POUR QUE LE TATA DE CHASSELAY DEVIENNE SANCTUAIRE NATIONAL
Pascal Blanchard, Julien Fargettas, Achille Mbembe et Erik Orsenna estiment que la profanation de cette nécropole rappelle le sacrifice des tirailleurs morts pour la France. Ce site sacré abrite leurs corps, dont 48 tués par les Allemands en 1940
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(SenePlus) - Dans une tribune poignante publiée dans Le Monde, quatre éminents intellectuels - Pascal Blanchard et Julien Fargettas, historiens, Achille Mbembe, historien et politologue, et Erik Orsenna, écrivain - élèvent leurs voix pour transformer un acte de profanation odieux en une opportunité de réaffirmation mémorielle nationale.
L'événement qui déclenche leur intervention est la dégradation du tata sénégalais de Chasselay, dans le Rhône, un lieu de mémoire unique en France. Le texte rapporte des actes d'une violence symbolique extrême : souillure de 48 stèles sur 198, maculage de peinture noire sur l'ocre rouge caractéristique du site, inscriptions offensantes et vol du drapeau national. Mais au-delà de la condamnation de ces actes, les auteurs développent une réflexion approfondie sur la signification historique et contemporaine de ce lieu sacré.
Le tata, expliquent-ils, n'est pas une simple nécropole nationale. C'est un témoignage vivant d'une tragédie historique : l'exécution raciste de 48 soldats africains par les troupes allemandes le 20 juin 1940. Les auteurs rappellent que ces hommes avaient choisi de poursuivre le combat alors même que Pétain capitulait. La découverte en 2019 de photographies prises par un soldat allemand, retrouvées par le collectionneur Baptiste Garin, a permis de documenter précisément cette tragédie, renforçant encore la valeur testimoniale du site.
Les signataires de la tribune développent une analyse éclairante de la dimension symbolique du tata. Conçu par Jean-Baptiste Marchiani comme une "enceinte de terre sacrée", ce lieu devait servir de trait d'union entre la France et l'Afrique. Plus qu'un simple cimetière militaire, il incarne la reconnaissance perpétuelle de la nation envers tous ses enfants, quelle que soit leur origine. Cette dimension prend une résonance particulière dans le contexte actuel de distension des liens entre la France et l'Afrique.
Les auteurs établissent un parallèle saisissant entre les profanateurs d'aujourd'hui et les bourreaux de 1940. En s'acharnant sur les noms des "inconnus" inhumés dans la nécropole, les vandales reproduisent, consciemment ou non, la volonté nazie d'effacer l'identité et l'humanité de ces combattants. Cette mise en perspective historique donne à leur plaidoyer une force particulière.
Face à cette situation, les intellectuels proposent une réponse ambitieuse : faire du tata sénégalais de Chasselay un haut lieu de la mémoire nationale en France. Ils soulignent le rôle éducatif crucial du site, déjà visité chaque année par des centaines d'élèves qui y découvrent cette page tragique de notre histoire commune. Cette mission pédagogique représente, selon eux, la meilleure réponse à la haine et à l'ignorance.
Leur tribune se conclut par un appel solennel au président de la République Emmanuel Macron, l'invitant à venir prononcer un grand discours à Chasselay. Cette visite présidentielle symboliserait, selon eux, l'engagement de la République française contre le racisme et sa reconnaissance envers ces héros venus d'Afrique. À travers cet appel, les auteurs cherchent à transformer un acte de haine en une opportunité de réaffirmer les valeurs fondamentales de la République et de renforcer les liens historiques entre la France et l'Afrique.