SIBETH NDIAYE, HÉRITIÈRE DE LA BOURGEOISIE DAKAROISE
Dans les quartiers populaires français, les habitants la croient « des leurs » sans imaginer qu’elle est issue de la bourgeoisie sénégalaise - La nouvelle porte-parole du gouvernement français s’enorgueillit de faire partie du Sénégal… d’en haut
Les premières semaines de Sibeth Ndiaye comme porte-parole du gouvernement français (nommée fin mars 2019) sont sans accroc. Avec aplomb et assurance, la jeune femme de 39 ans fait le « job ». Pourtant il faut remonter à son enfance à Dakar, auprès d’un père député et d’une mère magistrate devenue présidente du Conseil constitutionnel, pour comprendre son aisance au cœur du pouvoir. Sibeth, petite dernière de quatre filles dont les aînées ont dix-huit, dix-sept et dix ans de plus qu’elle, y a toujours entendu parler politique. « Nos parents s’étaient rencontrés à Paris, dans les cellules du Parti communiste avant de créer avec Abdoulaye Wade le Parti démocratique sénégalais (PDS) », raconte Anta, la seconde des quatre filles Ndiaye. C’est un couple libéral et cultivé. Fara Ndiaye, né en 1935 dans une famille modeste – son propre père est mort lors de la seconde guerre mondiale dans les rangs des tirailleurs sénégalais –, après de brillantes études, s’est lancé en politique et préside à Dakar le groupe parlementaire du PDS à l’Assemblée nationale.
Mais c’est Mireille, leur mère, née en 1939, qui frappe l’esprit de ses filles. Belle et émancipée, cette métisse d’un couple germano-togolais qui porte les cheveux coupés ras et fume est l’une des rares femmes de la magistrature sénégalaise. A la maison défile tout ce que le pays compte d’élus et d’intellectuels, dans le sillage de Léopold Sédar Senghor, d’Abdou Diouf ou du couple Wade, ami des Ndiaye.
Une réussite familiale modèle
Est-elle si dépaysée, dans ce monde politique français, elle qui suivait à 8 ans la réélection de Mitterrand ? Sur les réseaux sociaux, ce grand défouloir de nos folies, les racistes de tout poil ignorent le plus souvent comme les parents Ndiaye furent d’abord un couple éclairé.
Fara est alors un musulman non pratiquant, Mireille, une catholique distanciée. Et s’ils ont fait baptiser leurs filles et inscrit les trois aînées à l’école coranique avec leurs cousins, la religion est bien moins importante que les études. « Ne soyez jamais dépendantes financièrement d’un homme, répète Fara Ndiaye à sa progéniture. Je vous donnerai une éducation, ce sera mon héritage. »
L’aînée des quatre filles, Fari, sera pharmacienne ; Anta, consultante pour les Nations unies ; Ouli, banquière. Et voilà Sibeth, cette petite dernière dont toute la famille vota à la naissance pour lui donner ce prénom de l’une des reines de Casamance, secrétaire d’Etat !
Quel dommage que ni l’un ni l’autre, morts trop tôt, n’aient vu l’ascension de leur benjamine… Aujourd’hui encore, lorsqu’elle note qu’on la traite avec condescendance, Sibeth Ndiaye ne peut s’empêcher de rappeler ses origines, moins pour jouer les bourgeoises que pour briser, dit-elle, « ce mépris à l’égard de l’Afrique qui imagine la vie dans des cases sans électricité ».
Quartier plateau de Dakar
Elle a conscience, par sa seule présence dans un gouvernement, d’avoir valeur de modèle. « J’ai toujours reçu des lettres en ce sens, à l’Elysée ou au ministère, dit-elle. Ah, j’en ai pris des jeunes filles en stage, que j’installais dans des services dirigés par des femmes pour qu’elles voient que c’était possible ! »
Pour comprendre où elle a appris la tactique, l’art de la rhétorique, la lutte pour le pouvoir et peut-être aussi cette langue impersonnelle, il faut cependant plonger dans les amphis des années 2000, plus que dans les soirées enfumées de l’appartement de ses parents, rue Gallieni, dans le quartier du Plateau, au cœur de la capitale sénégalaise.
Après son bac, au lycée Montaigne, Sibeth a raté deux fois le concours de médecine, bifurqué en biologie avant de s’inscrire à la fin des années 1990 en philo à Paris-VII, l’université Paris-Diderot. Elle a aussi adhéré en 1999, à 20 ans, à l’UNEF, dont elle est vite devenue responsable de la tendance minoritaire, celle des strauss-kahniens. La suite, on la connait : engagement auprès de certaines personnalités du PS français (DSK – Bartolone) jusqu’à sa rencontre avec Emmanuel Macron. Elle en devient la cheffe com’ et désormais sa Secrétaire d’Etat, porte-parole du gouvernement.