MES FILLES ONT GRANDI AVEC L’IDEE QU’IL N’Y A PLUS D’ETHNIES, IL N’Y A QUE DES RWANDAIS»
Gaël Faye déclare son amour au Rwanda
Quand les mots placardés sur un papier ne suffisent pas, il faut hurler. Quand ces cris sont accompagnés par la musique, ils deviennent plus audibles et agréables. Gaël Faye en est persuadé. En France où il fait danser les mots avec son orchestre, le Prix Goncourt du lycéen évoque avec Le Point Afrique sa musique, sa plume et ses envies.
Dans ses confidences, on retiendra la cause de son installation au Rwanda. «Je ne connaissais pas le Rwanda, le pays de ma mère, de ma famille réfugiée. J’ai commencé à m’y rendre après le génocide. Pendant des années, ce pays souffrait tellement. On se demandait même si ça allait être de nouveau un pays. Et puis, il a changé tellement vite. J’ai eu l’impression qu’un regard de vacancier ne suffirait jamais à le comprendre. Son histoire est si particulière : sur un territoire pas plus grand que la Bretagne, les anciens bourreaux et les anciennes victimes ont appris à cohabiter. Cela crée des histoires pas banales qu’un visiteur de passage ne peut pas saisir, ressentir. Il faut vraiment y vivre au quotidien», at-il expliqué dans un premier temps. Avant d’ajouter : «Ça m’a permis de mieux comprendre les rapports humains, lesquels étaient compliqués. Et je ne comprenais pas la génération de mes enfants, cette nouvelle génération post-ethnique. Elles ont grandi avec l’idée qu’il n’y a plus d’ethnies, il n’y a que des Rwandais. Chaque année, pendant les commémorations d’avril à juin, il est écrit partout dans le pays ‘’Génocide des Tutsis’’. Donc les enfants demandent : ‘’C’est quoi des Tutsis ?‘’ C’est un monde en mutation permanente, qui se cherche. On a besoin de regards d’artistes qui s’emparent de ces sujets, car c’est un cas unique au monde.»
Le Rwanda, une histoire d’amour et de fraternité
Dans un autre registre, le Rwanda, ce pays adoptif du slameur et non moins chanteur, présente des particularités autres que les considérations d’ordre familial. En effet, la femme de Gaël Faye étant Rwandaise, le slameur a voulu offrir à ses filles le sentiment d’appartenir à un pays. Elles ont des parents métis. «Ma femme est Francorwandaise. Mes filles sont Franco-rwandaises. Elles sont des métisses de métis. Je ne voulais pas que le Rwanda soit juste le pays du génocide pour elles, celui de leurs parents. Je ne voulais pas qu’elles en parlent avec des sanglots dans la voix. Mais qu’il soit aussi leur pays, comme la France. Certes il y a la grande histoire, mais il y a aussi tout le reste. En 1994, c’était un charnier, ce n’était plus un pays. Il n’y avait plus de Peuple, d’unité, de structures d’Etat. Il y avait des morts, des tueurs et des océans de larmes et de douleurs. Aujourd’hui, grâce à la génération de nos parents, de ma mère, on peut élever nos enfants et leur dire : c’est un pays. Ce n’était pas gagné. Quand j’étais enfant, le Rwanda était une utopie, un rêve. Mes oncles et mes tantes ont pris les armes pour reprendre ce pays qu’ils ne connaissaient pas. Toutes ces personnes qui ont grandi dans des camps de réfugiés, à qui l’on disait : ‘’Vous n’êtes rien, vous êtes apatrides, vous n’avez pas de pays...’’, elles tenaient à y retourner, ont payé un lourd tribut de souffrances. Mais aujourd’hui, le Rwanda reste un pays, avec ses défauts et ses qualités. En l’espace d’une petite vie comme la mienne, c’est déjà beaucoup d’avoir assisté à toutes ces étapes», a-t-il détaillé.
La renaissance après le confinement
Revenant sur la pause forcée par la crise sanitaire qui secoue le monde, Gaël Faye estime que le fait de rejouer est une «renaissance», pour la simple et bonne raison que «j’ai l’impression qu’ils vivent le concert avec davantage d’intensité. Chaque soir est vibrant, vivant. Je me sens encore plus en symbiose avec le public qu’avant. De plus, j’ai agrandi mon équipe scénique. Samuel Kamanzi (chanteur/guitariste rwandais-congolais, Ndlr), mon voisin à Kigali, nous a rejoints sur cette tournée. Ainsi, nous pouvons jouer sur scène des morceaux en lingala, en kinyarwanda, en swahili avec des influences de rumba congolaise… Je propose en live davantage de facettes de ma musique. Tous ces éléments font que je passe un très bel été, très fort, particulier».
Une musique codée qui casse les codes
Ayant l’habitude de se définir comme un enfant «du foisonnement», du fait de sa double culture, Gaël Faye présente son identité dans sa musique. C’est un mélange de sonorités africaines avec une prédominance de la rumba. A la question de savoir comment il s’y entreprend, le slameur déclame sa réponse comme suit : «Ça s’effectue de façon fluide et naturelle. Nous avons créé la musique avant de mettre des mots, du sens. Le studio est un laboratoire. Avec Guillaume Poncelet, claviériste et trompettiste, nous avons passé des mois à chercher, élaborer les morceaux : ça pouvait partir d’une rythmique, d’une boucle de piano, d’une mélodie qui me trottait dans la tête… Je n’ai pas de cahier de charges. Je ne me dis jamais à l’avance je vais faire un morceau rumba ou hip-hop...». «Et puis, chaque collaboration amène une couleur différente à chaque morceau - ici Mélissa Laveaux, Harry Belafonte, Samuel Kamanzi… Le guitariste congolais Tibass Kazematik a aussi apporté de nombreuses idées. Ensuite, c’est à travers mes textes, le mixage, l’agencement des titres les uns après les autres que s’établit la cohérence de l’album. Certains morceaux se répondent, ont des correspondances, des résonances. Le tout forme une histoire.» Anti-conventionnel, Gaël Faye invente à bouleverser les codes tout en se référant à l’essentiel. En d’autres termes, «à Bujumbura, dans le quartier populaire de Bwiza, on avait l’habitude le lundi soir d’aller en boîte de nuit, Le 5 sur 5, pour braver l’interdit, les normes. C’était une façon d’éviter le cafard du dimanche soir. Le lundi passait plus vite, et on sortait en club de minuit jusqu’à l’aube. Ça crée une résistance à ces conventions, lesquelles voudraient que l’on fasse la fête uniquement le week-end. Et ça confère une aura de courage à ceux qui font ces lundis méchants».