LES FRÈRES GUISSÉ SE RACONTENT
Parcours – Invités du «Pencum Yaraax» - c’est pour jeter un œil dans le rétroviseur et dérouler le film d’une carrière née d’une passion qu’un père muezzin n’a jamais souhaitée pour ses enfants.
Leur nom est Guissé. Ils sont frères et les notes acoustiques qui sortent de leurs instruments leur ont forgé une réputation dans la musique sénégalaise. Après plusieurs décennies de carrière, Djiby et Cheikh Guissé se sont posés, le temps d’un après-midi, à «Pencum Yaraax». Et c’est pour jeter un œil dans le rétroviseur et dérouler le film d’une carrière née d’une passion qu’un père muezzin n’a jamais souhaitée pour ses enfants.
La compagnie théâtrale Kaddu Yaraax est en plein dans le déroulement de sa saison culturelle 2022, avec la tenue mercredi dernier de Pencum Yaraax, qui est une tribune offerte aux personnalités qui ont marqué la vie sociale du quartier de Yaraax. Pour cette fois, ce sont les frères Guissé qui étaient à l’honneur. Aliou Guissé étant en voyage, ce sont Djiby et Cheikh Guissé qui ont tenu à partager la longue marche qui les a menés au sommet de la musique sénégalaise. Une réussite qui s’est faite au prix de gros sacrifices, selon ces natifs de Yaraax. Déjà, fils du muezzin de la mosquée, les Frères Guissé n’étaient pas destinés à une carrière musicale. En ce temps-là, le showbiz était loin de figurer dans le modèle de réussite des parents sénégalais. Et les frères Guissé ont dû convaincre leur père par de bons résultats scolaires, avant de pouvoir vivre leur passion. «Nous étions très bons à l’école. Mon père m’avait promis que j’aurai tout ce que je voulais une fois que j’aurais réussi à l’examen. Ce que j’ai fait, avec un 17 en maths. Je lui ai donc rappelé la promesse qu’il m’avait faite. Et il m’a demandé ce que je voulais. Je lui ai répondu que j’avais un concert et que j’avais besoin qu’il m’offre le billet pour y aller. Mon père n’en revenait pas. C’est ainsi que j’ai eu mon billet. Je suis allé animer un concert à Gorée. C’était la première fois que j’y mettais les pieds. C’était en 1984 et la deuxième fois que je montais sur scène», se rappelle Djiby Guissé, qui souligne que son père ne prenait pas trop au sérieux la musique, qu’il considérait comme «un jeu». «Mon père a cherché à brider notre passion sans y parvenir.» Pour brouiller les pistes, donner l’impression qu’il s’est détourné de la musique, Cheikh Guissé dit avoir pris l’option de la mécanique. Et c’est à partir du garage où il exerçait qu’il partait pour faire ses prestations avec son frère. «Je le prenais à son garage. Il y a une photo où Cheikh était en tenue de mécanicien. Il reste toujours un bon mécanicien. C’est le réparateur de ma voiture», témoigne son frère, Djiby Guissé. Et ce dernier de se remémorer l’époque où il enjambait le pont de Yaraax pour rejoindre les Hlm en vue de se former à la musique. C’était du temps où il évoluait à l’époque dans l’orchestre de l’Udp, un parti politique maoïste. «J’étais jeune à cette époque, on m’a fait intégrer cet orchestre. C’est là où j’ai commencé ma carrière en tant que chanteur», dit Djiby Guissé, qui soutient avoir été encadré par Lamine Faye Docteur, bassiste, et Moustapha Diop, guitariste. «On a fait comprendre à notre père que nous voulions réussir dans la musique», soutiennent les frères Guissé, qui ont fini par laisser tomber les études pour se consacrer à leur carrière musicale.
Surmonter les réticences du père
S’offrant en exemples à la jeune génération, les frères Guissé disent n’avoir jamais cédé aux pièges des tentations du showbiz. Au contraire, leur propension à se limiter aux boissons sucrées à un concert «open bar» ne cessait de surprendre. «On ne peut pas travailler en n’étant pas lucide. On n’a jamais touché à l’alcool. C’est dans la lucidité qu’on peut réussir», relèvent les frères Guissé, qui incitent les jeunes à se détourner des «mauvaises pratiques» souvent liées à la musique.
Le groupe reçoit aujourd’hui les éloges des habitants de Yaraax, pour avoir contribué à faire connaître le quartier partout dans le monde à travers les tournées qu’ils ont eu à faire dans le cadre de leur carrière musicale. 3e membre de la fratrie, Aliou Guissé, qui assurait les percussions dans le groupe, vit désormais au Canada et y poursuit sa carrière avec d’autres musiciens. Mais il n’hésite pas, à l’occasion, à rejoindre ses frères durant leurs tournées au Canada ou aux Etats-Unis. «On a joué ensemble, avec lui, il y a cinq ans de cela aux Etats-Unis», fait savoir Djiby Guissé.
Une enfance baignée dans la musique
«A l’âge de 11 ans, j’étais dans le théâtre, je chantais dans la troupe de Dolé Mbolo, devenue Kassanga. C’est à l’âge de 16 ans que j’ai commencé à pratiquer de la musique. Beaucoup de griots et de Bambado défilaient chez nous. Et cela nous a beaucoup forgés. Nos grandes sœurs, mariées en Côte d’ivoire, ramenaient des musiques maliennes comme celles de Amy Koïta», indique Djiby Guissé pour expliquer la connexion des frères Guissé avec la musique. «La culture est une identité. Nous sommes les défenseurs de notre identité culturelle», se targuent les frères Guissé, qui ont enregistré deux albums avant Covid-19 et n’ont pas encore de titre. Parlant des œuvres musicales à leur actif, les frères Guissé disent avoir réalisé beaucoup d’albums de collaboration à l’international. «On a ciblé des pays, collaboré avec des musiques slovène, hollandaise très connues et on vient de finir une collaboration avec un musicien français, un ancien militaire», que Djiby Guissé dit avoir connu depuis 1992.
Elève au lycée Blaise Diagne, contraint de se séparer de ses amis d’enfance tous partis à l’extérieur, Djiby Guissé fréquentait d’autres localités comme les Hlm. «Tous mes amis sont partis à l’extérieur, j’étais seul donc tout ce que j’ai appris, je l’ai appris en dehors de Yaraax», indique celui qui a joué au football, dans le championnat national populaire, avec l’équipe de Som. Après avoir titillé la chanson, Djiby Guissé a pris la décision d’ajouter une corde à son arc en se proposant de découvrir les secrets de la guitare. C’est ainsi qu’il quittait Yaraax pour se rendre aux Hlm afin de se forger à cet instrument. «Je rejoignais la chambre d’un ami aux Hlm qui avait mis sa guitare à ma disposition. J’attendais qu’il soit à l’université pour répéter mes gammes. Lorsqu’il rentrait, je revenais à la maison pour déjeuner avant de revenir l’après-midi poursuivre ma formation», poursuit Djiby Guissé. En 1982, alors qu’il faisait la classe de 5e, un artiste du nom de Mamadou Guissé le trouve au lycée Blaise Diagne entrain de chanter.
Profitant de l’arrivée de Nelson Mandela au Sénégal, Djiby Guissé dit avoir réussi à trouver un modus operandi pour faire partie des artistes qui devaient animer le show organisé à cette circonstance. «Lorsque j’élevais la voix, les gens jubilaient. A cette époque, les gens écoutaient de la musique», fait-il savoir avec une pointe de nostalgie. Aujourd’hui, leur nom est associé au quartier qui les a vu naître et leurs voisins ne cessent de leur exprimer leur fidélité tout en louant leur engagement dans les questions environnementales, avec en toile de fonds la baie de Hann, à travers surtout l’organisation de Festivert, un festival centré sur l’environnement.