SUR LES TRACES DE L'ÉLÉPHANT DE MBISSEL
Meissa Waly Dione Mané, premier roi du Sine, a marqué l’histoire de cette contrée peuplée en majorité de Sérères. Ce mandingue venu du Gaabou était un homme de sagesse, mythique. Plusieurs siècles après sa disparition, le souverain reste adulé

La vie se conjugue avec Meissa Waly Mané à Mbissel. Dans cette contrée du Sine, située entre Fadial et Sambadia, lesouverain est plus qu’un roi. Il est même devenu le totem du village. Songénie-protecteur. Un mausolée est construit à son honneur non loin des habitations. À l’intérieur, des baobabs géants longent la clôture. Avec cethivernage pluvieux dans le Sine, les hautes herbes ont recouvert certains coins de l’espace sacré bien protégé et impénétrable par tout étranger sans l’autorisation du gardien du temple. Cependant, la partie où est construit le mausolée royal est bien nettoyée et recouverte de coquillages par François Sène. Le conservateur nous a accueillis, cet après-midi du samedi 22 août 2020, d’abord dans sa maison. Tous les jours,il reçoit des visiteurs qui viennent découvrir ce site historique pour s’y recueillir ou prier. Vêtu d’un pantalon bleu assorti d’un t-shirt, il nous mène vers le mausolée du premier souverain du Sine. Il ouvre la porte et souhaite la bienvenue à ses invités. Toutefois, avant de démarrer la discussion, François Sène « entre en contact » avec le maître des lieux Meissa Waly Mané.
Les deux mains sur le mausolée, il parle au roi comme s’il s’adressait à un vivant. Après ces incantations pour avoir l’autorisation du souverain, la discussion avec les invités du jour peut commencer. François Sène retrace l’histoire de Meissa Waly Mané, le souverain mandingue venu du Gaabou (Guinée-Bissau). Dans ce grand empire, dit-il, Meissa Waly Mané était en conflit avec un des rois. Ce dernier, pour connaître les secrets de la puissance de son protagoniste, avait arrangé son mariage avec une de ses sœurs. C’est grâce à cette femme, raconte François Sène, que le secret de Meissa Waly Mané a été percé. Il ne pouvait plus rester sur la terre de ses aïeuls au risque d’être tué. Ainsi, raconte toujours le conservateur du mausolée, Meissa Waly Mané, accompagné de quelques gens de sa cour, a quitté le Gaabou pour trouver refuge ailleurs. Le futur souverain du Sine ne suivait que son ombre qui devait le guider dans un lieu où il pouvait encore régner.
C’est à Sangomar, narre M. Sène, que Mansa Waly s’est d’abord arrêté. Ensuite, il a continué jusqu’à Djifer puis Faboura. De Faboura, il entendait,chaque matin, le chant des coqs et les coups de pilon des femmes qui retentissaient depuis Mbissel. De ce fait, il se rend compte qu’il n’est pasencore arrivé à sa destination finale. En continuant le périple, il est arrivé à Mbissel.
Marche vers le trône
Dans ce village historique, Meissa Waly Mané a été accueilli à bras ouverts par les populations. D’après l’historien, Mamadou Faye, «Mansa Waly est restéun bon moment à Mbissel sans être roi ». Selon le récit du chercheur sur l’histoire des Sérères, tout a commencé quand sa sagesse lui a permis de régler un vieux conflit d’héritage datant de plusieurs années. À son avis, ce problème opposait deux personnes qui se disputaient la propriété d’un troupeau de vaches. Pour trancher très vite cette affaire que le Lamane de Fadial, Diamé Ngom, n’a pu juger, explique lepatriarche, Ndoupe Ngom, actuel Djaraf du Sine, Meissa Waly Mané a cherché une petite pirogue et a caché à l’intérieur un jeune enfant. Ainsi, il a appelé les deux personnes en conflit etleur a expliqué le procédé. Chacun, accompagné de son épouse, devait porter cette lourde pirogue et marcher sur une très longue distance pour prouver qu’il est le propriétaire et l’autre devait partir récupérer le même fardeau et le ramener à la place publique du village.
Le premier couple, raconte toujours le vieux Ngom, a pris la pirogue. Après quelques kilomètres de marche, la femme dit à son mari : «pourquoi se fatiguer tout en sachant que les vaches ne t’appartiennent pas ? ». Celui-ci de répondre : «Elles ne m’appartiennent pas, je le sais, mais je vais tout faire pour les garder », raconte Djaraf Ndoupe Ngom, par ailleurs descendant du Lamane Diamé Ngom.
La deuxième personne accompagnée aussi de son épouse est partie récupérer la petite pirogue hermétiquement fermée pour la ramener à la place publique. Au cours du trajet, sa femme lui dit : «tout le monde sait que les vaches t’appartiennent mais comme il ne veut rien comprendre laisse les avec lui». Toutefois, son mari était déterminé à récupérer ses vaches. L’enfant caché à l’intérieur de la pirogue écoutait silencieusement les différentes conversations. À la place publique où tout le monde attendait patiemment le verdict qui sera donné. Meissa Waly Mané a ouvert la petite barque. Un enfant est sorti à la surprise générale. Ainsi, l’enfant a raconté ce qu’il a entendu. Quand ce dernier a fini de faire son compte-rendu, Meissa Waly Mané a tranché. Il a remis les bêtes à celui qui a ramené la pirogue, raconte Ndoupe Ngom.
D’après Mamadou Faye, c’est à partir de ce jour que tous les Lamanes Sérères ont signé un pacte avec Meissa Waly Mané. Pour eux, ce dernier, grâce à sa sagesse, devait assister à tout ce qu’ils organisent. «kuxew na faat ta maadine »(qu’il assiste à tout ce qui se fait) », avaient-ils demandé, rapporte le chercheur Mamadou Faye. C’est à partir de cette date, dit-il, qu’est né «maad » qui, étymologiquement, signifie « assister » ou « roi » dans la croyance populaire. Au début, informe le responsable des langues nationales à l’Inspection d’académie de Fatick, Meissa Waly Mané était comme un conseiller technique pour les Lamanesmais jouait aussi un rôle d’arbitre. Il necessait de les surprendre.
Finalement, ils ont décidé de faire de lui le roi du Sine en lui disant ceci: «I NdoxNang Lang Ke Fo Fofi Lé » (nous te confions les terres et les eaux). Le Djaraf du Sine, Ndoupe Ngom, soutient aussi cette version du chercheur. Ilajoute que Meissa Waly Mané a, à son tour, décidé d’honorer le grand sage des Lamanes, Diamé Ngom Fadial en le désignant comme Grand Djaraf. C’est à partir de ce pacte qu’est né la royauté sérère et le grand royaume du Sine. Dans la royauté du Sine, le grand Diaraf était une sorte d’adjoint, le président de l‘Assemblée nationale si l’on se réfère à la nomenclature actuelle. Depuis cette date, tout roi du Sine est intronisé par le grand Djaraf.
Par ailleurs, une autre version donnée par les habitants de Mbissel, notamment par le chef du village et le conservateur du mausolée, indique que Mansa Waly Mané, venant du Gaabou, a trouvé à Mbissel une reine du nom de Siga Badial. C’est cette femme qui avait des pouvoirs mystiques qui avaient vu en lui le futur souverain du Sine. Meissa Waly Mané, disent-ils, a réussi à juger un très vieux conflit qui opposait deux habitants de Mbissel.