«LE THEATRE SENEGALAIS EST A L’AGONIE»
Palabres avec… Ibrahima Mbaye Sopé, artiste- comédien
Comédien confirmé et formé à l’Ecole Nationale des Arts, Ibrahima Mbaye Sopé arpente les scènes et les plateaux d’ici et d’ailleurs depuis plus de quinze ans. Sa passion pour le théâtre s’est révélée très tôt chez lui à Rufisque. Incontournable dans le milieu des planches et de téléfilms, il est souvent sollicité à la réalisation de nombreuses productions théâtrales tant au Sénégal qu’à l’étranger. Entretien…
Quelle est votre dernière actualité ?
C’est dans le cadre de la formation. Je travaille actuellement sur un nouveau concept en collaboration avec le Goethe Institut sur un projet dénommé « Sunu Talents ». C’est un projet d’envergure nationale et qui permet aux jeunes comédiens de se professionnaliser. Nous avons réuni trois compagnies qui viennent de Saint-Louis, Kaolack et Tambacounda. Durant cinq jours, elles ont suivi une formation en technique théâtrale. Une manière d’associer les jeunes comédiens de ces régions de l’intérieur du pays à tout ce qui se fait au niveau de la formation qui est primordiale à mes yeux. Car il faut retenir que ce n’est pas seulement à Dakar que l’on doit tout concentrer. Il faut aussi donner la chance aux jeunes férus de théâtre qui sont basés au niveau des régions. Ce genre d’initiatives est à encourager et à soutenir au plus haut niveau.
Vous avez lancé « Kooru seex yi » en mettant en scène de vrais jumeaux…
Dans ma vie d’artiste, j’ai toujours essayé d’innover et de sortir des sentiers battus. Je n’ai jamais voulu suivre les événements. J‘ai toujours voulu anticiper et surprendre le public. Pour relever ce défi qui peut sembler titanesque, il a fallu énormément de travail et de patience. J’ai choisi d’y arriver par la qualité de mon travail. Encore une fois, j’ai voulu vraiment marquer mon territoire en misant essentiellement sur la qualité et le professionnalisme. Pour ce faire, j’ai eu recours à de vrais jumeaux pour mener à bien ce projet novateur. Le choix des jumeaux dans « Kooru Seex Yi » est pour moi une signature originale. Je veux tout le temps apporter du nouveau dans mes créations. Et ce projet est lancé pour s’inscrire dans la durée. Nous ne comptons pas nous arrêter en si bon chemin. Nous allons continuer à travailler ensemble pour mettre sur orbite d’autres concepts.
Qu’est- ce qui explique votre volonté d’orienter vos efforts dans la formation ?
Je m’active dans la formation car pour moi, elle reste la priorité pour professionnaliser les jeunes et leur donner des outils. Il ne faut jamais perdre de vue que la formation est fondamentale. Certes, il peut arriver que certains soient naturellement doués, mais cela ne suffit pas. Il faut toujours se former. C’est une remarque qui revient tout le temps et cela prouve si besoin en est que c’est très important. Sans formation, on ne peut pas prétendre être médecin, avocat ou encore pilote de ligne. Parce que c’est trop risqué de confier certaines lourdes responsabilités à des mains inexpertes. Il en est de même pour le comédien qui est chargé de transmettre des messages porteurs à la société. Il doit être bien formé pour pouvoir remplir à bien cette mission quasi sacerdotale. Pour faire du théâtre un métier, il faut en avoir les rudiments et avoir un plan de carrière. Il faut être protégé et encadré par des hommes du secteur.
Cela signifie- t-il pour vous que la différenciation entre professionnel et amateur ne doit pas être de mise?
Pour moi un professionnel est celui qui vit de théâtre et qui en fait une activité prioritaire. C’est la même chose et le même débat qui était posé au niveau de votre corporation. Il ne suffit pas d’être sorti d’une école de formation pour être un excellent comédien ou un journaliste exceptionnel. Il faut donc savoir faire la part des choses. Il faut juste dépasser ce débat puéril et avancer ensemble, la main dans la main pour relever les nombreux défis qui assaillent notre profession. Pour ce faire, il est évident qu’on ne fera jamais de distinguo entre un professionnel et un amateur.
Vous avez été précurseur au niveau des séries avec « Mayacine Ak Dial ». Le succès qui s’en est suivi ne vous a-t-il pas surpris ?
Au départ, cette idée ne venait pas de ma modeste personne. En réalité, « Mayacine ak Dial » était un projet de Bougane Guèye Danny et Pape Diène. Ils venaient de lancer la SENTV et il fallait trouver un contenu programmatique assez riche et varié. Pour ce faire, il fallait donc apporter du sang neuf et proposer de nouvelles choses. Ils m’ont choisi pour jouer ce rôle de pionnier. Et grâce à Dieu, cela a fonctionné au-delà de toutes nos attentes. Mon rôle consistait à apporter une touche nouvelle et un goût particulier. Nous avons alors travaillé dans une belle unité et une parfaite symbiose. Nous avons ensuite, ensemble, favorisé un travail collectif. Et cette harmonie des cœurs a valu le succès qu’on lui connaît. Sans fausse modestie, je puis affirmer que « Mayacine ak Dial » est un chef d’œuvre dans son genre. Son succès a grandement contribué à favoriser une réelle émulation et de nombreux producteurs se sont engouffrés dans la brèche
Justement, comment jugez- vous la prolifération de ces séries?
Comme je le disais tantôt, il y a effectivement une grande ruée vers les séries. Malheureusement, cela a ouvert un boulevard et tout le monde a suivi la mouvance. Ce qui n‘est pas forcément une bonne chose, car on ne peut plus distinguer la bonne graine de l’ivraie. La prolifération des séries est une mauvaise chose. La quantité ne prime plus sur la qualité. Pour moi, tant qu’il s’agit de trouver du travail pour les artistes, c’est une bonne chose. Mais on ne doit pas privilégier la quantité au point de sous-estimer les qualités techniques et artistiques des séries. Il faut donc une réelle introspection et une volonté affichée de faire notre autocritique pour espérer remédier à ce mal récurrent.
On sent une certaine complicité entre vous et Niokhite …
pétri de talent. La complicité avec Niokhite est le fruit de notre collaboration dans la série « Mayacine ak Dial ». Il me voue un respect immense et c’est mon protégé. Nous avons ensemble un idéal commun. Je pense qu’il est en train de se tracer son chemin et qu’il est vraiment sur la bonne voie. En tant que mentor et complice, je lui souhaite le meilleur. Je vous assure que c’est un excellent comédien aux multiples facettes et il va encore surprendre les Sénégalais.
Comment avez-vous vécu l’expérience du Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA)?
L’expérience au Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel a apporté une autre touche dans mes créations. Surtout que j’aime travailler dans le respect strict des droits des enfants, de la communauté en général. Ce fut une très belle expérience et j’y ai appris énormément de choses.
Selon vous, qu’est ce qui plombe le développement du théâtre sénégalais ?
Il ne faut surtout pas se voiler la face et jouer à l’autruche. Il faut oser regarder la réalité en face et pointer du doigt les problèmes. Le théâtre au Sénégal est à l’agonie. Il nous faut une bonne politique culturelle pour s’en sortir. Et pour cela, il faut régler le problème du statut de l’artiste, subventionner les créations et faciliter le déploiement des produits théâtraux.