LA RÉVOLUTION LINGUISTIQUE SILENCIEUSE
"Notre société nous commande de parler dans nos langues" : Abdourahmane Diouf défend l'usage des langues nationales alors qu'un récent débat budgétaire en wolof à l'Assemblée témoigne d'une transformation profonde dans les institutions sénégalaises
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(SenePlus) - Une transformation silencieuse mais profonde est en train de s'opérer au sein des institutions sénégalaises, comme en témoigne une scène remarquable qui s'est déroulée récemment à l'Assemblée nationale. Lors de son intervention dans l'émission "Belles Lignes" du jeudi 6 février, le ministre de l'Enseignement supérieur Abdourahmane Diouf a mis en lumière un phénomène qui illustre parfaitement comment la société civile devient le moteur du changement linguistique dans le pays.
"La société ambiante est en avance sur nos institutions", a déclaré le ministre, expliquant comment les citoyens poussent naturellement vers l'utilisation des langues locales. Cette pression sociale s'est manifestée de manière éclatante lors des récentes sessions parlementaires consacrées à l'étude du Budget. Pour la première fois, les débats se sont déroulés presque entièrement en wolof, y compris pour des discussions techniques complexes que "même les intellectuels francophones qui ne sont pas érudits sur les questions de finances publiques ne pourraient comprendre."
Cette évolution répond à une demande sociale profonde : "Notre société nous commande de parler dans nos langues, nos sociétés nous exigent de parler dans nos langues pour se faire comprendre", souligne le ministre Diouf. L'utilisation du wolof à l'Assemblée a permis une démocratisation réelle des débats, rendant les discussions budgétaires accessibles à tous les députés et, par extension, à l'ensemble de la population.
Le contraste entre cette réalité sociale et le cadre institutionnel hérité de la colonisation est saisissant. Le ministre rappelle que la constitution sénégalaise reste largement inspirée de "la cinquième république de De Gaulle", créant ce qu'il qualifie de "constitution halogène qui ne retranscrit pas nos réalités." L'exemple le plus frappant de ce décalage reste l'obligation constitutionnelle de maîtriser le français pour accéder à la présidence de la République, une règle qui exclut de fait de nombreux citoyens compétents.
Cette avancée à l'Assemblée nationale illustre comment la pression sociale peut faire évoluer les pratiques institutionnelles, même en l'absence de changements constitutionnels formels. C'est la société civile qui, par sa pratique quotidienne et ses exigences de compréhension, pousse les institutions à s'adapter et à reconnaître la légitimité des langues nationales dans la sphère publique.
Ce mouvement de fond pourrait préfigurer des changements plus profonds dans l'organisation institutionnelle du pays. Comme le suggère le ministre, la société sénégalaise montre qu'elle est prête pour une transformation plus radicale de ses institutions, afin qu'elles reflètent mieux la réalité linguistique et culturelle du pays.