que je trouve des gens qui, d’eux-mêmes, sont intéressés à faire quelque chose artistiquement. J’ai ainsi eu la chance de tomber sur des artistes. Ce ne sont pas des acteurs mais des artistes, c’est-à-dire des gens qui comprennent la volonté d’essayer de créer avec les moyens du bord. Et ça m’a beaucoup aidé…
Dans ce film aussi, il y a un message d’amour. C’est quoi le lien que vous faites entre la thématique principale, la radicalisation, et ce message d’amour ?
Ah ! Il y a une partie en moi, qui voulait aussi simplifier cette idée de qu’est-ce qu’il faut pour être un djihadiste ? C’est quoi vraiment un potentiel djihadiste ? Et parfois, je me dis que ça peut juste se limiter par un jeune qui est frustré de ne pas avoir une fille, trouver une fille qui va l’embrasser ici… et puis c’est tout. J’ai donc voulu rendre le truc peut-être un peu plus humain. Quelles que soient les intentions de la personne qui pourraient être un djihadiste, il y a quand même un être humain, un jeune, confronté à une situation à laquelle tous les jeunes sont confrontés. Et qui pense peut-être qu’il n’y a plus rien pour lui dans ce monde, que ça soit amour, ou juste des amis, ou juste pouvoir être libre comme on le dit. Et que j’ai pensé qu’il leur faut juste peut-être tomber sur la bonne fille (rires). Peut-être en fin de compte c’était ça le truc pour éviter à un jeune de se radicaliser…Je pense même que Londres a cette énergie qui fait que quelle que soit ta croyance, si tu arrives, il y a de fortes chances que tu commences à te dire : « Je ne suis plus trop sûr parce que voilà, c’est ouvert, tout le monde a le droit de dire ce qu’il pense, voilà, tout le monde a le droit de croire, ce qu’il a envie de croire, il n’y a pas de soucis, on ne te jugera pas parce que tu crois à ça ou ça.» Là-bas, les gens sont ouverts et te bousculent à tel point que tu ne peux plus être renfermé, même si tu l’étais. Ce fut mon expérience à Londres…
Vous racontez dans ce court-métrage l’histoire d’un jeune qui est envoyé par son marabout à Londres. C’est une histoire com¬mune au Sénégal et donc finalement on se de¬mande si ce n’est pas en partie votre propre histoire ?
(Rires) Je pense que tous les films que l’on fait, il y a toujours une partie de nous. Même si je pense aussi qu’il est important de se détacher de la chose, j’essaie de me détacher de ce truc, sinon j’aurais joué le rôle moi-même. J’aurais pu le faire. Mais ici ce n’est pas vraiment mon histoire personnelle. Je pense que Fallou a quelque chose de commun avec tous les jeunes émigrés qui quittent leur pays. Parce qu’il y a toujours une raison derrière. Soit c’est la pression, soit c’est travailler pour soutenir sa famille… Donc, c’est peut-être des fois aussi quand ils partent et qu’il y a une certaine déception, venant du fait qu’ils avaient certaines croyances, certaines attentes de la vie, ça peut virer d’une manière ou d’une autre. Il y a des émigrés par exemple qui vont aux Etats-Unis ou en Angleterre et qui finissent en prison parce qu’ils n’en peuvent plus. Ces personnes qui peuvent finir en prison, peuvent aussi finir dans les mains d’un potentiel recruteur. Sachant que, et il ne faut pas le nier, on a aussi des gens qui viennent de nos pays, de l’Afrique de l’Ouest qui sont impliqués en Irak par exemple ou en Syrie ou des choses comme ça existent. C’est juste qu’on n’en parle pas au fait. Je pense qu’il faut en parler pour éviter qu’il y en ait de plus en plus…
Vous revenez donc en compétition court métrage pour conserver votre titre ?
Non ! (rires) Ce serait très difficile de le faire cette fois-ci. Mais bien sûr une fois que l’on goutte à la pomme, on a envie de toujours en prendre (rires). Je ne serais pas déçu si rien ne suit, parce que déjà, les retours que j’ai eus hier après la projection de mon film m’ont fait plaisir. J’ai trouvé cette connexion entre la Tunisie et l’Afrique de l’Ouest en général, on partage les mêmes soucis en vérité. Il y a pas mal de mamans tunisiennes qui se voient dans le personnage du film même si elles ne sont pas du Sénégal. Et ça, je pense que c’est suffisant pour moi. Je l’ai fait pour ça. Pour que les gens s’y retrouvent. Je suis heureux pour ça. C’est déjà excellent.