LE RÉCENT SUCCÈS DE LA LITTÉRATURE AFRICAINE PEUT-IL DURER ?
De nombreux prix littéraires ont été remis à des auteurs d'origine africaine cet automne. L'Occident reconnaîtrait-il (enfin) la littérature africaine? Pourquoi tout à coup un tel engouement ? Réponses en compagnie d'auteurs et d'experts
Mohamed Mbougar Sarr a reçu cette année le prix Goncourt, l’un des prix les plus prestigieux de la littérature francophone. D’autres prix ont été remis à des auteurs d’origine africaine cet automne, comme le prix Nobel de littérature pour l’écrivain tanzanien Abdulrazak Gurnah. Le Sénégalais Boubacar Boris Diop a remporté le prestigieux prix international Neustadt, tandis que la Mozambicaine Paulina Chiziane a reçu le prix Camoes, récompensant les auteurs et autrices de langue portugaise. Au point que certains parlent d'un "automne africain" pour la littérature.
Une reconnaissance dans l’air du temps
La reconnaissance de la littérature d’Afrique répond à l’attente d’une plus grande diversité dans la culture. Le mouvement Black Lives Matter, mais aussi les réflexions sur la décolonisation de l’art et de la littérature ont rendu cette question plus sensible. Il s’agit de donner plus de place à une littérature jusqu’ici sous-représentée. Une chose est sûre: le regard de l'Occident commence (enfin) à changer sur la littérature africaine.
Il y a aussi eu quelques changements du côté de la littérature africaine elle-même. Pour Christine Le Quellec, professeure de littérature francophone d'Afrique subsaharienne à l'Université de Lausanne, il s’agit d’une "diffusion plus large et d’auteurs plus internationaux. Il y a de fortes différences entre les Anglo-saxons et la France par rapport aux auteurs qui produisent depuis l’Afrique. Dans le cas de Mohamed Mbougar Sarr, c’est intéressant car il y a une co-édition entre les éditions Philippe Rey en France et Jimsaan au Sénégal. Son livre va sans doute aussi paraître en wolof"".
Un succès favorisé par la diaspora et internet
Être édité sur le continent africain, c'est aussi un élément essentiel de la reconnaissance pour Max Lobe, auteur genevois d'origine camerounaise. "Pour le texte 'Confidences', nous avons tout fait avec mon éditeur genevois pour qu’il soit publié au Cameroun. C’est un parcours du combattant! On ne veut pas reconnaître une littérature qui fait partie du patrimoine d’un pays étranger."
Comme Max Lobe, deux lauréats des grands prix font partie de la diaspora. Le prix Nobel Abdulrazak Gurnah vit depuis cinquante ans en Grande-Bretagne, tandis que le Goncourt Mohamed Mbougar Sarr vit en France, ce qui facilite leur reconnaissance.
Pour Bakary Sarr, professeur de littérature comparée à l'Université Cheikh Anta Diop à Dakar, d’un point de vue global, les mouvements entre Nord et Sud favorisés par internet jouent un rôle dans la créativité de la littérature africaine. "Cette circulation a permis de déconstruire les choses et apporté une meilleure fluidité dans la créativité. Il y a aussi des espaces critiques importants. Je cite l’exemple des Ateliers de la Pensée, qui ont eu un écho auprès des chercheurs et de la manière dont le devenu de l’Afrique est interrogé."