MOHAMED MBOUGAR SARR, LA LITTÉRATURE ET LA VIE
Consacré en cette rentrée littéraire, cent ans après le prix Goncourt de René Maran, « La plus secrète mémoire des hommes », le nouveau roman de l’auteur sénégalais, est un superbe éloge de l’existence
Il y a une douce ironie dans le sacre littéraire et médiatique du jeune sénégalais Mohamed Mbougar Sarr (31 ans) qui vient de remporter le prix Goncourt 2021, la plus prestigieuse récompense littéraire française. Son nouvel opus est en effet tout entier construit autour d’une tragique histoire restée dans les annales : la fascinante trajectoire de l’écrivain malien Yambo Ouologuem, prix Renaudot en 1968 pour Le Devoir de violence, avant que des accusations de plagiat ne viennent entraver une carrière extrêmement prometteuse dans le monde des lettres et ne le poussent à s’effacer de la scène jusqu’à sa mort, le 14 octobre 2017, à Sévaré.
Roman policier
Après trois romans remarqués – Terre ceinte, Le Silence du chœur et De purs hommes –, Mbougar Sarr a imposé son tempo à la rentrée littéraire française avec La Plus Secrète Mémoire des hommes, roman « total » dédié à Yambo Ouologuem et placé sous les mânes du poète chilien Roberto Bolaño. « Bolaño a eu une influence majeure, capitale pour l’écriture de ce texte, confie le jeune auteur sénégalais, lecteur précis et compulsif. Il m’a permis de mêler les genres, de jouer avec, en suivant un principe ludique d’hybridation et de fragmentation de la linéarité. Il a ouvert un champ d’expérimentation en phase avec le réel que nous vivons, de plus en plus chaotique, troublant, qui correspond à notre façon de naviguer à travers le temps et que l’on parvient pourtant, étonnamment, à digérer. »
La Plus Secrète Mémoire des hommes suit une trame de roman policier : bouleversé par la lecture du Labyrinthe de l’inhumain, texte devenu introuvable d’un mystérieux T.C. Elimane, l’apprenti écrivain Diégane Latyr Faye se lance dans une longue enquête visant à découvrir qui fut ce sulfureux auteur trop tôt disparu. Cette quête impossible conduit le romancier en devenir au cœur même du labyrinthe de la création, là où s’entremêlent tous les genres ; roman initiatique, récit érotique, histoire d’amour, essai philosophique, compte rendu journalistique, poésie, biographie, témoignage, satire, pamphlet politique…
« Au fond, qui était Elimane ? écrit Mbougar Sarr. Le produit le plus tragique et le plus abouti de la colonisation […] Elimane voulait devenir blanc et on lui a rappelé que non seulement il ne l’était pas, mais qu’il ne le deviendrait encore jamais malgré tout son talent. Il a donné tous les gages culturels de la blanchité ; on ne l’en a que mieux renvoyé à sa négreur. Il maîtrisait peut-être l’Europe mieux que les Européens. Et où a-t-il fini ? Dans l’anonymat, la disparition, l’effacement. Tu le sais : la colonisation sème chez les colonisés la désolation, la mort, le chaos. Mais elle sème aussi en eux – et c’est ça sa réussite la plus diabolique – le désir de devenir ce qui les détruit. » On ne saurait mieux condenser, en quelques lignes, le drame de Yambo Ouologuem.