«POURQUOI CHERCHER À DÉTRUIRE UN FAUTEUIL SUR LEQUEL ON ASPIRE À S’ASSEOIR ?»
Le roi d’Oussouye dévoile son rôle crucial pour amener l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, leader indépendantiste casamançais, à travailler à faire taire les armes
Olivier Diédhiou, à l’état civil, a été intronisé Roi d’Oussouye en janvier 2000, sous le titre de Sibiloumbaye (Ndlr : Celui qui va amener les bêtes de sacrifice). Il dit avoir été intronisé pour garantir l’avènement de la paix en Casamance. Au cours d’un entretien accordé au journal Le Quotidien dans le bois sacré, il a déploré les violences qui avaient agité le Sénégal au mois de mars 2021, avec des émeutes déclenchées à la suite de l’interpellation de Ousmane Sonko, leader du parti Pastef. De même, le Roi d’Oussouye, avec un calme d’ange, a dévoilé son rôle crucial pour amener l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, leader indépendantiste casamançais, à travailler à faire taire les armes. Le Quotidien a veillé, avant publication, à faire relire le texte de cet entretien au Roi Sibiloumbaye Diédhiou qui, assisté de son conseiller en communication Souleymane Diédhiou, l’a approuvé sans réserve.
Sibiloumbaye Diédhiou, que signifie le titre Roi d’Oussouye ?
Le titre de Roi d’Oussouye est comparable à celui du président de la République
En quelle année avez-vous été intronisé ?
Exactement le 17 janvier 2000
Il se raconte qu’avant votre intronisation, le poste de Roi d’Oussouye était longtemps resté vacant.
Pendant 16 ans, le titre est resté vacant, de 1984 au 16 janvier 2000. Cela, parce qu’à la disparition du Roi Sibacouyane Diabone en 1984, on était dans une situation de conflit armé, les hostilités (Ndlr : guerre d’indépendance déclenchée pour le Mouvement des forces démocratiques de Casamance) avaient déjà démarré en Casamance. Nous avions connu des années difficiles et la tension était telle qu’il y avait une grande insécurité dans la zone. Les sages n’avaient pas voulu introniser un roi pour éviter que l’une ou l’autre partie (Mfdc et Etat du Sénégal) ne voie cela d’un mauvais œil, une sorte de compromission ou de parti-pris. Le Mfdc pouvait croire que si on intronisait un roi, c’était parce qu’on était en phase avec l’Etat du Sénégal et de son côté, l’Etat du Sénégal pouvait suspecter des accointances avec le Mfdc.
Pourtant, en 2000, la sécurité n’était pas totalement rétablie, mais vous avez quand même été intronisé. Comment avez-vous fait ?
C’est un vieux qui, de retour de la récolte de vin de palme, a déclaré aux sages qu’il a reçu la révélation que le temps était venu de désigner un roi, parce que notre terre est sacrée. Selon ce sage, aussi longtemps qu’il n’y aurait pas de roi d’Oussouye, la guerre n’allait pas prendre fin. Les sages avaient des craintes que si un roi était désigné, il soit pris entre deux feux, entre l’Armée et la rébellion du Mfdc. Après le message de ce vieux, les sages sont allés consulter les fétiches, ainsi que les voyants traditionnels. Ces derniers ont confirmé le message du vieux, à savoir que l’intronisation du Roi allait conduire à la paix dans toute la région. Des marabouts ont aussi transmis le même message, que si le Roi d’Oussouye n’était pas intronisé, il n’y aurait pas de paix en Casamance. C’est ainsi que j’ai été désigné, pour que mon règne puisse apporter la paix dans la région. Mon règne est destiné à asseoir la paix définitive, le silence des armes. Mon règne doit consacrer l’avènement de la paix.
Et d’où vient le Roi d’Oussouye ?
Les rois d’Oussouye sont désignés par trois familles à tour de rôle. Mais le trône n’est pas si héréditaire que cela. Les sages se réunissent pour identifier la personne qui doit porter la charge. Si par exemple une personne est désignée sans être la personne indiquée, son règne ne durera pas plus de deux mois. La personne va mourir. Une consultation rigoureuse des esprits est nécessaire. Le jour où le trône quittera ici, il ira au village de Kahinde, la royauté reviendra à la famille Diatta à Kahinde.
Suite à votre intronisation, quelles actions avez-vous entrepris, Majesté, pour assurer la paix ?
Avant toutes choses, nous avons organisé des prières dans le bois sacré, avec forces libations à base de vin de palme et de sacrifice d’animaux. A la suite de quoi j’ai convoqué l’abbé Diamacoune (Ndlr : Augustin Diamacoune Senghor, leader historique du Mfdc), pour des discussions.
Sur quoi portaient ces discussions ?
C’était simple. Il était venu à cette même place. La première chose que je lui ai dite ici, c’est que les gens étaient fatigués de la guerre et qu’il est temps de l’arrêter. Et avant d’entamer leurs Assises (Ndlr : Assises du Mfdc), nous devons nous asseoir pour trouver des solutions durables. C’est après cela que Diamacoune a commencé à calmer ses partisans et à encourager les gens à retourner dans les villages.
L’abbé Diamacoune a-t-il facilement accédé à votre demande ou a-t-il fait de la résistance ?
L’abbé Diamacoune ne pouvait pas refuser ce que je lui demandais. Il est du village de Senghalène, qui fait partie du royaume d’Oussouye. Il est en quelque sorte mon sujet et devrait m’obéir. Quand je lui ai parlé et dès son retour des Assises du Mfdc, il a réagi positivement, et a encouragé les gens à retourner chez eux.
L’abbé Diamacoune n’est plus. Avez-vous des contacts avec les autres chefs du Mfdc ?
Non, je ne connais pas ses autres compagnons. Mais je dois dire que certains émissaires du Président Macky Sall, comme Robert Sagna, venaient parfois me consulter dans le cadre de missions en direction du Mfdc et je les associais à des membres de la Cour royale pour aller rencontrer des responsables du Mfdc dans le maquis.
Quelles relations avez-vous avec les autorités de l’Etat et l’Armée ? De plus, on note qu’il n’y a plus une grande présence militaire dans la région. Comment appréciez-vous cela ?
C’est normal. Lorsque la crise était très forte, on avait un grand nombre de militaires ici. Maintenant, il n’y a plus d’attaques, le climat de confiance revient, l’Armée commence à se replier. Avec les autorités, nous avons de très bonnes relations et sommes complémentaires. Il peut arriver que là où l’autorité administrative échoue, nous autorité coutumière, puissions réussir. Nous travaillons en parfaite harmonie. Quand il y a un problème à un endroit où je peux apporter ma contribution, j’envoie la Cour royale, qui porte mon message, et permet de régler les problèmes.
Nous avons assisté hier (Ndlr : dimanche 5 septembre 2021), à Oussouye, à une grande et belle fête, le «Bônônô». C’était une belle ambiance de fraternité. Comment l’analysez-vous ?
(Large sourire). Cela est une tradition ancestrale. La lutte traditionnelle, les compétitions entre villages, cela fait partie de notre culture. Nous avons pu unifier tout le royaume grâce à la fête de Houmeubeul, qui est organisée sous mon égide. Dès 2001, un an après mon intronisation, nous avons organisé le Houmeubeul ici, pendant 3 jours de festivités. Il y avait à l’époque un climat de tension très vive. Cette fête a permis de rassembler beaucoup de gens. Elle rassemble tous les villages du royaume, généralement pendant la deuxième quinzaine de septembre. Le Houmeubeul est d’abord une fête qui permet de prier pour un bon hivernage, et pour renforcer la paix dans le pays.
Et quand se passera le Houmeubeul cette année ?
La date n’est pas encore fixée. Elle le sera après des cérémonies dans le bois sacré.
La rébellion a causé des douleurs, avec des pertes en vies humaines dans beaucoup de familles en Casamance…
Le roi est comme le chef de famille. Quand les enfants meurent, que ce soit parmi les rebelles ou pas, c’est la famille qui perd, c’est moi le chef qui souffre. C’est pourquoi nous voulons en finir totalement avec la guerre.
La guerre entre le Mfdc et l’Armée semble être derrière nous. Mais au mois de mars dernier, les démons de la violence ont frappé et on a connu de la violence, même dans la région de la Casamance. Comment le Roi d’Oussouye voit-il cette situation ?
Nous avons toujours condamné les destructions des biens d’autrui avec les émeutes du mois de mars 2021. Nous avons aussi désapprouvé les violences à l’Université de Dakar entre les étudiants diolas et sérères. Quel que soit le niveau de mécontentement, il y a des procédures à respecter pour régler les problèmes. On ne peut rien résoudre par la violence.
Cette violence n’a pourtant pas été tellement ressentie au niveau de votre royaume. Comment cela s’explique-t-il ?
Nous avons un respect immense de la vie humaine. Ici, la vie humaine est sacrée. Faire couler du sang est puni de manière forte. Il faut, pour se libérer d’une telle faute, faire de lourds sacrifices et faire un repentir public. Au défaut, la punition est terrible. Nous ne pouvons pas chercher à sortir des affres de la rébellion pour entrer dans d’autres problèmes. Je condamne donc fermement ces violences du mois de mars 2021, les pertes en vies humaines sont intolérables ainsi que la destruction des biens d’autrui. (Ndlr : Son conseiller Souleymane Diédhiou ajoute : Vous pouvez observer que le royaume d’Oussouye a été épargné des violences de mars 2021). (Ndlr : Le roi reprit la parole). Je ne peux tolérer la violence. Et puis, comment détruire un fauteuil sur lequel on aspire s’asseoir ? Cela n’a pas de sens. Ces violences sont totalement inacceptables.
Dans de pareilles situations, une intervention des autorités coutumières et traditionnelles pourrait aussi aider à calmer les esprits. Qu’avez-vous fait en ce sens ?
Oui, et on l’a vécu durant les évènements du mois de mars 2021. Il y a eu une médiation qui a été faite pour demander aux esprits de se calmer et d’en finir avec la violence. On ne peut pas détruire le pays. Déjà que notre pays et notre région sont en retard dans bien des domaines, nul ne devrait en rajouter.
Quelle est votre capacité, en tant qu’autorité traditionnelle, à pouvoir empêcher des pareils troubles à l’avenir ?
Le Roi peut donner un message fort à la communauté, parce qu’il est très écouté. Il a des représentants dans tous les villages. Dès qu’il parle, son message est répercuté dans toutes les communautés et disséqué, et permet de calmer les esprits. Nous réglons ici tous nos problèmes dans le calme.
Quel est, aujourd’hui, le message fort que vous voulez faire passer ?
Le message est que le Sénégal soit uni, que les jeunes prennent conscience que l’on ne doit pas dilapider le peu de ressources que l’on a dans la violence.
Les évènements de mars avaient un soubassement politique. Comment analysez-vous cela ?
Quel que soit le degré de mécontentement, les gens doivent apprendre à garder leur calme et surtout chercher à régler les problèmes par le dialogue, la discussion.
Après ces évènements, avez-vous pu entrer en contact avec les acteurs impliqués ?
Non
Ousmane Sonko est de la communauté diola. N’est-il pas entré en contact avec vous ? Les violentes émeutes ont été déclenchées par ses partisans.
Le seul contact avec Ousmane Sonko a été fait lors de la campagne pour la Présidentielle de 2019, quand ce dernier est passé par ici, pour des salutations. Mais en dehors de cela, aucun acteur politique n’est passé. Si ce n’est, de temps en temps, Aminata Assome Diatta, qui est comme ma fille, et qui est de la région. Elle vient souvent pour des visites de courtoisie.
Vous n’avez pas de contacts directs avec le Président Macky Sall ?
Le président Macky Sall m’a visité au moins à quatre reprises depuis 2012. Chaque fois qu’il est de passage dans la région pour ses activités, il trouve le temps de passer me saluer. D’ailleurs, je dois le remercier pour des gestes à mon endroit et à l’égard de la communauté. Depuis son arrivée au pouvoir, il a doublé l’aide que nous accordait le Président Abdoulaye Wade pour les festivités du Houmeubeul. Abdoulaye Wade m’avait rendu visite en 2000, après mon intronisation. Il m’avait donné ma première voiture à cette occasion. Ses prédécesseurs Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf avaient chacun visité le Roi Diabone (Ndlr : qui a régné de 1957 à 1984). C’était en 1962 et en 1982. Macky Sall m’a offert deux voitures : une pour moi et une autre pour le roi d’Essaout qui dépend de mon royaume.