«MA VISION DE LA POLITIQUE…»
Entretien avec Meta Dia alias Méta Crazy, l’ancien acolyte de Simon au sein du groupe de rap Bis bi Clan

Meta Dia alias Méta Crazy, l’ancien acolyte de Simon au sein du groupe de rap Bis bi Clan, a fait du chemin. Basé aux Etats Unis depuis plus de dix ans, il a réussi à se faire un nom au niveau de la galaxie mondiale du reggae. Surnommé par le New York Times le Bob Marley Africain, il vient de sortir son quatrième album solo. Le Témoin s’est entretenu avec lui au téléphone sur son parcours et sa vision de la musique.
Vous venez de sortir un album quatre ans après « Hira »…
Pour bien faire de la musique, il faut beaucoup miser sur les circonstances et les possibilités du moment. J’avais envisagé de faire un double album. Pour sa concrétisation, j’ai dû prendre tout mon temps et travailler sans aucune pression. J’ai planché sur les compositions et l’écriture. C’est pour cette raison que mon travail tarde à prendre forme. Je ne suis pas pressé et je mets en général quatre à cinq ans pour sortir un produit et c’est dans un souci d’inscrire mon travail dans la durée
Vous évoluez dans un genre qui ne fait presque pas recette au Sénégal. Pourquoi avoir choisi le reggae ?
Le reggae est une musique intemporelle et indémodable. Il ne suit pas les tendances de la mode. Il est bien vrai que de temps en temps, il subit certaines influences. Toujours est-il qu’il reste une musique universelle et très bien ancrée dans le temps et l’espace. C’est une musique d’adulte très versée dans la spiritualité et la conscientisation avec des messages forts et porteurs. Donc, c’est pour toutes ces raisons que j’ai choisi le Reggae pour exprimer mon ressenti de tous les jours. Je l’ai aussi choisi pour pouvoir délivrer des messages qui portent et qui sont utiles à l’évolution de la race humaine.
Issu d’un islâm soufi du Sénégal, vous avez choisi le reggae qui est une musique très spirituelle. Quelle est la place de la religion dans votre musique ?
Il est définitivement admis par le sens commun que le reggae est une musique spirituelle. C’est ce qui fait que tous les hommes pourvus de foi ressentent profondément cette musique. De ce fait, tous mes textes sont pour la plupart inspirés par le Coran. Par exemple, dans le morceau « Hira », je parle de la manière dont le Prophète Mohamed (PSL) a découvert le message divin. Il en est de même sur le titre « Bilal » sur lequel je parle de « Feek and holy tree ». Et pour cela, j’ai été inspiré par la sourate « watini wa zaytouni » (Sourate 96 At Tin le figuier ndlr). Je peux dire que 90% de mes morceaux sont inspirés par le Coran et la spiritualité que j’ai acquise au Sénégal et au cours de mes voyages.
Vous avez enregistré vos deux derniers albums au studio de Peter Gabriel. Quelles sont vos relations avec ce grand de la musique mondiale ?
Effectivement, j’ai encore travaillé au studio « Real World » du grand Peter Gabriel. Les raisons de ce choix sont très simples. J’éprouve énormément de respect envers Peter Gabriel qui est un artiste de dimension planétaire. Ce n’est pas seulement parce qu’il est une légende vivante de la musique, mais c’est surtout du fait qu’il a pu monter et lancer un studio très moderne et de très grande qualité. C’est un outil performant dont tout artiste a besoin. De manière très imagée, c’est comme le chef cuisinier qui a toujours besoin d’une cuisine assez performante pour pouvoir mitonner ses petits plats. C’est à cause de ce professionnalisme et de cette quiétude que j’y ai enregistré mes deux derniers albums. Il y a aussi le fait qu’il existe un respect réciproque entre Peter et moi. Il a l’âge de mon père, mais il a toujours fait preuve d’un grand respect à mon endroit et je le lui rends bien.
Vous avez également travaillé avec Ilon Ba, l’ancien guitariste de Baba Maal…
Oui, Ilon Ba est un grand musicien et nous nous sommes connus en France. Il évoluait déjà dans un groupe de reggae. C’est pour cette raison que j’ai fait appel à lui pour ce projet. Je procède ainsi à chaque fois que je réalise un nouvel album en y apportant de nouvelles touches. Il m’arrive de ratisser large en amenant des touches jazzy, du flamenco etc. Tout dépend de la vision que je me fais de l’album. Il se trouve que sur cet album, j’avais vraiment senti le besoin d’y inclure de nombreuses couleurs africaines. Pour y arriver, j’ai pensé à Ilon qui connaît bien le reggae et qui dispose de cette touche africaine pour avoir longtemps travaillé avec le grand Baba Maal. Ilon a été très disponible et coopératif. Il m’arrive aussi de travailler avec d’autres artistes sénégalais comme Alioune Faye, le jeune frère à Mbaye Dièye Faye.
Comment avez-vous réussi à établir des liens professionnels avec les grandes stars jamaïcaines comme Damian et Julian Marley, U Roy etc. ?
Il y a bien eu une réelle collaboration avec des artistes comme Damian, Julian Marley, U Roy et tant d’autres. Pour dire vrai, c’est grâce au groupe Steel Pulse que cette belle relation a pu être tissée avec de grands noms du reggae mondial. J’ai rencontré les membres de Steel Pulse au cours d’un concert à New York et le courant est tout de suite passé. J’ai alors décidé d’aller enregistrer mon second album en Jamaïque. Ensemble, nous avons effectué le déplacement et c’est une fois sur place que les autres ont découvert que j’étais un Africain. Au début, ils n’y croyaient pas et pensaient que j’étais un Jamaïcain qui leur déclarait juste pour le fun qu’il était Africain. Mais en étant toujours au studio avec moi, ils ont pu se rendre compte de mes origines. Finalement, c’était devenu pour moi un cercle familial. La Jamaïque est une petite île et le lien est très fort avec l’Afrique. C’est ainsi que les choses se sont passées et il s’en est suivi naturellement de nombreuses collaborations.
Le New York Time vous a surnommé le Bob Marley africain. Quel effet cela vous fait-il ?
A priori, cela ne me pose aucun problème car Bob Marley est un artiste qui a réussi à marquer de son empreinte la musique mondiale. Force est de lui reconnaître ce mérite. C’est vraiment un grand honneur que d’être comparé à cette grande figure. Mais je dois admettre que je suis très fier d’être Meta Dia, un artiste sénégalais ravi de représenter son pays et son continent aux quatre coins du monde.
Comment appréciez- vous l’apport des médias dans le développement de la musique ?
Le monde médiatique est très vaste et les choses évoluent à une vitesse hypersonique. Nous sommes à l’ère du numérique et les choses mutent trop vite au niveau des satellites. Il faut se mettre à niveau et pourvoir les populations de toutes les conditions idoines pour suivre la mouvance. Il faut mettre fin à ces problèmes récurrents de connexion et de lenteur du débit. C’est ce genre de détails qui plombe la bonne communication dans ce milieu de la musique où les choses bougent très vite. L’idéal aurait été que nous disposions de notre propre industrie et surtout que l’on évite de subir le diktat des grandes structures de productions occidentales. Il faut surtout se focaliser sur le fond des choses et éviter de se contenter du superficiel et de tout ce qui se trouve en surface.
Comment celui qui s’exprime par le roots reggae suit l’évolution politique du Sénégal ?
Effectivement, le reggae est une musique très engagée et tout le monde est d’accord sur ce fait. Ceux qui s’expriment dans ce genre sont très engagés et ce sont pour la plupart des activistes. Cependant, je ne me considère pas comme un activiste ou un acteur politique. Je suis plus intéressé par ce que ma participation peut apporter à mon peuple. Il s’agit du triptyque : éveiller, conscientiser et éduquer par mes messages. Je pars toujours du postulat qu’il faut toujours essayer de maîtriser le sujet que l’on aborde à chaque occasion. Je suis obligé d’admettre que cela fait un bon moment que je ne suis pas venu au Sénégal. Et pour tout ce qui touche à la politique de mon pays, j’en suis informé par les journaux ou par la télévision. Je ne suis pas au cœur de l’action. Je vois bien qu’il y a souvent des contestations et le champ politique est toujours en ébullition. Cela ne signifie pas que je suis pour un camp contre un autre. Chacun agit selon la perception qu’il se fait des choses. Je veux dire par là qu’il ne faut pas perdre nos valeurs et notre culture.
A mon avis, nous devons pouvoir nous focaliser sur des situations assez complexes. Je veux parler de notre environnement, de notre manière d’occuper notre espace vital etc. Cela veut dire que tous les jeunes ne doivent pas toujours se focaliser sur la chose politique car il y a d’autres causes à défendre. Il faut avoir le courage de faire notre autocritique et de nous pencher sur notre manière de vivre entre nous, de notre rapport avec les animaux et de l’érosion côtière. Ce sont les sujets d’une importance capitale. À mes yeux, c’est mieux que de passer notre temps à nous entretuer et à entretenir cette situation de tension permanente. Il faut une réelle introspection et surtout combattre la pauvreté qui engendre souvent cette frustration. A hungry mob is a angry mob (une foule affamée est une foule en colère dixit Bob Marley dans le titre small axe ndlr). Il faut comprendre que c’est à nous de développer ensemble ce pays. Malheureusement, sous nos cieux, on attend toujours beaucoup du Président. Il faut changer de vision. Il est vrai que le Président doit travailler pour améliorer la situation de son peuple. Mais le peuple ne doit pas être statique. C’est ensemble que nous allons développer notre Sénégal.