LE JOUR OÙ EUGÈNE ÉBODÉ A RENCONTRÉ YAMBO OUOLOGUEM
Le succès du roman de Mbougar Sarr, « La plus secrète mémoire des hommes », a remis au goût du jour « Le Devoir de violence », de Yambo Ouologuem. L’écrivain camerounais est l’un des rares à avoir été reçu par celui qui s’était isolé à Sévaré
Le succès du roman de Mohamed Mbougar Sarr, « La plus secrète mémoire des hommes », a remis au goût du jour « Le Devoir de violence », texte controversé de Yambo Ouologuem. L’écrivain camerounais Eugène Ébodé est l’un des rares à avoir été reçu par celui qui s’était isolé à Sévaré au début des années 1970. Il raconte.
Le vaste succès actuel de La plus secrète mémoire des hommes, roman du jeune Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, a suscité un regain d’intérêt inattendu pour un autre écrivain, disparu le 14 octobre 2017 : le Malien Yambo Ouloguem.
Les connaisseurs de l’histoire littéraire se souviennent : prix Renaudot en 1968 pour Le Devoir de violence, Ouologuem fut cloué au pilori quelques années plus tard, après que de nombreux emprunts à d’autres auteurs furent relevés dans son texte. André Schwarz-Bart (Le Dernier des Justes), Graham Greene (It’s a Battlefield), mais aussi Guy de Maupassant et quelques autres comptent au nombre des auteurs « plagiés » par le jeune homme à la culture titanesque.
Blessés de n’avoir rien décelé – l’habile supercherie avait été découverte dans le monde universitaire anglo-saxon –, la presse et le monde littéraire francophone lynchèrent sans pitié celui qu’ils avaient couronné d’un des prix les plus prestigieux, sans jamais se donner la peine d’écouter vraiment ce qu’il avait à dire ou d’essayer de comprendre ses explications, parfois alambiquées.
Principal auteur plagié, André Schwarz-Bart se montra pourtant plus que conciliant, intervenant auprès du rédacteur en chef de La gazette littéraire, en Suisse, qui s’apprêtait à publier un texte à charge. « À la suite de la lettre que je lui avais adressée aux éditions du Seuil, M. André Schwarz-Bart m’a demandé de ne pas publier l’enquête que j’avais entreprise au sujet des ressemblances entre Le Devoir de violence et Le Dernier des Justes, écrit le journaliste. J’estime trop cet auteur et ses livres pour ne pas tenir compte de ses désirs. Il craint en effet qu’un débat ne suscite des réactions anti-africaines et ne nuise à la carrière d’un écrivain qu’il estime beaucoup. Pour la première fois, m’écrit-il, on voit naître une littérature africaine francophone, débarrassée des complexes blancs, il ne faut rien faire pour la décourager. »
Aura magnétique
Las ! Ouologuem, plus que découragé, ne trouvera son salut que dans le retour au pays natal et, presque du jour au lendemain, disparaîtra du paysage médiatique et littéraire pour se réfugier chez lui, à Sévaré, au Mali, où il cessera d’écrire. Demeurera néanmoins autour de ses rares textes – Le Devoir de violence, Lettre à la France nègre, Les Mille et une bibles du sexe – une aura magnétique intense, suscitant l’admiration de ses pairs.